Following from above edit

4 février 2013

L’intervention militaire française au Mali a mis en évidence trois éléments essentiels.

Le premier est de confirmer la capacité de la France à s’imposer comme le premier acteur stratégique européen. À la fois parce qu’elle dispose d’un outil militaire important et particulièrement réactif, révélé déjà lors de son intervention en Libye. Ensuite parce que cette capacité militaire est articulée à une vision du monde et non à la simple défense d’intérêts marchands. Au Mali, la France ne cherche ni à mettre main basse sur des ressources ni à exporter la démocratie et encore moins à prolonger une Françafrique à laquelle elle ne croît plus. Elle vise plus prosaïquement à stabiliser une région soumise à une pression islamiste violente exercée de surcroît par des forces non maliennes et susceptibles de déstabiliser l’ensemble de la sous-région tout en menaçant l’Europe.

Le second est de confirmer une fois de plus l’insignifiance stratégique de l’Union européenne, qui parle de stratégie globale à propos du Mali pour mieux évacuer la question militaire.

La troisième concerne enfin la nature de l’implication américaine dans le conflit. Washington demeure dans cette affaire l’allié stratégique le plus précieux pour la France. Mais cela ne saurait occulter la transformation des conditions de son engagement. En effet, après une décennie d’interventions militaires pour le moins infructueuses, l’administration Obama, soumise à des contraintes budgétaires croissantes, a clairement décidé de sacrifier une partie de ses forces terrestres pour maintenir intacte sa capacité de projection substantielle dans les airs et sur les mers. Et cela afin de pouvoir contenir la Chine. La conséquence de cet arbitrage est d’accentuer le tournant réaliste de la politique étrangère américaine, pour qui désormais seules sont recevables les interventions mettant directement en jeu ses intérêts immédiats. Dans les autres cas, il appartiendra aux alliés des États-Unis de faire la preuve de leur engagement pour pouvoir bénéficier le cas échéant de son soutien conditionnel. La mise en place de cette nouvelle approche a été appliquée en Libye où l’on a parlé à cet égard de leading from behind. Mais contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ici et là, ce concept est assez inapproprié car il laisse supposer que les Etats-Unis étaient leaders. Or ils ne l’étaient clairement pas. Simplement lorsque les Américains ne sont pas leaders ils ne s’imaginent que comme les leaders cachés et cela à la différence des Européens qui ne parviennent à ne théoriser que leurs faiblesses.

Sans la mobilisation initiale de Paris et de Londres, les États-Unis seraient probablement restés passifs. Tel était d’ailleurs le souhait initial du Département de la Défense mais également du Département d’État qui dans un premier temps alla jusqu’à menacer la France et la Grande-Bretagne de ne pas voter la résolution 1973. C’est en définitive Obama qui renversa ce choix bureaucratique en imposant l’idée d’une intervention militaire puissante sans envoi de troupes au sol et pour une période très limitée sous le parapluie de l’Otan. De fait, ce sont bel et bien les États-Unis qui ont assuré 75 % du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance, 75 % du ravitaillement en vol et 90% du ciblage. Cet apport fut bien évidemment considérable. Mais c’est en Libye que s’est forgé le concept qui se répète aujourd’hui au Mali et que l’on pourrait appeler following from above.

En quoi cela consiste-t-il ? À clairement faire savoir aux alliés des Etats-Unis que ceux-ci n’interviendront dans les zones non prioritaires pour eux que si leurs alliés s’y engagent préalablement, tel un investisseur attendant la mise de fonds préalable d’un promoteur. Comme en Libye, l’initiative a été laissée au Mali à la France. Et comme en Libye, le soutien américain se révèle crucial dans les quatre domaines où la France et les Européens connaissent de véritables lacunes : la reconnaissance aérienne, la détermination des cibles, le transport aérien et le ravitaillement en vol. Mais il y a au Mali un élément nouveau que l’on n’avait pas connu en Libye : la volonté inédite des États-Unis de faire littéralement payer à la France la location d’avions de transport de troupes. C’est un fait tout à fait inédit dans l’histoire des relations transatlantiques. Car même si en définitive cette option a été écartée, elle révèle à la fois l’érosion du soutien américain et la détermination de Washington à envoyer des signaux de non-assistance à Européens en danger. Le following from above prend ainsi une signification opérationnelle et symbolique. Opérationnelle puisqu’il n’implique pas l’envoi de forces militaires sur le terrain et se limite au domaine aérien. Symbolique puisqu’il se veut en simple appui à un effort consenti par d’autres.

Pour l’Europe, cette affaire est donc doublement préoccupante. D’une part parce qu’elle confirme les étonnants coups d’accordéon que peut connaître la politique américaine, qui en l’espace de cinq ans peut passer d’un expansionnisme inquiétant à un retrait tout aussi préoccupant. Certes, le Mali djihadiste ne menace pas directement les États-Unis. Et en tout cas moins que l’Europe. Mais est-il raisonnable de s’en tenir à une analyse aussi simple lorsque l’on voit ce qui a pu se passer le 11 septembre 2011 ? Ensuite parce que l’Europe s’acharne à ignorer la question de savoir dans quelles conditions elle peut et doit recourir à la force non pour maintenir la paix mais pour combattre les forces qui lui sont potentiellement hostiles.

L’aversion pour la guerre est un des risques les plus graves encourus actuellement par l’Union Européenne. Pour la France cette situation inquiétante aura deux conséquences. Elle va la contraindre à réévaluer l’importance du continent africain dans sa stratégie globale alors que le Livre blanc sur la défense de 2007 avait clairement minoré l’importance de ce continent probablement dans la perspective de justifier la réduction des forces terrestres françaises. La seconde sera de l’inciter à reposer la question de la force militaire à ses alliés européens. On sait que Madame Merkel reproche à la France de ne pas être enthousiaste pour son projet d’union politique. Mais comment faire l’Europe avec des Etats qui détournent la tête dès que l’on parle d’usage de la force tout en admettant presque cyniquement que la France défend au Mali l’Europe dans son ensemble ? La France doit désormais considérer que la question du recours à la force doit devenir un préalable à toute négociation sur l’intégration politique du continent. En nous indiquant qu’ils nous appuient par les airs, les Etats-Unis vont une fois de plus forcer les européens à sortir de leur torpeur politique et de leur médiocrité stratégique. Mais le voudront-ils ?