La primaire de la «gauche de gouvernement», un piège pour qui? edit
Il y a de multiples raisons de saluer la décision du Parti socialiste d’organiser dans tous les cas une élection primaire présidentielle. Mais y voir seulement un coup machiavélique de François Hollande pour piéger ses adversaires au sein du Parti socialiste ne rend pas compte de toute l’histoire.
Sans pouvoir affirmer que le sondage BVA pour Le Figaro, RTL et LCI paru le 17 juin, ait été à l’origine de la décision du pouvoir socialiste, il lui a fourni néanmoins deux arguments pour aller dans ce sens. Premier argument : invités à désigner le meilleur candidat socialiste à leurs yeux pour 2017, l’ensemble des personnes interrogées ont placé François Hollande en sixième position, avec 4%, derrière Macron, Mélenchon, Valls, Montebourg et Hulot. Dans ces conditions, il devenait de plus en plus difficile pour la direction du parti de refuser une primaire si le président sortant se représentait en 2017, d’autant que l’une des raisons données à ce refus était que François Hollande était le candidat socialiste le plus apte à rassembler le PS et la gauche. Deuxième argument : les choix des sympathisants socialistes à cette même question donnait non seulement la première place à François Hollande, 21%, mais surtout 55% à l’ensemble des « socialistes de gouvernement », Hollande, Valls (18%) et Macron (16%), tandis que les candidats socialistes « protestataires » ne rassemblaient que 11%, 10% pour Montebourg et 1% pour Lienemann, auxquels on pourrait ajouter les 8% de Mélenchon et le 1% de Duflot, les 6% de Hulot étant difficiles à attribuer à l’un des deux camps. Ce qui signifie que le camp « gouvernemental » pourrait l’emporter lors de cette primaire même si la candidature de Hollande ne bénéficiait pas de l’ensemble des préférences qui se portent sur les personnalités de son camp.
La décision prise est donc judicieuse sur le plan tactique. Elle l’est d’autant plus que, face à une éventuelle candidature Hollande, les « antigouvernementaux » sont divisés. À côté de la probable candidature de Montebourg, Lienemann a déjà annoncé la sienne. Que feront Hamon et les aubrystes qui ne sont pas a priori favorables à la candidature Montebourg ? Or, le camp des pro-gouvernementaux sera probablement moins divisé, surtout si le président sortant se représente. La décision est judicieuse également car, si François Hollande est désigné, elle l’aidera à donner une justification à une candidature qui, pour l’instant, en manque singulièrement et privera les frondeurs de leur argument contre le « coup de force » de la direction. En même temps, en se ralliant à la procédure de la primaire, il se laisse le temps de décider s’il sera ou non candidat sans subir la pression croissante de ses adversaires et d’une opinion pour l’instant hostile.
Cependant, contrairement à l’idée émise selon laquelle cette décision est surtout un piège pour les adversaires de Hollande, il s’agit aussi d’un piège pour le président lui-même. En effet, en avouant qu’il ne peut éviter une primaire il montre ainsi sa faiblesse et prend le risque de devoir se retirer si la conjoncture politique lui demeure défavorable ou d’être battu s’il s’y présente. Le président « normal » devient un candidat comme un autre, devant défendre une politique impopulaire chez nombre de socialistes. En effet, si les sondages demeurent aussi défavorables à la fin de l’année et si l’apparition de plusieurs candidatures diminue encore sa popularité et les souhaits de le voir se présenter, il sera probablement amené à renoncer. Le recours à une primaire étale enfin au grand jour les divisions et les faiblesses d’un parti qui aurait dû normalement s’accorder pour laisser son président sortant se représenter. Mais, au total, en donnant au PS une porte de sortie, cette décision confirme que l’adoption par les socialistes en 2009 du processus de la primaire ouverte était une bonne et sage décision.
La décision prise ne doit cependant pas être lue uniquement du point de vue de ses avantages tactiques. En effet, il existe aussi de fortes et bonnes raisons, plus stratégiques, d’organiser une primaire ouverte. La première est que cette procédure, qui intéresse les électeurs et leur permet de participer à la désignation du candidat socialiste, donne l’occasion au parti, comme ce fut le cas en 2011, d’organiser un débat devant le pays, de faire connaître ses candidats et de permettre à chacun d’eux de faire campagne et de défendre ses positions. La candidature présidentielle du gagnant y puisera un regain de légitimité. Ensuite, face à la droite de gouvernement, la gauche de gouvernement pourra profiter de cette procédure pour ne pas laisser à cette dernière le monopole du débat et de la présence médiatique. Le PS s’affirmera à nouveau comme le seul parti de gauche capable d’organiser une primaire et conservera ainsi son statut de « parti présidentiel ». De ce point de vue l’idée d’une primaire de « la gauche de gouvernement » est excellente même si Jean-Christophe Cambadélis continue à faire semblant de regretter l’impossibilité d’organiser une primaire de toute la gauche, folie qui signifie qu’une victoire éventuelle de Jean-Luc Mélenchon à cette primaire ferait de lui le candidat des socialistes en 2017.
Le véritable clivage qui aujourd’hui divise la gauche est bien celui qui sépare la gauche de gouvernement de la gauche protestataire, même si le PS comprend en son sein une partie de cette gauche protestataire. Du coup, cette primaire devrait permettre au Parti socialiste de trancher en son sein la question fondamentale de la ligne politique et plus ainsi de savoir s’il demeurera ou non un parti de gouvernement, alors qu’en reportant ce débat inévitable à la tenue d’un congrès au lendemain d’une lourde défaite il en résulterait probablement une victoire des antigouvernementaux sur une ligne clairement anti social-libérale.
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