Cameron’s gamble, ou le risque du brexit selon Roger Liddle edit
Roger Liddle, président du think tank progressiste Policy Network, vient de publier un texte du plus grand intérêt, The Risk of Brexit, sur l’évolution des positions du parti conservateur à propos de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne et sur la gestion par le Premier ministre, David Cameron, de cet enjeu fondamental. Les élections législatives qui auront lieu le 7 mai prochain seront cruciales pour l’avenir de la relation de ce pays à l’UE. Cameron pourra-t-il obtenir une majorité parlementaire puis mener à bien sa politique européenne?
Selon Roger Liddle, Cameron s’est enfermé dans un double piège en prononçant en janvier 2013, chez Bloomberg à Londres, son important discours sur l’Europe ; d’abord parce qu’il ne souhaitait pas vraiment faire un tel discours et ensuite parce que son engagement sur la tenue d’un référendum, pris dans le but de rétablir l’unité au sein du parti conservateur, a eu l’effet inverse. Bien que personnellement opposé à la sortie de l’UE, Cameron n’a jamais mené clairement le combat sur cette ligne au sein de son parti. Au contraire. Le European Union Act de 2011 a constitué la première concession majeure faite aux eurosceptiques avec l’engagement de la coalition au pouvoir à soumettre au referendum tout nouveau transfert de souveraineté à Bruxelles. Acceptant, du fait de son opposition à l’adhésion du Royaume-Uni à la zone euro, l’idée d’une appartenance lâche de son pays à l’UE, à côté d’un noyau dur européen, il a, par là même, favorisé l’émergence d’une Europe à deux vitesses.
Ce choix rendant nécessaire une redéfinition des liens institutionnels de chaque pays à l’Union, Cameron a profité de cette situation pour réclamer l’ouverture d’une renégociation de la relation de son propre pays à l’UE et l’établissement d’un « new settlement ». Pour la première fois, le Royaume-Uni assumait ainsi clairement son auto-exclusion volontaire du noyau dur européen, réclamant pour lui, une relation réduite aux acquêts, essentiellement le marché unique. La même année, l’opposition du parti conservateur à l’intégration européenne culmina avec le veto britannique au traité fiscal, par ailleurs sans portée réelle, que ce pays fut le seul à émettre avec la Hongrie et qui confirma son isolement volontaire sur la scène européenne.
Dans cette situation, l’émergence puis les progrès spectaculaires de l’UKIP (UK Independance Party) qui a conquis la première place aux élections européennes de 2014 avec 27,5% des suffrages exprimés, puis a remporté l’élection partielle de Clacton, ont accru considérablement la tendance eurosceptique au sein du parti conservateur et, du même coup, ses divisions internes. Il est devenu presque impossible pour un candidat conservateur d’être élu sans adopter une posture eurosceptique. Le piège se refermait sur David Cameron. Chez les conservateurs se développa l’idée selon laquelle leur parti et l’UKIP étaient sinon des partis frères au moins très proches du point de vue de leurs électorats respectifs. Il s’agissait donc d’adopter un discours et une politique favorisant le retour au bercail conservateur des électeurs égarés temporairement. La tenue d’un référendum sur l’appartenance à l’UE apparaissait désormais comme la panacée pour atteindre cet objectif. Avec la montée de l’euroscepticisme dans son parti, Cameron ne pourrait plus éviter la tenue de ce référendum en 2017. Il lui fallait donc, pour avoir une chance de voir le « oui » à l’Europe l’emporter, élaborer un agenda pour la renégociation avec l’UE qui, tout en étant suffisamment ambitieux, ait une chance d’être accepté par les autres pays de l’UE. Pour les eurosceptiques de son parti, le point essentiel était désormais la tenue de ce référendum. Pour lui, c’était d’abord le succès d’une renégociation qui lui permettrait d’engager son parti en faveur du oui.
C’est ici que les choses se compliquent gravement pour le Premier ministre. En effet, même si de nombreux pays de l’Union préfèrent un Royaume-Uni à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur de l’Union, ils ne sont pas prêts pour autant à accepter toutes les demandes britanniques, d’autant que le comportement récent de ce pays et de son Premier ministre les a indisposés fortement, notamment l’Allemagne pourtant très favorable jusque là au membership britannique. Au même moment, lors de son congrès d’octobre 2014, le Parti conservateur a durci à la fois son discours et le contenu de ses exigences en vue de la renégociation. Cameron a dressé récemment la liste des demandes britanniques : de nouveaux pouvoirs pour les Parlements nationaux, l’extension du marché unique, l’extension du principe de subsidiarité, le refus de participer à tout renforcement de l’Union (even closer Union), la lutte contre le « tourisme social », c’est à dire la fixation de restrictions au versement d’allocations sociales aux travailleurs européens étrangers, le renforcement des contrôles sur la liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union, au moins pour les citoyens des nouveaux États membres, et le retrait de son pays de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Il est ainsi très peu probable que Cameron puisse obtenir des concessions suffisantes de la part de l’UE pour crédibiliser son engagement en faveur oui au référendum. S’il est encore au pouvoir après les prochaines élections de cette semaine, il lui sera très difficile, en effet, d’obtenir l’appui de son parti sur cette position.
Si, dans ces conditions, Roger Liddle estime que la victoire du oui n’est pas impossible, compte tenu de l’état de l’opinion publique, il reconnait néanmoins qu’elle est fort problématique. D’un côté, il estime que, dans la mesure où les thèmes de l’Europe et de l’immigration sont liés de manière croissante dans l’esprit des électeurs britanniques et que, si le premier est d’une importance secondaire chez eux, le second, désormais repris à son compte par l’UKIP, est devenu en revanche primordial, la victoire du non est probable. D’un autre côté, il estime qu’une campagne claire, argumentée et forte en faveur du oui pourrait théoriquement être victorieuse comme l’indiquent les sondages. Mais, ajoute-t-il, le problème est que Cameron ne pourra vraisemblablement pas faire une telle campagne. En effet, compte tenu de l’état d’esprit dominant au sein de son parti et de la pression que l’UKIP fait peser sur lui, une telle campagne provoquerait très probablement une scission de ce parti, éventualité qu’il a toujours dans le passé voulu éviter à tout prix. Il est donc peu probable qu’il donne en 2017 la priorité au oui plutôt qu’à la préservation de cette unité. En outre, si le 9 mai prochain l’UKIP met le Parti conservateur en difficulté, ce parti, s’il peut former néanmoins un gouvernement, sera poussé dans les années suivantes à renforcer encore son discours anti-immigration et anti-européen. Le pari de Cameron, dans ces conditions, sera perdu. Il se sera piégé lui-même. Une victoire des conservateurs le 9 mai signifierait donc probablement à terme la sortie du Royaume-Uni de l’UE.
Comment les choses se passeraient de ce point de vue si les travaillistes pouvaient former un gouvernement à l’issue des prochaines élections ? Ed Miliband, qui serait le Premier ministre de ce gouvernement, n’entend pas organiser de référendum et préfère défendre son propre agenda de réforme de l’UE. Mais, selon Liddle, une victoire travailliste ne sécuriserait pas pour autant la position du Royaume-Uni en Europe. Si Miliband se montre ferme sur l’appartenance de son pays à l’UE, en revanche, plutôt que d’engager clairement le débat en faveur de l’appartenance, il préfère diminuer au maximum la saillance de l’enjeu européen pour tenter d’attirer une partie de l’électorat populaire tenté par l’UKIP. Pourra-t-il maintenir cette position et éviter de consulter les électeurs ? En outre, le Parti travailliste doit faire face à la montée des attitudes anti-immigration dans cet électorat populaire, attitudes liées, nous l’avons vu, aux attitudes anti-européennes. Tout en maintenant ses positions courageuses dans ce domaine, il n’en sera pas moins poussé à adapter ses réponses à ces demandes. En outre, un gouvernement de coalition à direction travailliste pourrait devenir impopulaire et se diviser alors lui-même sur l’Europe, subissant les attaques d’un parti conservateur encore plus fortement anti-européen et anti-immigration du fait de la concurrence avec l’UKIP. La question de l’immigration demeurera de toutes manières pour les travaillistes le défi politique majeur.
Pour Robert Liddle, le Parti travailliste sera alors obligé de faire un choix fondamental, non effectué jusqu’ici, entre une social-démocratie réduite aux limites d’un État-nation fermé et la défense de la société ouverte qui, selon l’auteur, est la seule véritable politique progressiste possible dans un monde globalisé. S’il choisit la société ouverte, le Parti travailliste devra alors défendre plus nettement l’appartenance de son pays à l’Union européenne. Dans cette perspective, il lui faudra élaborer un agenda de réforme de l’Europe et s’engager fermement sur sa mise en œuvre. Pour l’instant, rien ne garantit qu’il s’engagera clairement dans cette voie.
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