La politique étrangère d’Obama va-t-elle changer ? edit

8 novembre 2010

La très lourde défaite enregistrée par Barack Obama lors des élections de mi-mandat affectera-t-elle sa politique étrangère ? La droitisation de la politique interne condamne-t-elle le recentrage de la politique extérieure engagé par le président américain depuis son élection ? La réponse est nuancée.

Le président américain dispose de prérogatives considérables en matière de politique étrangère qui l’immunisent partiellement de la tutelle du Congrès. De surcroît, il n’y a pas à proprement parler d’agenda républicain en matière de politique étrangère. Même au sein du Tea Party, les positions sur le sujet sont disparates. L’une de ses étoiles montantes, Marc Rubio, élu sénateur de Floride, se montre très favorable au maintien d’une posture militaire forte. En revanche, l’autre vedette du Tea Party, Rand Paul, élu du Kentucky, est bien décidé à sabrer toutes les dépenses publiques dont les dépenses militaires. Tout ceci fait que sur un sujet aussi important que l’Afghanistan, le président américain aura paradoxalement les mains libres. Au demeurant, jusqu’à présent ce sont les démocrates qui se sont montré les plus rétifs à l’engagement militaire dans ce pays alors que les républicains ont jusque-là soutenu l’accroissement des troupes. On peut donc raisonnablement penser que sur ce front, le président américain n’aura pas à se soucier du changement de majorité au Congrès ce qui ne veut naturellement pas dire que la stratégie afghane des États-Unis s’en trouvera pour autant simplifiée. Les contraintes de la politique américaine se trouvent sur le terrain : persistance de l’insurrection, corruption du régime de Kaboul, ambivalence du jeu pakistanais que le voyage du président Obama en Inde ne pourra probablement que renforcer.

Doit-on pour autant conclure que les élections resteront sans effet sur la politique étrangère américaine ? Rien n’est moins sûr.

Il faut tout d’abord à rappeler que chaque fois qu’un président affronte un Congrès dominé par l’opposition, il se doit mécaniquement de consacrer beaucoup plus de temps à rechercher des accommodements politiques avec le pouvoir législatif ce qui implique nécessairement un désengagement relatif des questions internationales surtout lorsque celles-ci ne sont pas susceptibles de se traduire par des gains politiques internes. Cela signifie par exemple que sur certains grands dossiers comme celui du changement climatique il est fort à parier que le président Obama, déjà confronté à une opposition au sein de sa majorité sur cette question, se montrera encore plus prudent compte tenu de la féroce opposition des républicains à toute stratégie de lutte contre le changement climatique. Le nouveau leader des républicains John Boehner a par exemple exprimé son scepticisme sur les effets négatifs du changement climatique et manifesté son opposition à toute action dans ce domaine jugée menaçante pour l’emploi.

Par ailleurs dans le domaine stratégique, il est à craindre que la majorité républicaine se montre très réservée à l’égard de la Russie. Alors que traditionnellement il existait au Congrès américain un consensus assez large sur la question nucléaire entre républicains et démocrates, les choses ont depuis beaucoup changé. Il est fort à parier que le président Obama fera tout pour faire ratifier l’accord Start avec la Russie avant le mois de janvier. Mais il est peu probable qu’il puisse aller au-delà et notamment faire ratifier le traité sur la limitation des essais nucléaires (CTBT). Il y a chez les républicains une identification persistante de la Russie à l’Union soviétique qui ne va guère faciliter le dialogue avec Moscou alors que la stratégie de long terme des États-Unis vise indiscutablement à intégrer la Russie au périmètre de la sécurité européenne dans le but de faire contrepoids à la Chine, l’adversaire stratégique de demain. Les républicains seront-ils sensibles à cet argument qui consiste à se rapprocher de la Russie pour mieux faire face la Chine ? La question reste ouverte. Mais le précédent de l’administration Bush incite à la prudence voire au pessimisme, tant les républicains semblent puissamment motivés par des considérations de nature idéologique. L’autre grand sujet sur lequel la nouvelle majorité républicaine risque de gêner le président Obama concerne le Proche-Orient. Certes, le président américain dispose d’une certaine marge d’action. Mais il est acquis qu’un Congrès dominé par les républicains veillera scrupuleusement à prévenir toute politique qui d’une manière ou d’une autre viserait à exercer des pressions accrues sur Israël. La capacité américaine d’agir en faveur d’un règlement au Proche-Orient s’en trouvera indiscutablement réduite surtout si le Congrès américain décide d’ostraciser la Turquie jugée coupable de s’être émancipée des États-Unis sur le dossier nucléaire iranien et d’avoir coupé les liens avec Israël au lendemain de l’affaire de la flottille de Gaza.

En revanche, on peut imaginer sans difficulté aucune que le président Obama s’intéressera de plus près à la diplomatie économique des États-Unis afin de stimuler la création de nouveaux emplois. D’une certaine manière, cette réorientation est symbolisée par le voyage qu’il effectue actuellement en Inde. Elle s’est aussi exprimée à travers l’action de la Fed dont le quantitative easing (achat de 600 milliards de dollars de bons du Trésor par la Fed, réinjectés dans l’économie) conduira à la baisse du dollar et donc à un renchérissement des autres monnaies. Cette politique a d’ores et déjà entraîné des réactions négatives de la part des pays émergents mais également des pays de la zone euro notamment de l’Allemagne. Tout cela compromet les chances de succès du sommet du G-20 qui s’ouvre à Séoul le 12 novembre prochain, car beaucoup de pays dont le Brésil, la Chine, et les pays de l’ASEAN craignent d’être envahis par des apports de capitaux à court terme qui renchériraient leur monnaie et pénaliseraient leurs exportations. Les Chinois viennent d’ailleurs de faire savoir qu’ils souhaitent aborder à Séoul cette question à leurs yeux plus prioritaire que l’étude de la proposition Geithner sur les soldes de balance courante. Le secrétaire américain au Trésor a en effet proposé ces dernières semaines que les pays du G-20 s’engagent à maintenir le solde de leur balance courante dans une fourchette de -4 à+ 4 % du PNB, un moyen pour les États-Unis d’aborder la question de la réévaluation du yuan de manière moins frontale. Si à Séoul, les États-Unis ne parviennent pas à faire avancer leurs propositions il est donc à craindre que le nouveau Congrès républicain menacera de sanctions la Chine ce qui ne facilitera pas les relations déjà tendues entre Washington et Pékin. Mais Barack Obama pourra toujours agiter la menace du Congrès malveillant pour arracher aux Chinois un certain nombre de concessions.

Dans le domaine économique, une des questions qui se pose après les élections concerne les chances de reprise du cycle des négociations commerciales à l’OMC. A priori, les perspectives de reprise de ces négociations sont théoriquement rendues plus faciles par l’arrivée d’une majorité républicaine dans la mesure où traditionnellement les républicains ont toujours été beaucoup plus libre-échangistes que les démocrates. Mais en la matière, la marge des républicains demeure fort étroite. La plupart des gains électoraux qu’ils ont engrangés cette année l’ont été dans les États industriels du centre où les ouvriers sont fort nombreux et ont clairement fait défection aux démocrates. On ne les voit donc pas prôner une reprise des négociations commerciales qui à tort ou à raison pourraient être perçues comme pouvant fragiliser ces nouveaux électeurs. Il est en revanche probable que les républicains se montrent plus ouverts à la ratification d’accords commerciaux bilatéraux comme celui qui lie les États-Unis à la Corée, un accord signé mais non encore ratifié. Pour les républicains, ces accords bilatéraux ont l’avantage de permettre une ouverture des marchés émergents tout en les assortissant d’une conditionnalité sociale forte qui leur permettra de faire valoir leur électorat qu’ils peuvent gagner sur les deux tableaux : création d’emplois sans dumping social.

Après les élections, la politique étrangère américaine ne va pas fondamentalement changer. Mais elle va indiscutablement compliquer la tâche de Barack Obama sauf si celui-ci peut tirer avantage de la désunion des républicains ou de leurs erreurs. Cette dernière hypothèse n’est pas purement théorique.