La solitude du président edit
Dans sa récente interview à la revue Le Débat (n°191, septembre/octobre 2016), François Hollande regrette d’avoir manqué de partenaires et d’alliés pour pouvoir mener sa politique. Il soulève à ce propos un point important qu’il analyse comme l’un des vices de la Ve République : « En France, le président, même avec une majorité absolue à l’Assemblée nationale, est minoritaire dans le pays, par la nature même du système politique et des clivages structurés par l’élection présidentielle. » Il remarque en effet que le parti majoritaire ne représente dans le pays qu’entre un quart et un tiers des voix. « À la différence des pays parlementaires, poursuit-il, où les dirigeants, grâce à des coalitions, peuvent s’appuyer sur des majorités larges, le président français ne bénéficie en réalité que d’une assise étroite dans le pays ». Cette situation du président sera demain sans issue, ajoute-t-il, puisqu’élu face au Front national, il le sera « par défaut et non par adhésion. La contestation de son action est inscrite dans les données du scrutin », conclut-il. Lorsque Pierre Nora et Marcel Gauchet lui demandent comment faire face alors à ce risque, François Hollande donne comme première réponse « une large alliance dépassant les clivages ». Solution qu’il écarte d’emblée : « J’en mesure immédiatement les conséquences : ce serait donner à l’extrême-droite la possibilité d’apparaître comme la seule alternative. » Ainsi, pour le président de la République, le véritable choix est entre battre le Front national avec une majorité par défaut qui se désagrégera immédiatement et ne permettra donc pas de gouverner ou former une coalition qui pourrait déboucher sur l’arrivée au pouvoir de ce parti. Bref, dans tous les cas de figure, le pays, sous le régime de la Ve République, n’est plus gouvernable par les partis hostiles au Front national.
Le président part d’une observation juste et importante : le décalage entre la relative faiblesse en voix du parti majoritaire et sa majorité absolue à l’Assemblée nationale frappe celle-ci d’une fragilité politique réelle. Mais il omet de rappeler que ce décalage résulte pour une large part du mode de scrutin majoritaire à deux tours dans un système de partis qui tend aujourd’hui à se fractionner. Un autre mode de scrutin qui assurerait une représentation équitable des différentes forces politiques tout en favorisant la formation de coalitions partisanes au Parlement et au gouvernement permettrait de faire sauter le verrou du clivage gauche/droite que le mode de scrutin actuel conforte. François Hollande, ayant finalement renoncé à modifier ce mode de scrutin, semble implicitement justifier cet abandon par l’affirmation selon laquelle, de toutes manières, toute coalition large amènerait le Front national au pouvoir. Une telle affirmation mériterait d’autant plus d’être argumentée qu’il reconnaît lui-même que l’avantage des régimes parlementaires est de permettre, ailleurs, la formation de telles coalitions. Certes, rien n’interdirait alors en France à la droite, comme cela s’est déjà produit dans quelques autres pays européens de manière exceptionnelle et temporaire, de préférer une alliance avec l’extrême-droite. Mais il s’agirait là des effets de la logique parlementaire.
De toutes manières, les coalitions parlementaires, se fondant sur un contrat de gouvernement, ne sont pas de simples majorités par défaut. En outre, elles permettent aux chefs des partis qui les composent, étant obligés de passer des compromis entre eux, de faire admettre à leurs élus et militants que l’écart entre leur propre programme et celui de la coalition à la quelle ils décident d’appartenir, est légitime et ne constitue pas une trahison de leurs principes. Cet avantage serait particulièrement précieux chez nous, quand on sait – ce que François Hollande omet de rappeler – qu’au cours du quinquennat actuel, ce n’est pas d’abord le décalage entre le pays légal et le pays réel qui a empêché l’exercice du pouvoir mais la défection d’une partie de la majorité parlementaire. À la différence d’un régime parlementaire, le président ne pouvait pas remplacer sa minorité sécessionniste par un apport venu d’ailleurs. Son action s’en est trouvée paralysée.
Ainsi, de deux choses l’une : ou bien la relative paralysie du pouvoir, que François Hollande reconnaît lui-même, a été due d’abord à l’impossibilité du président d’obtenir le soutien de son propre parti, et alors le problème n’est pas d’abord celui du fonctionnement du régime politique mais celui de la majorité et donc du Parti socialiste et de son chef réel, le président de la République. Dans ces conditions ce ne serait pas parce que le Parti socialiste n’a pas été en état de gouverner qu’un autre parti ne pourrait pas l’être. Ou bien cette paralysie est due d’abord au régime institutionnel et aux lois électorales en vigueur. Mais alors, François Hollande ne peut pas se contenter de constater qu’il n’y a rien à faire tout en semblant préparer sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Pourquoi, en effet, un second mandat permettrait dans ces conditions de réaliser ce que n’a pas permis de réaliser le premier ?
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