Merkel : le compte n'y est pas edit
Le gouvernement d'Angela Merkel va bientôt fêter son premier anniversaire, et à cette occasion beaucoup se demandent si cela en valait la peine. Depuis des mois, la Vieille Europe – l'Italie et la France surtout, mais aussi une bonne partie de la Commission – considère avec attention une expérience qui pourrait prouver les vertus d’une « grande coalition » pour résoudre des problèmes économiques et sociaux durables. En théorie, deux raisons peuvent justifier la formation d'une telle coalition. La première est technique : aucun grand parti ne peut à lui seul s'assurer une majorité. La seconde est de reconnaître qu'un changement profond est nécessaire et qu'un gouvernement conduit par un seul parti ne pourrait survivre à l'assaut des lobbys et d'une opposition opportuniste. C’est ainsi que semblaient se présenter les choses il y a un an. Selon cette logique, pour mener des réformes durables, il faut que tout le monde s’engage, sans quoi un bord bloquera les efforts de l'autre, et pourrait même revenir sur des lois déjà votées. Or cette dernière condition ne semble plus tenir. Du coup, il est tout à fait possible que la coalition dérape, peut-être même bien avant les élections générales de 2008.
Au début, tout est allé très vite, surtout pour des Allemands. Flanquée de son ministre des Finances démocrate-social, la chancelière Merkel a taillé vif dans les aides à la construction et divers avantages fiscaux, s’appuyant sur un large consensus. Mais elle n’a pas poussé plus avant : les subventions annuelles représentent encore environ 60 milliards d’aides directes et 50 milliards d’avantages fiscaux. De même, la coalition a pu réformer le système fédéral en accordant plus d'autonomie aux Länder dans certains domaines, tout en supprimant leurs droits de veto dans d'autres. Mais on n’a malheureusement pas touché à une question fiscale qui aurait pourtant pu introduire une réelle responsabilité dans les politiques régionales (car les dirigeants des Länder, dans de nombreux domaines, tiennent leur pouvoir de l’Etat fédéral). Au nom de la rigueur fiscale, la coalition a accepté de remonter la TVA de 3 points à partir de 2007. Comme prévu, l’effet d'anticipation a stimulé la demande de biens durables, faisant ainsi temporairement remonter le taux de croissance qui a atteint un rythme que l’on n’avait plus connu depuis la réunification.
Sur le marché du travail, la coalition a comme prévu tenu le cap des réformes Hartz, et ma propre interprétation des bonnes nouvelles récentes sur le front de l’emploi est que ces réformes ont déplacé le « taux de chômage d'équilibre » vers le bas, comme l’aurait prédit Edmund Phelps, le prix Nobel 2006. Il est remarquable que sur ce sujet, le SPD a résisté à la tentation de revenir en arrière, même lorsque le Bureau fédéral de l'emploi a taillé dans les dépenses en supprimant certains programmes inutiles, avec comme résultat un surplus considérable de 10 milliards d'euros cette année – dont peut-être un tiers vient de ces coupes. L’équipe Merkel a ainsi réussi à maintenir le cap des réformes lancées par Gerhard Schröder, et les marchés internationaux des capitaux ont apprécié que ces réformes soient non seulement durables, mais irrévocables.
Et voilà pour les bonnes nouvelles. Après douze mois, les réformes les plus faciles sont faites. Mais les sujets qui fâchent – la santé publique, une réforme sérieuse du marché du travail, la libéralisation du marché des biens et la simplification fiscale – sont toujours à l’ordre du jour, et il faudra beaucoup d’énergie, de créativité, de discipline et la résistance pour affronter les innombrables lobbys et autres champions du statu quo. Il sera nécessaire d’établir un diagnostic commun. L'art du compromis, la grande fierté des politiques allemands, ne suffira pas.
J’en veux pour preuve le test le plus significatif qu’ait affronté jusqu’ici la grande coalition, la réforme du système de santé. Le système allemand est difficile à expliquer, peut-être même plus qu’à réformer, d’ailleurs. C'est un patchwork de fonds d'assurance garantis par le gouvernement, alimentés par des contributions assises sur les salaires et payées en partie par les employeurs, en partie par les salariés, à l’exception des mieux rémunérés. Après un long débat public, le gouvernement a proposé de mettre ces assureurs en concurrence en créant un fonds commun pour les contributions, en mettant les risques en commun et en permettant à l'assuré de changer de fonds s’il le souhaite. Mais cette proposition est un compromis qui n’aborde pas la question pourtant essentielle de la redistribution : les salariés devront-ils payer en fonction de leurs revenus, comme le souhaite le SPD, ou, comme le propose la CDU, indépendamment de leur revenu, avec une redistribution directe en faveur des moins bien lotis ?
Il s'est ainsi avéré que la coalition ne pouvait s’accorder que sur le fonds lui-même, un squelette bureaucratique qui serait nécessaire dans l'un ou l'autre cas, mais elle s’est retrouvée en désaccord sur presque tout le reste, y compris le contrôle de prix des dépenses de santé. Les lobbyistes ont tiré profit de cette confusion et il semble de moins en moins probable qu’un compromis soit trouvé avant 2009, c’est-à-dire avant la date prévue pour les prochaines élections. Les ennemis d’Angela Merkel dans son propre parti peuvent même tirer parti de cet échec, et lui retirer à la dernière minute un soutien pourtant crucial. Si la chancelière est alors contrainte de retirer sa proposition, elle sera sérieusement affaiblie. Non seulement la grande coalition n’a pas réussi à trouver de solution réalisable, mais toute cette affaire a été un énorme gaspillage de temps et énergie, et a épuisé la patience des électeurs. Il n'est pas étonnant que le SPD et CDU connaissent aujourd’hui une impopularité sans précédent depuis des décennies.
La grande coalition allemande échoue tout simplement parce que les politiques ne sont toujours pas d'accord sur la solution à apporter aux problèmes du pays. Mais ils ne sont pas les seuls responsables de cette situation. Car enfin, l'Allemagne est une démocratie qui fonctionne, et elle a donc les politiques et les dirigeants qu’elle mérite. Wolfgang Münchau écrivait il y a peu dans le Financial Times que « les Allemands ne croient plus aux contes de fées ». Bien au contraire : les Allemands s'accrochent toujours désespérément au vieux conte de fées européen qui raconte que l'on peut éviter des réformes difficiles en suivant une « troisième voie ». Il reste des dirigeants politiques, syndicaux, et des lobbyistes pour leur affirmer qu'ils peuvent éviter les réformes et les restructurations qu’ont connues les Etats-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou la Scandinavie. Tel fut en tout cas le message ambigu exprimé par les urnes lors des élections de septembre 2005 : avec de petits pas, ce sera moins pénible. Les vraies réformes sont encore plus difficiles maintenant que le pays va mieux ; peu importe que l'Allemagne ait raté plus d'une décennie d'augmentation du niveau de vie par rapport au reste de l’OCDE. Non, la vieille Europe ne sera pas capable de profiter des avantages d'une grande coalition tant que la condition essentielle des réformes ne sera pas là : un consensus, dans la population comme dans la classe politique, en faveur d’un vrai changement. Nous n’en sommes pas encore là.
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