L’État japonais face à la catastrophe edit

16 mars 2011

Le tremblement de terre de magnitude 8,9 qui a frappé la région de Tohoku est le plus fort de l’histoire moderne du Japon. Même le célèbre séisme de 1707 n’avait atteint que le niveau 8,6. Celui qui causé la mort de plus de 120 000 personnes à Tokyo en 1923 ne mesurait que 7,9, et celui de 1995 à Kobe 7,3. Par rapport à 1995, la réponse du gouvernement est positive à de nombreux niveaux. Mais le Japon fait face à une crise nucléaire qui le pousse au delà de toute frontière, au-delà de l’extrême. La situation est devenue un test du rôle de l’État dans une situation de risque systémique extrême. Et au soir du sixième jour, cet État surpuissant se cherche toujours.

Certes, le gouvernement a pu s’appuyer à la fois sur une société et sur des gouvernements locaux stoïques et remarquablement résilients. Partout, même les plus petits sont restés à leur poste, chacun faisant preuve d’un grand calme. Le soir du vendredi 11 mars, alors que les centaines de lignes de train et métro du grand Tokyo étaient immobilisées, les millions de Tokyoïtes ont répondu à l’urgence dans l’ordre, soit en marchant pendant des kilomètres en longues files calmes et silencieuses, soit en dormant dans leurs bureaux ou dans les centres d’accueil. Pas un seul cas de vol ou de criminalité n’a été recensé.

La réponse du gouvernement a été rapide et organisée, malgré une situation critique sur le plan politique. Alors que, le matin même, le Premier ministre Naoto Kan faisait face à une paralysie gouvernementale et à une opposition décidée à le liquider, tout était mis de côté le soir même dans une grande trêve politique ; tous se ralliaient derrière le Premier ministre. Celui-ci a immédiatement créé une cellule de crise, coordonné sans relâche les actions de secours et déployé les forces de défense militaire : on compte maintenant presque 100 000 soldats déployés, une première historique. La différence est nette par rapport à 1995, où le chaos avait régné. Il faut également souligner l’intervention télévisée de l’empereur le 16 mars, sans précédent depuis 1945 et appelant les citoyens à l’espoir.

Signe hautement symbolique et historique, le gouvernement a immédiatement accepté sans limites les secours étrangers, y compris le déploiement de 15 agents chinois. Le soir même du 11 mars, le célèbre philanthrope de Chine populaire, Chen Guangbiao, était au Japon, prêt à distribuer un million de Yuan et 30 tonnes de matériel de secours, avec treize membres de son entreprise. Tout cela est du jamais vu au Japon.

Le gouvernement a également fait preuve de transparence et d’information continue, grâce à la chaîne publique NHK.

Reste la question de la catastrophe nucléaire en cours. Il faut noter d’emblée que ce choc résulte de choix structurels des années 1960, difficilement réversibles au milieu de la crise. Les centrales nucléaires de Fukushima étaient certes prévues pour résister jusqu’au niveau 7,9 avec une marge de sécurité supplémentaire. Mais il est maintenant clair que le type de réacteur Mark 1 développé par General Electric aux États Unis et installé en 1971 et 1974 à Fukushima fait preuve de graves défauts structurels. Son système de refroidissement est vulnérable au double choc d’une coupure électrique et d’une inondation détruisant les pompes de secours. Son enceinte extérieure n’est pas assez robuste. Ensuite, la maintenance du combustible usé et très radioactif dans des piscines hors confinement au dessus des réacteurs (cas du réacteur 4) s’avère être une erreur en cas de crise. La conjonction de ces vulnérabilités avec le tsunami menace pratiquement les six réacteurs de Fukushima Dai-ichi de graves explosions, fusions de réacteurs et fuites massives dans l’air, comme elles ont déjà commencé. Cette situation extraordinaire révèle les limites des choix rationnels de l’État développeur dans les années 1960.

Cette situation extrême met l’État Japonais dans une terrible position. À Tchernobyl en 1986, l’État soviétique a dû mobiliser 600 000 hommes de troupes et travailleurs, sacrifiant jusqu'à 150 d’entre eux pour construire le sarcophage final. Lors de la catastrophe de Sichuan, l’État chinois a su mobiliser immédiatement des dizaines de milliers de soldats ayant tous les pouvoirs sur le terrain. Le Japon va sans doute devoir passer par une telle solution, au-delà de la normale dans une démocratie, et mettant en danger les ouvriers et soldats.

De même, la crise révèle une extraordinaire faiblesse structurelle. Le réseau électrique japonais est divisé en deux macro-régions : la région Est (y compris Tokyo et Tohoku) avec une fréquence de 50 Hz, et son réseau Ouest avec une fréquence de 60Hz, séparation qui remonte à des choix décentralisés faits en 1895-1896 ! De fait, alors que la région Est a perdu 25% de sa capacité électrique, elle ne peut importer d’électricité du reste de Japon. Tokyo est condamnée au rationnement de courant, et il n’y a aucune solution possible à court terme. La population grogne et attend de l’État un rationnement ordonné par le haut, chose que l’État Japonais n’a pas les pouvoirs de réaliser, du fait du contrôle de terrain par la société d’exploitation TEPCO.

En somme, la population attend maintenant une action décisive et autoritaire de l’État pour répondre au risque structurel extrême pris dans les années 1960 ; et l’État n’en a pas encore les moyens. C’est un moment décisif pour le Japon ; le gouvernement va devoir pousser les frontières de son action, au-delà de sa zone de confort normal. Il reste à espérer que les acteurs sur le terrain vont trouver l’extraordinaire parade requise pour ces six réacteurs en perdition et que l’arrivée des cerisiers en fleurs à la fin du mois marquera le début du renouveau.