Classer les universités est fort utile edit
Le classement 2004 mondial des universités par une équipe de chercheurs de la Shanghai Jiao Tong University a donné lieu à de très nombreuses critiques : si l'on y retrouvait dans le haut les leaders incontestés comme Harvard, Stanford ou le MIT, d'autres, comme les universités françaises, y brillaient par leurs mauvais rangs. Je souhaite cependant défendre ici l'idée que les classements d'universités, à condition d'être correctement réalisés, pourraient être extrêmement utiles à la fois aux étudiants, aux employeurs et aux pouvoirs publics.
Les deux principaux reproches faits au classement 2004 sont les suivants. D'une part, bien que nombreux, les critères (comme le nombre de Prix Nobel et de Médaille Fields, les citations des articles de recherche, leur nombre dans les revues Nature et Science ou la taille des institutions), ont été agrégés en un score unique donnant l'impression d’additionner carottes et choux. D'autre part, les critères choisis, et leur pondération, ont été identiques pour tous les domaines d'études et de recherche. Il est en fait tout aussi vrai que ces remarques sont justifiées qu'il est facile d'y répondre. Les personnes produisant de tels classements ont en effet pris l'habitude de donner également des classements pour chacun des critères intervenant dans le score final. Si l'on utilise l'analogie de l'achat d'un véhicule, les magasines spécialisés ne produisent pas de classement unique, mais bien un classement pour le critère de sécurité, un pour la consommation d'essence, un pour le prix d'achat, un autre sur des critères de coût de l'entretetien, etc. Et il est bien laissé à chaque personne la possibilité d'agréger à sa façon ces critères, ce qui autorise d'ailleurs le fait d'en ignorer certains. Sur le second point, il est rare que des classements se veulent aussi universel que le classement 2004 : la plupart des classements ne portent en général que sur une discipline donnée et surtout utilisent alors les critères qui y correspondent. Publier dans Nature fait autorité dans certaines disciplines, mais pas dans toutes. Il est cependant alors tout à fait possible d'envisager d'autres approches, comme, pour l'aspect recherche, les publications dans les revues du domaine ou les ouvrages, et leurs citations. Au-delà du nombre total d'employés de l'université, on peut très bien envisager de distinguer ceux-ci en termes de personnels administratifs, assistants, enseignants, chercheurs, afin de mesurer séparément l'encadrement scienfique du support administratif, alors que le nombre d'étudiants pourrait être considéré par niveau d'étude, la taille moyenne des classes donnée tout comme le niveau d'équipement, informatique ou sportif par exemple.
D'autres questions apparaissent encore, mais il est là aussi de plus en plus facile de les aborder. Par exemple, on peut se demander si, pour le choix d'une université par un étudiant, il est pertinent de prendre en compte des Prix Nobel attribués des décennies plus tôt. Ainsi, rencontre-t-on les deux types d'approches, celles, les plus fréquentes, qui mesurent les caractéristiques et la production passée des institutions et donnent ainsi leur poids historique mais pas forcément leur dynamisme actuel. D'autres, à l'inverse, évaluent la production passée de l'équipe en place à une date donnée donnant ainsi plutôt une image du capital humain présent. Cruciale est aussi la nécessité de ne pas lire les classements de façon uniquement ordinale. Des universités dont les scores sont proches doivent être considérées comme partageant le même classement. D'ailleurs, déterminer si la différence entre deux universités est significative ou pas fait actuellement l'objet de raffinements méthodologiques très utiles pour une interprétation correcte des classements. Finalement, il devient également possible de comparer les mesures de production des universités à leurs moyens (personnel, budget) et à leur contraintes (nombre et niveau initial des étudiants), ce qui permet d'obtenir de véritables mesures de valeur ajoutée des institutions tenant compte des caractéristiques à l'entrée de leur étudiants.
Une fois admise l’idée que les classements ont un sens, on doit se demander quelle est leur utilité. Un premier argument est de constater qu'ils sont extrêmement demandés. Plutôt que seule la rumeur ou des classements fantaisistes alimentent ce besoin, n'est-il pas préférable de proposer des approches rigoureuses ? Ensuite, de tels classements peuvent également avoir une utilité sur le marché du travail en révélant une information quantifiée aux employeurs. Une des raisons pour lesquelles ceux-ci préfèrent embaucher en France des étudiants des Grandes Ecoles est qu'ils minimisent ainsi leurs risques. En fonction de leurs besoins, et du salaire qu'ils sont prêts à offrir pour y pourvoir, ils identifient facilement quelles sont les écoles leur offrant les étudiants les plus adéquats. Une fois cette pré-selection faite, c'est par des entretiens qu'ils peuvent considérer des critères plus subjectifs. En revanche, s'ils souhaitent embaucher un diplômé universitaire, d'un master en économie par exemple, ils font face à une masse importante de candidats que le système se refuse, officiellement, de discriminer. Ils sont alors contraints, au mieux, d'effectuer des choix aléatoires, ou de se fonder sur les rumeurs relatives à la valeur respective des universités, voire, n'ayant pas d'autres critères de discrimination, de favoriser leurs connaissances.
Bien entendu, se pose ensuite la question de savoir si, dans un système annonçant ouvertement que tel diplôme a été obtenu dans une université mieux classée que telle autre, tous les étudiants ont un accès équitable ou non à ces universités. Mais on voit bien que c'est à ce niveau que les enjeux se trouvent et que prétendre que ces universités dispensent des diplômes équivalents n'apporte aucune solution. Seules un petit nombre d'étudiants ont d'autres moyens de s'informer, ce qui leur permet ensuite de choisir les meilleures filières et pérennise les inéquités. De plus, et c'est une dernière utilisation des classements qui me semble cruciale, ceux-ci peuvent justement être utilisés par les pouvoirs publics pour mettre en place leurs politiques, redistributives s'ils le souhaitent. En effet, s'il s'avère qu'il n'y a effectivement pas de réelles différences de qualité entre les universités, on aura la preuve que les diplômes sont équivalents et il est utile de faire savoir aux employeurs que l'aura de telle ou telle université est usurpée. Si cela n'est pas le cas, il est vital d'évaluer correctement l'ampleur des écarts pour les corriger. De même, si certains centres de recherche apparaissent plus productifs que d'autres et que l'on pense que la recherche est plus efficace lorsqu'elle est concentrée, alors il devient facile de renforcer encore cette concentration. Si à l'inverse le décideur estime que l'on a besoin d'une diversité d'approches et qu'une trop grande concentration est dangereuse, il pourra alors au contraire cibler son aide sur les centres en difficulté. Finalement, lorsque des classements automatisables sont disponibles, il est ensuite possible de passer plus de temps sur des dimensions qui se prêtent moins aux mesures quantifiées et sur les implications qui découlent de ces différentes évaluations. Je dirai en résumé qu'il ne faut pas rendre responsables les classements des inégalités qu'ils mettent en valeur. Au contraire, les ayant révélées, ils permettent de les prendre correctement en compte dans la prise de décision et d'y remédier si on le souhaite.
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