iTunes, iPhone et… iTax edit
Apple s’intéresse aux véhicules autonomes et multiplie les initiatives dans ce domaine, la plus récente étant la prise de participation dans McLaren, le constructeur de voitures de course. Mais elle dispose déjà, et de longue date, du meilleur véhicule qui soit, qu’on suggère ici d’appeler l’iCar. Il n’a pas de roue, car il s’agit d’un véhicule… fiscal. À défaut, il permet à Apple d’optimiser au mieux sa charge d’impôt sur les bénéfices hors des États-Unis. iCar ou iTax, au choix pour le nom, mais par iTax, entendez « low tax ».
Avec la demande de redressement fiscal pour 13 milliards de dollars ouverte par la Commission européenne contre Apple, le sujet est maintenant sur la table. Faute de connaître le détail du dossier, on ne saurait dire quelle est la force des arguments de la Commission. Il paraît à première vue surprenant que celle-ci s’en prenne à Apple : après tout, Apple semble avoir signé en toute légalité un accord fiscal (ruling) avec un État souverain par lequel, au lieu d’appliquer son taux statutaire de 12,5%, l’Irlande lui fait bénéficier d’un taux insignifiant. L’iCar roule grâce à ce ruling. Il y a bien-sûr un sujet de concurrence puisqu’un Samsung ne bénéficie pas de ces facilités, mais dans ce cas, le coupable est l’Irlande. La Commission ou les autres États de l’Union européenne – qui subissent la perte, on y vient – pourraient s’en prendre plutôt directement à l’Irlande qui favorise cette pratique, quitte à ce que l’Irlande se retourne vers Apple si jamais celle-ci lui a tordu le bras par un chantage à l’emploi ou par tout autre moyen.
La situation est évidemment complexe. Si l’Irlande choisit de peu taxer les profits localisés dans son pays, c’est parce que le très gros de ceux-ci ne sont pas « produits » sur son sol, mais viennent des autres pays européens. Le ruling s’accompagne de montages fiscaux sophistiqués pour rapatrier ces profits européens en Irlande. Par exemple, le célèbre “double Irish” est très efficace : il fait en sorte qu’au départ de France la facturation aille d’abord en Irlande, puis aux Pays-Bas, puis à nouveau en Irlande et enfin aux Bermudes…
On mesure l’ampleur du phénomène en consultant les états financiers d’Apple pour 2015.
On y voit que Apple fait un taux de marge équivalent en Europe et aux États-Unis (en pratique, voir note du tableau, sur l’ensemble du continent américain), soit 33%. Ces profits sont taxés dans les deux zones et rapportent 16,2 milliards de dollars aux États-Unis, mais seulement 2,9 milliards dans l’ensemble du monde hors États-Unis, et 0,8 milliard (mon estimation) en Europe.
Dit autrement, Apple fait 35% de ses ventes aux États-Unis, ce qui occasionne 85% de sa charge fiscale. Elle en fait 22% en Europe, avec le même taux de marge, ce qui ne lui coûte que 4% de sa charge fiscale. On comprend pourquoi le Congrès américain, lorsqu’il avait enquêté sur les impôts de Apple et auditionné son PDG, a vite refermé le dossier, considérant que le groupe s’acquittait très raisonnablement de ses impôts aux États-Unis, et que les États-Unis pris globalement, à tout le moins les actionnaires d’Apple, profitaient largement de la sous-imposition dans les autres pays.
On peut estimer ce que coûte à l’Europe le montant de l’évasion fiscale par le canal irlandais. Si Apple payait en Europe la même proportion d’impôt qu’elle paie aux États-Unis relativement à son résultat d’exploitation (EBE), sa charge fiscale serait de 9,8 milliards de dollars. Elle serait de 5,4 milliards en retenant le taux moyen d’impôt sur les sociétés de l’Union européenne, soit 22,5%, alors qu’il est de 40% aux États-Unis. La réalité est probablement entre ces deux bornes, puisque le taux d’impôt facial est de 30% et 35% respectivement en Allemagne et en France, deux des plus gros marchés de Apple en Europe. Et ceci chaque année. La réclamation de 13 milliards de dollars faite par la Commission au titre de l’évasion fiscale passée est bien faible en regard.
Une fiscalité pour les groupes internationaux
Plutôt que de taxer les multinationales sur la base de la forme juridique que leurs diables de conseillers fiscaux mettent sur pied, taxons-les sur la substance économique de ce qu’elles font et où elles le font. Chaque société soumettrait au fisc du pays où elle fait des affaires un « rapport combiné » donnant les comptes consolidés du groupe dans la zone géographique et dans le pays et particulièrement le détail de trois agrégats : les actifs au bilan, la masse salariale et le chiffre d’affaires. Le profit imposable sur la zone, par exemple en Europe, serait alors éclaté entre les différentes entités nationales sur la base d’une pondération de ces trois agrégats. La formule la plus simple, appelée la Massachusetts formula, donne un poids égal à chacun d’eux. Il revient alors à chaque État de lever l’impôt sur la base de l’assiette de profit qui lui revient, et selon ses taux d’impôt en vigueur.
Massachusetts ? Eh oui, c’est le système qu’utilisent déjà les États-Unis pour répartir le produit de l’impôt pour une société qui opère dans plusieurs États fédérés. Cela marche efficacement. À noter que cela n’impose pas d’harmoniser les taux d’IS.
C’est ce système que la Commission européenne et l’OCDE tentent de pousser, avec difficulté, chaque pays préférant jouer solo en la matière alors qu’ils sont tous perdants collectivement, sauf les francs-tireurs comme l’Irlande qui compensent (si ce n’est dans le cas de Apple) le faible taux qu’ils retiennent par la très forte base fiscale qu’ils collectent. Aujourd'hui, il y a accord en Europe pour que les multinationales communiquent ces données aux fiscs nationaux, avec un débat pour savoir si ces données doivent être rendues publiques ou rester dans la confidentialité des services fiscaux. Aux fiscs nationaux de s’en débrouiller alors pour protester auprès de la multinationale si le profit déclaré est jugé insuffisant. C’est un premier pas. Mais on est loin d’une règle homogène comme celle qu’appliquent les États-Unis. Et certains viennent nous dire qu’il y a trop d’Europe !
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