La crise politique espagnole est-elle soluble dans les élections? edit
Lundi 13 juin a eu lieu un événement inédit dans l’histoire de la démocratie espagnole : un débat télévisé entre les quatre candidats à la présidence du gouvernement. Certes, en 1993, un premier duel avait opposé le président Felipe González (PSOE) à José María Aznar. Sorti chagrin de l’épreuve, Aznar refusa le débat télévisé lors de la campagne en 1996, tout comme en 2000. Il faudra attendre 2008 pour voir à nouveau débattre les candidats socialiste et populaire (Zapatero et Rajoy en 2008, puis Rubalcaba et Rajoy en 2011). En décembre dernier, Mariano Rajoy avait refusé une proposition de débat à quatre pour n’accepter qu’un débat avec Pedro Sánchez le leader socialiste. Le Parti Populaire (PP) avait utilisé l’argument de la représentation parlementaire. Il est vrai qu’avant le 20 décembre ni Podemos, ni Ciudadanos (C’s) n’avaient de députés!
Les élections du 26 juin ont été rendues nécessaires par le blocage politique et parlementaire né des élections de décembre. Il s’agissait pour Mariano Rajoy (PP), Pedro Sánchez (PSOE), Pablo Iglesias (Podemos) et Albert Rivera (C’s) de justifier la convocation de ces élections, de développer leur programme électoral et d’esquisser de possibles mouvements politiques et parlementaires après le vote des Espagnols. Le tout avec pour horizon une relative stabilité du rapport de forces. Toutes les enquêtes concordent pour prévoir une arrivée en tête du PP autour de 29%, une poussée de Podemos qui, ayant fait alliance avec les communistes de Izquierda Unida (IU), espère atteindre 24 à 25% des voix, un tassement du PSOE entre 21 et 22% et une quatrième place pour C’s (13-15%). Pour mémoire, en décembre 2015, le PP a obtenu 28,7% des voix, le PSOE 22%, Podemos 20,7% et C’s presque 14%. Autrement dit, la seule véritable évolution concerne la gauche radicale de Podemos. Une lecture plus fine nuance cette impression. Podemos concourt en coalition avec IU. Les intentions de vote qui vont à cette coalition représentent exactement la somme du résultat obtenu par les deux forces en décembre (20,7% + 3,7% soit 24,4%). Tout va donc se jouer à la marge.
Le débat a-t-il permis de répondre au seul véritable enjeu de ces élections, à savoir : qui va gouverner avec qui et comment? Pour le reste, les programmes économiques et politiques sont connus et demeurent les mêmes que ceux de décembre. On l’a vu clairement lundi soir : chaque candidat défendait son option et, à l’exception de Mariano Rajoy, critiquait le gouvernement. Aussi le président sortant a-t-il pu, sans talent mais non sans succès, défendre ce bilan et plaider avec habileté la cause de sa gestion. Les enquêtes d’opinion montrent d’ailleurs que Rajoy s’en est plutôt bien sorti… à l’exception du passage consacré à la corruption et à la nécessaire régénération démocratique. Là, Rajoy avait plus à faire que n’importe quel membre de Mission impossible. Cela s’est vu et entendu. Si le PP ne progresse pas par rapport à décembre, l’analyse politique et électorale de cette situation sera facile à faire (au moins sur le papier ; pour les conséquences pratiques, ce sera une autre affaire).
En vérité, on le sait, les élections sont nécessaires puisque la mécanique parlementaire n’a pas accouché d’une majorité politique et donc que les responsables des partis sont contraints de subir un nouvel arbitrage des électeurs. Ceux-ci se résignent au vote mais après le 26 juin la balle sera dans le camp des élus. Aussi le prolongement du blocage – qui reste une hypothèse plausible – serait-il très contre-productif pour le(s) parti(s) qui en serai(en)t tenu(s) pour responsable(s).
Quand la question fut abordée (il était déjà plus de minuit – les débats en Espagne commencent à 22h10!), le public était déjà un peu las tant l’exercice du débat est contraint. Pablo Iglesias a été le plus clair : il veut un gouvernement avec les socialistes du PSOE. Mariano Rajoy a répété ce qu’il dit depuis huit mois : doit gouverner le parti qui obtient le plus de voix. Albert Rivera, fort du premier signe envoyé en janvier lors d’un accord avec le PSOE, a insisté sur la volonté de la formation centriste d’être un facilitateur d’accord. Quant à Pedro Sánchez, il a rendu plus éclatante encore la difficulté dans laquelle est le PSOE en refusant de se prononcer et en demandant aux Espagnols un vote massif en faveur des socialistes.
Cette séquence conclusive met en lumière la situation exacte du jeu politique espagnol :
. Le PP sera peut-être (et vraisemblablement sûrement) en tête au soir du 26 juin, mais il n’a pas d’allié possible. Les centristes refuseront de s’associer à un parti si corrompu. N’oublions pas, en outre, que le vivier militant de C’s est plus constitué par des déçus du PSOE que des transfuges du PP. Aussi, si l’électorat de C’s appartient plus à la droite électorale, ses cadres regardent du côté du centre-gauche. N’a-t-on pas la malformation congénitale qui risque de transformer C’s en un MRP espagnol? Peut-être. N’oublions pas que le MRP a cependant contribué pendant près de 15 ans au gouvernement de la France… Sauf résultat très bon (autour de 130 sièges) qui lui donnerait une vraie avance, le PP risque de se retrouver face à son impuissance à transformer une victoire électorale en majorité parlementaire. Cela s’est déjà passé après le vote de décembre. Si le résultat est mauvais (moins de 120 sièges), les tensions internes déchireront le PP qui voudra trouver dans une (rapide) cure d’opposition les moyens d’une refondation.
. Podemos a toutes les chances de réaliser le sorpasso (ce mot d’origine italienne est entré dans le vocabulaire politique espagnol), c’est-à-dire de devenir le premier parti de gauche. Pourra-t-il pour autant faire passer le PSOE sous ses fourches caudines? Pedro Sánchez, dont l’animosité envers Iglesias était palpable pour le téléspectateur, vient de préciser clairement sa position. Podemos aura peut-être un plus grand nombre de députés que le PSOE (les enquêtes en accordent autour de 80 aux deux listes). Mais Podemos est un conglomérat : on y trouve Podemos, En comú (la marque catalane), Marea (la galicienne), Compromis (la valencienne), sans oublier les alliés communistes de Izquierda Unida. Déjà en janvier, Iglesias avait tenté de constituer quatre groupes parlementaires. Le Parlement s’était opposé à cette manœuvre qui aurait multiplié par quatre le temps de parole des “podemitas” (c’est ainsi que la presse espagnole désigne parfois les députés de Pablo Iglesias). Rien ne dit que les socialistes ne vont pas cette fois-ci accepter la manœuvre qui leur redonnerait ainsi la primauté à gauche! Il y a là un duel à mort pour l’occupation du centre de gravité de la gauche. Pedro Sánchez l’a bien résumée : soit le PSOE tombe du côté de Podemos, soit il tombe du côté du PP avec la grande coalition. Or il refuse cette alternative. On le comprend pendant la campagne. Reste que le 27 juin, cette alternative risque d’être le piège dans lequel il sera placé.
. Le pacte PSOE-C’s a peu de chances de permettre la constitution d’un gouvernement. Déjà cette alliance du deuxième et du quatrième des élections de décembre s’est heurtée à l’opposition du PP et de Podemos. Dieu sait si Pedro Sanchez l’a rappelé et le rappelle pendant cette campagne. Comment, si le PSOE glisse à la troisième place penser qu’un pacte avec la quatrième force sera opératoire? La construction d’une alternative de centre-gauche est actuellement impossible à cause de la bipolarisation extrême que suscitent le PP et Podemos.
Aussi les conditions du blocage semblent être maintenues. Il est peu vraisemblable que le résultat du scrutin du dimanche 26 juin redistribue complètement la donne politique.
Cependant d’autres éléments vont peser : le résultat du référendum britannique du 23 juin (il est frappant de voir comment la question occupe de plus en plus les titres de la presse), la question catalane. Celle-ci, chaque fois plus complexe, ne cesse de devenir plus illisible. Le budget du gouvernement catalan fait l’objet d’un rejet du parlement. Les radicaux indépendantistes de la CUP (Candidature d’Unité Populaire), qui participent à la majorité parlementaire, votent contre. Le président Puigdemont a annoncé qu’il se soumettrait à un vote de confiance début septembre. On sait d’ores et déjà que le 11 septembre 2016 sera à nouveau mobilisé par les nationalismes catalans pour continuer de faire vivre une revendication sécessionniste fragile politiquement et impensable juridiquement. Tel est le climat catalan dans lequel se déroule la campagne actuelle. Or les quatre circonscriptions catalanes, ce sont 47 députés. Les sondages accordent actuellement 8 sièges au PSOE (sous la marque PSC) et 4-5 au PP, soit entre 12 et 13 députés pour les deux partis qui prétendent gouverner au niveau national (et 13 députés pour En Comú-Podemos). Jamais la Catalogne n’a été politiquement et électoralement aussi distincte du reste de l’Espagne. Tout cela complique à l’évidence la construction de pactes post-électoraux.
Tout dans cet article souligne la complexité du paysage et le paradoxe entre d’une part, une situation politique, sociale et culturelle extrêmement fluide et d’autre part, une solution parlementaire et gouvernementale extrêmement rigide à cause des blocages partisans et logiques qui accompagnent la conquête et l’exercice du pouvoir. D’où notre question initiale restée sans réponse : la crise politique espagnole est-elle soluble dans les élections?
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