Allemagne : débat sur le salaire minimum edit
Les dernières semaines n’ont pas été de tout repos pour les économistes qui vivent en Allemagne ou qui s’y intéressent. Pour commencer, le Parlement a établi un salaire minimum pour les postiers. Ensuite, un débat sur les salaires des dirigeants a amené un certain nombre de personnalités politiques à se déclarer favorables à l’établissement… d’un salaire maximum ! Au vu des connaissances économiques affligeantes que révèlent ces propositions, on est en droit de se demander si l'Allemagne a vraiment progressé dans la réforme de son marché du travail.-->
Commençons par le salaire minimum des postiers. La plupart des gens ne savent sans doute pas qu’à la différence des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou de la France, l’Allemagne n'a pas de salaire minimum. Pourquoi alors en instituer un pour les postiers ? Il s’avère que sous certaines conditions, l’Etat peut étendre à l’ensemble des travailleurs d’un secteur les niveaux de salaires décidés lors d’une négociation collective. Dans les faits, on a rarement recours à ce mécanisme, parce que les conditions nécessaires ne sont habituellement pas réunies. En particulier, elles le sont rarement dans les secteurs où les salaires ont tendance à baisser, ceux où la concurrence des travailleurs étrangers est la plus vive. Ces dernières années, les secteurs de la construction et du nettoyage ont ainsi subi une importante pression. Pour répondre aux inquiétudes des syndicats, le Bundestag a voté en 1996 une loi sur le détachement des travailleurs (Arbeitnehmer Entsendegesetz), qui réglemente les salaires minimums et les conditions de travail pour les étrangers salariés en Allemagne par des entrepreneurs étrangers. Le cadre législatif européen autorise normalement des ressortissants européens à travailler en Allemagne avec un contrat de leur pays d’origine, mais le cas des Européens de l’Est qui acceptaient de travailler pour des salaires significativement plus bas que les salaires allemands était une source de tension évidente. Or, c’est cette loi qui a été invoquée pour étendre le salaire minimum à tous les travailleurs du secteur de la livraison de courrier.
Vous n’y voyez sans doute pas beaucoup plus clair. Depuis quand les ressortissants d’Europe de l’Est travaillent-ils dans les bureau de poste allemands ? C’est vrai, ils ne font pas. Comme presque partout ailleurs, les postiers allemands sont plutôt bien placés dans la chaîne alimentaire. Mais voilà, l'an prochain, le monopole postal devrait être assoupli, ce qui permettra à des entreprises privées d’entrer en concurrence avec la Deutsche Post (qui est cotée au DAX et emploie 500 000 agents). Puisque que les facteurs allemands gagnent toujours des salaires de fonctionnaires, leurs emplois seront sérieusement menacés par les salaires bien plus bas en vigueur dans des entreprises comme PIN et TNT. Ces entreprises ne sont pas d’Europe de l’Est, mais qu’importe : l’Arbeitnehmer Entsendegesetz est un cheval de Troie bien commode, grâce auquel les députés viennent de faire passer un salaire minimum dans l’ensemble du secteur. Cela devrait conduire à faire disparaître des milliers d’emplois dans le privé. Et comme si cela ne suffisait pas, le nouveau ministre du Travail, Olaf Scholz (SPD), a annoncé ce week-end que des salaires minimums allaient être établis dans d’autres secteurs, comme les agences d'intérim, le conditionnement de viande, le jardinage, les salons de beauté et les boulangeries, pour n’en citer que quelques-uns.
Que penser des salaires maximums ? C’est sur fond de naïveté économique que s’est tenu le débat national sur la juste rémunération – pas seulement celle des emplois peu qualifiés, mais aussi celle des dirigeants. Parfois difficile à distinguer d’une jalousie mal déguisée, ce débat en dit beaucoup sur le degré de sophistication économique des hommes politiques, de la presse et du grand public. Au lieu de poser la question en termes économiques – pourquoi les salariés peu qualifiés gagnent si peu et pourquoi les dirigeants gagnent tant – la réponse a été d'en appeler à l’intervention de l’Etat.
Le débat a tourné à la démagogie. Les syndicats essaient désespérément de détourner l'attention de leurs échecs les plus patents – non seulement pour organiser les travailleurs peu qualifiés et négocier pour eux des hausses de salaires, mais aussi pour retenir leurs adhérents les mieux payés, médecins, pilotes de ligne ou ingénieurs des chemins de fer. Il est vrai que de nombreux dirigeants – comme dans la plupart des pays riches – bénéficient de rémunérations exorbitantes, même lorsqu’ils échouent ; mais il y a ce que j'appelle « la loi des grands nombres ». Considérons encore une fois la Deutsche Post, qui a payé à peu près 18,6 milliards d’euros de salaires en 2006, soit 37 000 euros par salarié. Le senior management (Vorstand) a gagné 10 millions d’euros. En se débarrassant de ses dirigeants, cette entreprise du DAX pourrait offrir en moyenne 20 euros de plus à chacun de ses salariés – à peine assez pour un repas correct à deux dans un restaurant bon marché de Berlin. Et sans son équipe dirigeante l’entreprise partirait à la dérive, ce qui n’est pas une perspective très agréable si vous travaillez à la Deutsche Post.
Si l'Allemagne veut vraiment encadrer et limiter les salaires des dirigeants, alors elle doit revenir à des impôts sur le revenu à la fois élevés et progressifs, comme c’est le cas au Danemark et en Suède. Mais les Allemands devront alors en subir les conséquences : les dirigeants les plus doués fuiront vers des pays où les taux d'imposition sont plus bas. Ceci pourrait notamment avoir comme effet induit de provoquer l’exil de plusieurs sportifs de haut niveau. Une solution alternative pourrait être simplement pour les actionnaires d’imposer aux dirigeants les mêmes règles qu’aux athlètes professionnels qui gagnent des salaires comparables. L'embauche à volonté, aucune protection d'emploi, un salaire entièrement indexé sur la performance, pas de parachutes dorés, pas de stock-options ajustables. Pourquoi Joseph Ackermann, le PDG de la Deutsche Bank, serait-il mieux traité que le footballeur Michael Ballack, qui joue (encore) pour Chelsea et qui a gagné à peu près le même salaire en 2006 ?
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)