Europe : en attendant Obama... edit

19 janvier 2009

Il n'est pas inutile de se demander ce que l'Europe est en droit d'attendre de l'administration Obama. Pourtant la réponse à cette question n'a de sens que si préalablement les Européens s'interrogent sur ce qu’eux-mêmes attendent des États-Unis. Or il n'est pas acquis que les Européens soient au clair avec eux-mêmes au terme d'une année riche en événements et aux enseignements contradictoires.

Pour être riche en événements l'année 2008 le fut : crise financière, crise géorgienne, ralentissement économique et nouvelle tension politico-économique avec la Russie à propos de la question du gaz. Comme toujours les crises rebattent les cartes du jeu européen en créant des gagnants et perdants.

Le gagnant c'est la BCE qui était l'objet de très vives critiques de la part de bon nombre de gouvernement dont le gouvernement français et de pas mal d'experts qui l'accusaient de dogmatisme idéologique, de méconnaissance des contraintes économiques et plus généralement d'absence totale de souplesse politique. On n'aura pas ici la cruauté de rappeler les critiques de ceux qui trouvaient dans la Fed le contre-modèle d'une BCE rigide. On ne le fera pas car nous savons désormais que le laxisme monétaire de la Fed explique pour une bonne part la formidable défaillance du système financier américain et qu'à l'inverse la rigueur de la BCE permet de comprendre en partie pourquoi l'Europe n'a pas connu de crise financière aussi grave.

Le perdant c'est indiscutablement la Commission qui n'est désormais plus que l'ombre d'elle-même avec la bénédiction urbi et orbi de son président. La collégialité de cette institution est désormais purement formelle. La plupart des commissaires ont pour souci prioritaire de protéger leur portefeuille en passant entre eux des accords de non agression.

Le président de la Commission, lui, a passé un autre pacte. Avec les États membres et notamment les plus puissants d'entre eux. Contre une docilité politique dont il soigne à l'évidence les signes extérieurs, il espère obtenir la reconduction de son mandat si la majorité de droite au Parlement européen est reconduite aux élections de juin 2009. La contrepartie a été l'émergence d'un véritable directoire des grands États, un directoire que le président de la République française a magnifiquement représenté. D'abord pendant la crise géorgienne. Ensuite à la faveur de la crise financière. Pendant la crise géorgienne, ce directoire a fait preuve d'un indéniable activisme même si dans les faits, l'activisme a d'abord été celui du premier consul français. Ce dernier est parvenu à passer outre aux oppositions américaines qui souhaitaient à l'évidence que l'Europe opte pour une politique de confrontation avec la Russie sans néanmoins fournir d'éléments concrets capables de conforter un tel choix. Le mérite de Nicolas Sarkozy dans cette affaire est d'avoir fait accepter une ligne relativement modérée face à la Russie contre le réflexe spontané de bon nombre d'anciens pays d'Europe centrale et orientale pour qui en découdre avec Moscou constitue un impératif catégorique.

Pourtant si l'activisme de ce directoire a considérablement rehaussé l'image d'une Europe capable d'agir face à une crise internationale sans forcément attendre que les États-Unis lui en donnent l'autorisation, ses résultats restent ambigus voire limités. Moscou a atteint tous ses objectifs politiques et les perspectives de retour dans le giron géorgien de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud semblent pratiquement hors de portée. À Genève les négociations sur les perspectives d'un règlement sont totalement bloquées et cela dans une indifférence quasi générale. On trouve là les limites non seulement de l'activisme européen, mais également celles du sarkozysme diplomatique. Tout se passe d'ailleurs comme si ce dernier cherchait à obtenir un premier résultat mais à s'en détourner immédiatement si celui-ci n'en produisait pas rapidement les effets médiatiques. On l'a vu à propos de la Colombie, on l'a vu d'une certaine manière à propos de la Géorgie. On le voit encore aujourd'hui à propos du drame de Gaza. Le président français a effectué une mission au Proche-Orient dès le début de l'attaque israélienne. Mais depuis il s'est imposé le silence même s'il pourra toujours dire que c'est l'initiative franco-égyptienne qui a débouché sur un cessez-le-feu décrété unilatéralement par Israël après que celui-ci ait atteint ses objectifs....

La dynamique du directoire correspond assez bien au fond à la vision française de l'Europe. Mais on ne saurait la réduire à cela. Ce qui se passe actuellement à propos de l'Ukraine et de son conflit gazier avec la Russie est très révélateur de cette nouvelle dynamique. Après plusieurs semaines au cours desquelles l'Union Européenne et la Commission ont été totalement incapables d'influencer aussi bien la Russie que l'Ukraine qui se rejetaient d'ailleurs la responsabilité de la crise, on a vu s'amorcer l'ébauche d'une solution à travers la mise en place d'un directoire énergétique dirigé cette fois non pas par les États mais par leurs champions énergétiques respectifs. Du point de vue russe il est absolument évident que tout est désormais entrepris pour empêcher une expression politique commune des Européens, au profit d'un dialogue direct avec les États membres. Cela permet à Moscou de mieux diviser les États européens. Mais plus fondamentalement cela contribue à marginaliser les pays d'Europe centrale et orientale que la Russie considère comme ses véritables ennemis au sein de l'Europe. La Russie n'est fondamentalement à l'aise qu'avec les États. Or elle sait qu'il lui est beaucoup plus facile et beaucoup plus commode de traiter avec les grands États membres qu'avec l'Union Européenne surtout quand ces grands États se trouvent avoir des intérêts gaziers importants en Russie.

Le point de vue russe se comprend parfaitement. La question est en revanche de savoir s’il coïncide avec les intérêts d'une Europe où la solidarité énergétique relève plus du discours que de la réalité. Ceci d'autant plus que les membres du directoire énergétique sont tous issus de grands États membres qui sont férocement hostiles à toute communautarisation et à toute libéralisation de la politique énergétique. Or il est à l'évidence un lien entre la libéralisation de l'énergie au niveau communautaire et la solidarité énergétique même si les grands opérateurs européens le nient farouchement.

La stratégie du directoire présente d'indéniables avantages dans un contexte où les Européens ne sont pas capables de définir des positions communes. Mais elle a pour sérieux inconvénient de retarder la mise en place d'une véritable politique commune européenne. C’est très clair par exemple en matière d'immigration où l'intergouvernementalisme ne suffira pas. Dans ces conditions on peut comprendre pourquoi les Européens s'intéressent davantage à savoir ce que M. Obama va faire vis-à-vis d’eux que ce qu’eux-mêmes ont envie de faire avec M. Obama...