La présidence britannique : la tête dans le sable edit
La longue bataille du budget européen s'est achevée il y a de cela dix jours avec un accord qui laisse tout en l'état. Ce fut un spectacle d'une rare hypocrisie car pour certains des acteurs de cette négociation, le marchandage ne portait que sur des détails. Des Etats dont le budget annuel dépasse les 700 milliards d'euros se sont battus pour quelques millions. Le résultat est un cadre financier 2007-2013 concentré sur des transferts à l'agriculture (42% du budget) et dont les bénéficiaires représentent à peine 3% de la population européenne. Par ailleurs 35% des dépenses continueront à être affectées à des fonds structurels dont l'efficacité est fortement mise en doute.
Rien n'a été laissé au financement de biens publics européens comme les projets d'infrastructures transnationales, la recherche et la défense, c'est-à-dire les politiques qui gagneraient vraiment en efficacité si elles étaient prises en charge au niveau supranational. Une meilleure répartition des tâches attribuerait à l'Europe les politiques et les projets dépassant les juridictions nationales et ceux dont un financement européen permettrait de vraies économies d'échelle. Un budget ainsi construit pourrait croître au même rythme que l'élargissement et l'intégration économique de l'Union. Mais, jusqu'en 2013 au moins, l'énorme masse financière des politiques économiques européennes restera un jeu à somme nulle avec des transferts opaques d'une juridiction à l'autre.
Seuls quelques chefs d'Etat comprennent aujourd'hui la structure du budget européen, et Angela Merkel est de ceux-là : pour sa première participation à un sommet européen, elle a joué un rôle crucial dans la conclusion de l'accord. La plupart des Etats ne cherchent apparemment qu'à maximiser les transferts bruts (plutôt que nets) de l'Union Européenne, sous la pression des lobbies nationaux, ministères et collectivités locales qui souhaitent conserver leurs capacités financières. L'écart par rapport à un équilibre entre ce qui est versé par chaque Etat au budget européen et ce qu'il en reçoit est limité, en regard des masses financières en jeu, et les méthodes mêmes de calcul de cet écart font débat. Cette complexité conduit a déconnecter les contributions nettes au budget européen du revenu per capita des pays membres, alors que l'on s'attendrait à ce que Etats les plus riches aident au final les plus pauvres.
Ainsi, le message envoyé aux citoyens est le suivant : " L'Europe est toujours la même, une bureaucratie gère un ensemble de politiques chaotiques, inefficaces ou ne bénéficiant qu'à une minorité de citoyens ". Le message adressé aux personnes qui définissent les politiques nationales n'est pas moins décourageant, en tout cas pour nous : " ne vous inquiétez pas : vous pourrez continuer à utiliser l'Europe comme d'un bouc émissaire pour masquer vos erreurs ! "
Somme toute, ce fut une bien triste fin pour cette présidence britannique qui avait suscité tant d'espoir en juin dernier. Tony Blair étant le seul dirigeant d'un grand pays européen à jouir d'un réel soutien populaire, on attendait de lui qu'il se conduise en vrai réformiste. Mais nul progrès n'a été fait sur la directive services, alors que cela serait la façon la plus efficace de restaurer la confiance autour du projet européen. Correctement menée, une libéralisation des services pourrait faire croître les marchés de 30 à 40%. Elle augmenterait de manière significative la croissance européenne. C'est une condition nécessaire pour sortir de l'enlisement. Le référendum français a laissé l'Europe bloquée au milieu du gué. Il était censé fournir un appui à l'intégration politique, après celui sur après l'intégration économique. Au finale, il a bloqué l'intégration politique au même temps qu'il empêchait tout autre intégration économique. La présidence autrichienne qui prendra le relais le premier janvier 2006 a déjà précisé qu'elle ne s'occuperait pas de la directive services.
C'est parfois dans des conditions extraordinaires que l'on trouve les ressources pour sortir d'un cercle vicieux. Peut-être le sommet de Bruxelles aurait-il eu un meilleur résultat s'il n'y avait pas eu d'accord sur le budget. Cela aurait forcé les chefs d'Etat à penser davantage à l'Europe au lieu de se fourrer encore une fois la tête dans le sable.
Traduction de l'anglais par René Palacios
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