La crise des missiles de Corée edit
La tension est montée d’un cran dans la péninsule coréenne. La décennie de réconciliation intercoréenne sous la “politique du rayon de soleil” (1998~2008) n’est maintenant qu’un souvenir fugace. Après le lancement, en décembre dernier, d’une fusée soupçonnée d'être un missile balistique à longue portée, suivi d’un troisième essai nucléaire en février, la Corée du Nord a menacé de lancer une attaque nucléaire contre les États-Unis. En réponse, les Etats-Unis, qui achevaient alors des manœuvres navales conjointes avec la Corée du Sud, impliquant le sous-marin nucléaire San Francisco, ont déployé des bombardiers B-52 et B-2 ainsi que des avions de chasse furtifs F-22 en Corée du Sud pour “montrer leurs muscles” à Pyongyang. La Corée du Nord a finalement annoncé qu'elle était en état de guerre avec le Sud le 30 mars 2013 et qu’elle allait redémarrer un réacteur nucléaire de 5 mégawatts de Yongbyon afin de fabriquer du plutonium. Selon les renseignements militaires sud-coréens, Pyongyang pourrait lancer à nouveau une fusée à longue portée très prochainement. Bien que la péninsule coréenne soit techniquement toujours en guerre depuis l’armistice de la guerre de Corée en 1953, la tension dans la péninsule coréenne n'a jamais été aussi forte depuis soixante ans.
Pour le moment, il est difficile de savoir jusqu’où iront les provocations de la Corée du Nord . Il est tout à fait possible qu’elles débouchent soit sur un conflit localisé soit sur une attaque d’artillerie comme ce fut le cas lors du bombardement de Yeonpyeong en 2010. Cependant il est peu probable qu’une guerre totale ou une guerre nucléaire éclate dans la péninsule coréenne. Bien que la Corée du Nord ait récemment annoncé que son armée avait reçu l'approbation finale pour des frappes nucléaires contre les Etats-Unis, cette déclaration de guerre ne doit pas être prise au pied de la lettre. Faute d’une compréhension de sa manière singulière de penser, de parler et d’interpréter le monde basée sur son idéologie “Jucheisme”, ce type de rhétorique belliqueuse et revancharde est souvent mal décryptée et sa véritable intention visant à un dialogue avec Washington, sous-estimée. Cette constatation est basée non seulement sur mes années d'expériences professionnelles avec Pyongyang mais aussi sur des fondements analytiques, et notamment la capacité réelle des armes nucléaires nord-coréennes ainsi que la caractéristique des nouvelles élites nord-coréenne de l’ère Kim Jong-Un.
L’armement nucléaire nord-coréen n’a en effet pas encore la capacité suffisante pour une attaque nucléaire contre les Etats-Unis. Dès le début, il a été développé dans le cadre stratégique d’une sorte d’“équilibre de la terreur” en vue d’une dissuasion nucléaire contre les Etats-Unis. L’histoire du développement de l’armement nucléaire nord-coréen remonte aux années 1950-1960 au moment où les Etats-Unis commençaient à déployer plusieurs centaines de leurs armes nucléaires en Corée du Sud. Pyongyang, ayant déjà fortement été marquée par la menace d’attaque nucléaire américaine pendant la guerre de Corée, s’est évertuée à développer son arme nucléaire pendant plus de cinquante ans. Dans les années 2000, Pyongyang a finalement rejoint “de facto” le club des puissances nucléaires. Pourtant, l’équilibre de la terreur reposant sur “la destruction mutuelle assurée” entre Pyongyang et Washington n’est pas établi à cause dumanque d’une “capacité de seconde frappe” de Pyongyang. D’ailleurs, pour le moment, il n’est pas certain que Pyongyang ait atteint parfaitement sa “capacité de première frappe”, et notamment en ce qui concerne l’amélioration de la miniaturisation des ogives nucléaires. Il est bien entendu que l’accès à cette “capacité de première frappe” n'est qu’une question de temps. En revanche, atteindre la “capacité de seconde frappe” sera plutôt une mission impossible pour Pyongyang.
Ensuite, on compte, dans les élites nord-coréennes qui dirigent le Parti et l'armée dans l'ère de Kim Jong-Un, beaucoup plus de “colombes” que de “faucons” que dans celles de l’ère de Kim Jong-Il. Depuis sa prise de pouvoir en avril 2012, à la suite de la mort soudaine de son père en décembre 2011, le jeune dauphin Kim Jong-Un, âgé de moins de trente ans, a très rapidement stabilisé sa position dans le parti ainsi que dans l’armée. Pendant sa première année de pouvoir, il a audacieusement pratiqué une purge dans le parti ainsi qu’à l’intérieur de l’armée, à l'aide de sa famille proche au pouvoir (notamment sa demi-sœur Kim Sul-Song, sa tante Kim Kyong-Hui et le mari de sa tante Jang Song-Taek) afin de favoriser le renouvellement des générations. Du coup, les fonctions importantes sont réparties entre les colombes des anciennes générations de l’ère de Kim Il-Sung/Kim Jong-il et les nouveaux cadres plus ouverts au monde extérieur, de la troisième génération. Ainsi tandis que le chef de l'armée, Ri Yong-ho, icone des “faucons”, a été relevé de toutes ses fonctions en juillet 2012, l’ancien Premier ministre, Pak Pong-Ju, icone des “colombes”, a été nommé à nouveau Premier ministre en mars 2013.
On est donc en droit de sedemanderpourquoi Pyongyangprovoque de manière si belliqueuse et sans précédent en dépit de sacapacité nucléaire insuffisante et malgré la prise de pouvoir des élites formées de “colombes”. Il se pourrait que ce soit parce que Kim Jong-Un et ses nouvelles élites jugent qu’il est maintenant le moment d’ouvrir le jeu avec les Etats-Unis à propos de deux sujets anciens: un traité de paix entre Pyongyang et Washington, ainsi que le retrait des sanctions économiques imposées à Pyongyang. Ce jugement de Pyongyang peut sembler rationnel si l’on prend en compte son intérêt. Tout d’abord, Pyongyang a gagné de l’assurance en réalisant son souhait, caressé depuis longtemps, de devenir une puissance nucléaire ‘de facto’. En outre, tous les chefs d’Etat des membres des “pourparlers à six” – Séoul, Pyongyang, Washington, Pékin, Tokyo et Moscou – viennent de débuter un nouveau mandat en 2012-2013. Surtout, Pyongyang détient désormais un “joker”: l’alliance Pyongyang-Téhéran. Selon plusieurs sources de renseignements, l’Iran est susceptible d’avoir financé et observé sur place le troisième essai nucléaire nord-coréen en février. Du coup, ce que Washington craint le plus actuellement n’est pas la réelle probabilité d'une attaque nucléaire nord-coréenne contre son territoire mais l’éventuelle transaction de la technologie nucléaire entre Pyongyang et Téhéran.
Bien qu’elle soit mécontente de cette situation dans laquelle Pyongyang provoque une action offensive, la communauté internationale, et notamment Washington et Séoul, ne doit pas perdre son sang-froid vis-à-vis de Pyongyang. Une action basée sur un jugement erroné pourrait entraîner une vraie guerre nucléaire dans la péninsule. Pour cela, la seconde administration dministration Obama doit, tout d’abord, abandonner la politique de “patience stratégique” vers Pyongyang qui a caractérisé le premier mandat. Cette approche d’Obama, s’appuyant sur un scénario de l’écroulement du régime de Pyongyang avec le temps qui passe, semble être un échec. Cela montre maintenant la nécessite d’un grand changement de politique étrangère d’Obama vers Pyongyang. Il en est de même de Séoul. La nouvelle présidente sud-coréenne, Park Geun-Hye, ne doit pas poursuivre la politique trop rigoureuse adoptée par l'ancien président Lee Myung-bak, à l’encontre du Nord. Pour Séoul, il ne devrait y avoir qu’une solution face à l’actuel défi nucléaire nord-coréen: le retour de la “politique du rayon de soleil”. Quant à l’Europe, elle ne doit plus se contenter de rester derrière les Etats-Unis dans cette crise. Il y a eu, en effet, jusqu'à maintenant, une entente tacite entre les Etats-Unis et l’Europe pour une répartition des rôles dans la non-prolifération nucléaire, selon laquelle EU-3 s’occupait de la crise nucléaire iranienne et les Etats-Unis de la crise coréenne. Pourtant, les deux crises ne sont plus séparables si l’alliance Pyongyang-Téhéran est avérée. La décision de tous, Washington, Séoul et Bruxelles, ne devrait pas être simple, mais le plus tôt sera le mieux.
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