Remèdes pour la recherche edit
On peut distinguer deux inspirations de la politique récente de recherche. L'une vise à améliorer la qualité de la recherche par des dispositifs qui ont fait leurs preuves à l'étranger : l'évaluation et l'incitation, pour aider les chercheurs à donner le meilleur d'eux-mêmes. L'autre, plus technocratique, veut améliorer les scores des institutions françaises dans les classements comme celui de Shanghai par de vastes regroupements, ou en décrétant des « centres d'excellence » que des moyens considérables devront conduire au meilleur niveau. Quelle est la meilleure voie ?
La première tendance est à l'origine de l'Agence nationale de la recherche (ANR), agence de moyens chargée de sélectionner puis de financer de petites équipes pour des projets précis. Auparavant, les financements allaient exclusivement aux laboratoires. La répartition des moyens – entre et dans les laboratoires – se faisait sans référence claire aux résultats attendus. L'accès aux moyens de recherche accompagne maintenant la qualité des projets, et plus seulement l'influence au sein d'un laboratoire. De jeunes chercheurs peuvent déposer un projet auprès de l'ANR et, s'il est retenu, travailler plusieurs années sans dépendre du bon vouloir de comités ou de mandarins locaux.
On peut saluer aussi la création récente de l'Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), agence chargée de produire une évaluation scientifique fiable et transparente des établissements. On peut en espérer une nouvelle impulsion dans la gestion des universités, dont les efforts scientifiques seront désormais reconnus.
Une autre inspiration émane de l'idée que les principaux symptômes du malaise de la recherche française – comme ses scores médiocres dans les classements internationaux – peuvent être gommés par une politique volontariste, mais qui ne s'attaque pas aux causes du mal. De vaste regroupements d'institutions sous un même nom (« Université de Paris ») devraient permettre de dépasser, par la masse des publications de dizaine de milliers de chercheurs, des universités étrangères de taille plus raisonnable. Parallèlement, des « centres d'excellence » devraient émerger grâce à l'attribution massive de capitaux.
Les avantages de vastes regroupements restent pourtant contestables. Au-delà du rapprochement de petites écoles d'ingénieurs, utile pour dégager des économies d'échelle, la création de vastes structures administratives ajoutera une couche supplémentaire à un système déjà complexe. Elle pourrait déresponsabiliser les établissements, dont les résultats scientifiques seraient noyés dans ceux d'un vaste ensemble. La taille des grandes universités françaises, mesurée par le nombre de leurs chercheurs « permanents », est déjà supérieure à celle de leurs grands homologues étrangers.
L'idée même de définir des centres d'excellence (appelés « réseaux thématiques de recherche avancée » (RTRA) ou « pôles de compétitivité mondiaux ») par une décision politique suivie de très amples financements s'inscrit dans une culture politique interventionniste commune en France. Elle est à l'opposé des pratiques qui réussissent. Aux Etats-Unis, par exemple, aucune décision administrative ne fixe le lieu de l'excellence académique. Au contraire, le dynamisme de la recherche s'y nourrit de la compétition que se livrent les universités, de la remise en cause constante de leurs positions. Certains départements dépérissent, d'autres deviennent excellents, et beaucoup d'universités secondaires excellent dans une ou quelques disciplines. L'émergence d'un centre d'excellence y est la conséquence, et non la cause, du dynamisme des équipes de recherche. Une décision politique privilégiant certains départements est doublement démotivante : les laissés pour compte ne peuvent lutter à armes égales, et les heureux lauréats sont d'emblée au-dessus d'une réelle concurrence. L'accès à des financements conséquents dépend non pas du dynamisme de la recherche, mais du fait d'être au bon endroit au bon moment.
Cet effet est renforcé par un processus de sélection obscur des RTRA : ni l'appel d'offre, ni les critères de choix n'ont été bien compris par la communauté scientifique. La procédure suivie a d'ailleurs « oublié » le seul centre français reconnu comme étant au tout premier rang dans une discipline académique majeure (le centre de mathématiques de l'Université Paris-Sud), alors que d'autres projets honorables mais à visibilité plus réduite ont été retenus. En l'absence de critères clairs, voire d'une méthodologie nette d'évaluation, l'impression a pu s'installer que les facteurs déterminants d'attribution des RTRA étaient la proximité avec les décideurs politiques ou l'utilisation de données bibliométriques « personnalisées ». On peut s'inquiéter de la capacité future à remettre en cause ces « avantages acquis ».
L'absence de transparence dans l'évaluation s'étend d'ailleurs dans une certaine mesure aussi à l'ANR, dont le mode de sélection des projets a fait l'objet de vives critiques, apparemment justifiées pour la première année de son fonctionnement. Le mode de sélection des projets semble s'être ensuite amélioré, mais l'ANR manque encore d'un conseil scientifique capable de choisir suivant des critères scientifiques ses programmes thématiques.
La création de centres d'excellence se justifie par deux présupposés : que l'efficacité des chercheurs est démultipliée par un environnement dynamique, et que l'existence d'objectifs de développement local améliore l'efficacité de la recherche appliquée. Deux études récentes jettent le doute. La première (1) mesure l'effet positif sur les économistes d'un environnement académique privilégié et conclut qu'il était important dans les années 1970 mais a ensuite diminué, pour disparaître totalement vers 2000. La seconde (2), plus orientée vers les applications, mesure l'effet d'objectifs de développement local ciblés et conclut à leur effet bénéfique au niveau local mais nul au niveau national. La coûteuse politique actuelle de développement de « centres d'excellence » pourrait donc se révéler inefficace.
Les grandes opérations stratégiques, très visibles, apportent aux décideurs satisfactions narcissiques et bénéfices politiques. Mais tout porte à leur préférer des mesure structurelles qui encouragent les chercheurs. C'est d'une politique incitative forte, envers les chercheurs individuels et envers les organisations, qu'on peut attendre un nouvel élan pour la recherche française.
Mais ses effets resteront limités sans une réforme profonde de la gouvernance des établissements, faisant émerger une gestion efficace du potentiel de recherche – dont ne sont actuellement capables ni les universités, ni l'essentiel des grandes écoles. Cette réforme, annoncée, sera difficile si elle atteint certains lobbys corporatistes, en particulier si elle aborde la question – centrale – du mode de désignation des membres des conseils dirigeant les universités. Parallèlement, on pourrait beaucoup espérer de quelques mesures simples inspirées des principaux exemples étrangers : meilleure mobilité des chercheurs (et limitations strictes des recrutements locaux), adaptation du calendrier et des processus de recrutement, renforcement des liens entre recherche et enseignement supérieur par un encouragement ferme des chercheurs à occuper les postes d'enseignants-chercheurs libérés par les prochains départs en retraite.
1. « Are Elite Universities Losing Their Competitive Edge ? » , par E. Han Kim, Adair Morse et Luigi Zingales, NBER Working Paper No. 12245, 2006.
2. « Harnessing Success: Determinants of University Technology Licensing Performance », par Sharon Belenzon et Mark Schankerman, CPER Discussion Paper 6120, 2007.
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