Les embarras de Jean-Christophe Cambadélis edit
Jean-Christophe Cambadélis accuse le journal Le Monde de vouloir « faire la peau au Parti socialiste pour installer une France FN/républicains sans gauche ». La charge est lourde. Est-elle justifiée ? Ce journal ne fait que souligner une évidence : le PS va se retrouver au second tour des élections régionales face à un grave dilemme dans les régions où le FN peut l’emporter : « aider la droite ou favoriser le FN ». Alors que le PS tente de mobiliser la gauche contre le « bloc réactionnaire », qui, si l’on comprend bien, se constitue de l’ensemble de la droite de gouvernement et de l’extrême-droite, il est cruel de lui rappeler que s’il persiste dans cette analyse, au soir du premier tour, il lui faudra logiquement laisser le FN battre la droite de gouvernement. La logique de ce concept politique de « bloc réactionnaire » conduit en effet à maintenir les listes socialistes au second tour puisque droite et extrême-droite sont considérées comme politiquement équivalentes. Ce qui signifie que le FN n’est pas l’ennemi prioritaire pour le PS, ce qui par ailleurs est souvent contredit par des responsables de ce parti qui ciblent en priorité le parti de Marine Le Pen. D’où peut-être l’embarras du Premier secrétaire et l’explication de son énervement.
Tout semble déjà joué en réalité. Faute d’avoir anticipé cette situation, faute d’avoir clairement désigné l’ennemi principal et d’avoir élaboré une stratégie politique et électorale en conséquence, les socialistes sont dans l’impasse. Quoi qu’ils décident, les conséquences de leur choix seront négatives pour eux. Laisser des régions importantes au FN sera mis à leur débit. Se retirer en faveur de la droite divisera le parti et sera en contradiction avec la stratégie du rassemblement de la gauche contre le « bloc réactionnaire » ; un tel revirement de dernière minute sans préparation politique serait lu alors comme purement tactique. Il n’est même pas certain que cette option empêcherait à coup sûr une victoire du FN, notamment dans le Nord. Certes, la droite, qui a refusé l’idée du Front républicain depuis quelque temps déjà, n’a pas fait preuve de plus de clairvoyance que la gauche. L’une et l’autre demeurent très attachées au clivage gauche/droite pour l’élaboration de leurs stratégies, stratégies qui se fondent sur l’idée que l’alternance se fera toujours entre la gauche et la droite de gouvernement. Or, gauche et droite n’existent plus comme opérateurs pertinents pour organiser le fonctionnement de notre système politique puisque l’union de la gauche sur un programme de gouvernement est impossible et que la droite et le Fn sont engagés dans un combat mortel.
Dès lors, il est temps que les deux grands partis de gouvernement, se posent la question de l’ennemi principal. S’ils estiment que c’est le Front national, ils doivent en tirer les conséquences pour leur stratégie. Faute de l’avoir fait plus tôt, l’un et l’autre risquent de se retrouver sans boussole au soir du premier tour des régionales et battues au soir du second dans certaines régions.
La question principale qu’ils doivent se poser est celle de la construction européenne. De deux choses l’une : soit ces partis sont convaincus de la nécessité de relancer la construction européenne y compris dans le domaine institutionnel, soit ils donnent la priorité à la reconstitution de l’axe gauche/droite. Dans ce dernier cas, la pente logique sera le rapprochement sinon l’alliance entre la droite et le FN et, donc, la fin probable de l’appartenance de la France à la zone euro. Quant au parti socialiste, rongé par le souverainisme de gauche, il tentera une fois encore de réanimer l’Union, ce qui signifie, ici aussi, la prise de distance avec le projet européen. S’ils choisissent au contraire la voie européenne, ces deux partis doivent alors se poser la question non plus seulement de ce qui les sépare mais aussi de ce qui les rapproche au niveau de leurs projets et de leurs valeurs. Et donc d’envisager l’éventualité de gouverner ensemble. Le choix entre ces deux options est un choix fondamental pour l’avenir de notre pays. Ce n’est pas le type de choix que l’on peut effectuer dans l’urgence sous la pression d’un second tour de scrutin d’une élection régionale. Il ne peut être essentiellement un choix tactique. C’est un choix stratégique qui demande du temps, de l’ouverture d’esprit, des discussions, bref un choix qui doit être longuement pesé.
Si les deux partis ne se décident pas à affronter leur dilemme central alors l’histoire décidera pour eux au lieu qu’ils décident pour elle. Certaines voix annoncent déjà l’élection de Marine le Pen en 2017. Certes, une telle prévision semble bien hasardeuse. Néanmoins, un acteur politique de premier plan doit envisager toutes les hypothèses même les pires. Anticiper pour agir. Au bout du compte chacun pour lui-même doit se demander quel est l’ennemi principal et répondre à cette question. Ne pas y répondre de manière stratégique, c’est s’abandonner aux hasards de l’histoire… hasards parfois très malheureux ! Ce n’est pas un journal du soir qui peut avoir « la peau du PS », c’est le PS lui-même, en choisissant de mauvaises stratégies fondées sur de fausses analyses. Si le FN l’emporte dans une ou deux régions l’électrochoc produit conduira peut-être le Parti socialiste à réexaminer sa stratégie. Sinon, bis repetita, il se retrouvera probablement au soir du premier tour de l’élection présidentielle au point où il risque fort de se trouver au soir du premier tour de l’élection régionale dans le Nord. Avec un enjeu autrement plus important. Ce n’est pas d’abord d’un Front républicain électoral dont le PS a besoin mais d’une analyse ainsi que d’une stratégie qui puissent fonder éventuellement une telle tactique. Rappelons que cette élection aura lieu dans moins de dix-huit mois, c’est-à-dire demain !
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