Face aux partenaires sociaux, un retour de l’État? edit
Un projet de loi élaboré par le ministère du Travail a été soumis au Conseil d’État et aux partenaires sociaux au début d’avril. Présenté en Conseil des ministres le 22 avril prochain, il concerne la rénovation du dialogue social et notamment la fusion de certains mandats syndicaux dans les entreprises de moins de 300 personnes ou la représentation des salariés dans les TPE (moins de 11 personnes) grâce à la mise en place de Commissions régionales paritaires.
Cette initiative gouvernementale intervient dans un contexte marqué par deux faits importants apparus depuis janvier 2015. D’un côté, l’échec de la négociation interprofessionnelle sur la modernisation du dialogue social où était abordée, entre autres thèmes, la question des seuils d’entreprise au-delà desquels l’implantation syndicale est prévue et garantie par le droit. Pour certains commentateurs ou dirigeants syndicaux tel Jean-Claude Mailly (FO), il s’agit désormais de changer « les règles du jeu de la négociation professionnelle », suite à cet échec. En parallèle, organisée le 9 avril par FO, la CGT, SUD et la FSU, la journée de mobilisation contre « la politique d’austérité et la loi Macron », a montré le maintien d’un « pôle protestataire » qui a pour particularité de s’inscrire dans un climat de forte défiance de l’électorat populaire à l’égard du pouvoir politique comme l’ont révélé les dernières élections. Sur le terrain syndical, le contexte montre encore un syndicalisme toujours – voire plus que jamais – divisé entre « réformistes » et « protestataires ». Et en parallèle, un patronat qui, bien qu’également désuni – CGPME versus direction du Medef –, se veut très volontaire quant à ses objectifs et ses propositions de réformes du contrat de travail, par exemple. D’où les importants déséquilibres et tensions qui marquent, à ce jour, les rapports entre les partenaires sociaux.
Dans ce cadre, comment interpréter les récentes initiatives du gouvernement en matière de dialogue social ? Assiste-t-on à un retour de l’État ? La question se pose d’autant plus que la dernière négociation, mise en échec en janvier dernier, s’inscrivait dans la lignée d’une loi – celle du 31 janvier 2007 – qui ne visait pas seulement à dynamiser la négociation interprofessionnelle en accordant plus d’autonomie aux partenaires sociaux face au législateur. Elle stipulait aussi qu’un accord national interprofessionnel (ANI) pouvait désormais réformer la loi, ce qui fut le cas avec les nouveaux critères de représentativité syndicale fondée sur le vote direct des salariés ou avec l’ANI de 2013 sur la sécurisation de l’emploi et la performance des entreprises.
En fait, si l’autonomie des partenaires sociaux face au législateur s’est affirmée depuis la loi de janvier 2007, l’État est toujours resté présent au sein des relations sociales, au niveau local comme au niveau national. Dès le mandat de Nicolas Sarkozy, les injonctions gouvernementales incitant les entreprises à l’ouverture de négociations sur des thèmes jugés prioritaires se sont multipliées, qu’il s’agisse de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, de la pénibilité, du handicap, des risques psycho-sociaux, ou de l’emploi des seniors.
Reste néanmoins une réserve importante. On ne saurait aujourd’hui confondre les rapports de l’État au dialogue social avec ceux qui caractérisaient l’intervention classique du « politique » jusqu’au milieu des années 1980.
Longtemps, l’intervention de l’État fut marquée par l’héritage du Conseil national de la Résistance et un certain consensus entre la droite très étatiste qu’incarnait le gaullisme (mais aussi, dans une moindre mesure, les chrétiens-démocrates d’après-guerre) et une gauche qui l’était tout autant. La loi devait être impérative. Elle délimitait et contraignait les espaces de la négociation collective au sein de l’entreprise ou dans les branches.
L’une des grandes exceptions à la règle fut la réforme de la Formation professionnelle et continue. Encouragés par Jacques Delors, alors conseiller social de Jacques Chaban-Delmas, les partenaires sociaux signèrent en 1970 un accord qui réunissait l’ensemble des syndicats dont la CGT ; cet accord donna lieu l’année suivante à l’adoption par le Parlement d’un texte de loi approprié.
Si la loi de janvier 2007 peut évoquer les innovations contractuelles relatives à la formation professionnelle des années 1970, le rapport actuel de l’État au dialogue social rappelle aussi l’action du gouvernement Fabius et en particulier de Michel Delebarre, alors ministre du Travail, lors du vote en février 1986 d’un texte de loi dont il est utile de rappeler la spécificité.
Comme dans la situation présente, ce texte avait pour cause l’échec d’une importante négociation interprofessionnelle sur les conditions d’emplois et de travail, l’un des buts de la négociation étant alors de répondre à deux attentes précises, difficiles à articuler : la revendication syndicale sur la réduction du temps de travail et les aspirations du patronat à plus de flexibilité dans les organisations du travail. Dans ce contexte, le texte présenté par Michel Delebarre comporte une caractéristique essentielle : il codifie un compromis entre les aspirations des syndicats et celles du patronat. Ici, le droit n’a plus pour fonction exclusive de « protéger le plus faible face au plus fort » et de reprendre, légaliser et étendre telle revendication syndicale. Il vise à concilier les positions des uns et des autres. Ainsi, la loi votée en 1986 ne repose pas seulement sur la notion de réduction du temps de travail ; elle repose aussi sur celle d’aménagement et de modulation du temps de travail ; en d’autres termes, elle lie progrès social et flexibilité. En résumé, il s’agissait pour l’État de responsabiliser les partenaires sociaux, quel que soit le résultat des négociations à venir.
Loin d’être isolée dans le temps, cette initiative du gouvernement Fabius a su inspirer d’autres textes comme la loi Seguin (19 juin 1987), la loi Robien (11 juin 1996) ou la loi Aubry 2 (19 janvier 2000) qui concernaient aussi la durée du travail.
Aujourd’hui, les propositions gouvernementales à propos du dialogue social relèvent elles aussi de la logique du compromis (et de la codification légale du compromis) plus que de l’intervention classique de l’État et de la loi impérative. Comme les textes de loi cités ci-dessus, elles visent à concilier les positions des partenaires sociaux. On le constate, par exemple, à la lecture des mesures envisagées à propos de la réunion des instances de consultation et de négociation dans l’entreprise et en parallèle à propos de la représentation des salariés dans les TPE (qui constituent depuis toujours d’authentiques déserts syndicaux).
Au fond, le rapport actuel de l’État au dialogue social rompt avec les modèles interventionnistes du passé sans pour autant adopter une position purement libérale visant au « laisser faire » pour l’entreprise. Entre le « tout État » souhaité par certains et le « tout entreprise » souhaité par d’autres qui veulent voir l’essentiel de la négociation s’exercer au niveau local, l’État semble adopter une position médiane. Ou une position de… compromis.
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