Sarkozy a-t-il échoué ? edit

4 mai 2009

Il y a maintenant deux ans Nicolas Sarkozy arrivait au pouvoir avec un préjugé favorable extraordinairement fort non seulement en France mais également à l’étranger. Il se faisait élire pour s’attaquer aux blocages traditionnels de la société française. La rupture annoncée a-t-elle véritablement eu lieu ? Rien n’est moins sûr.

S’il y a un domaine où Nicolas Sarkozy n’a pas déçu c’est incontestablement dans sa capacité à être présent partout et à s’attaquer à tous les problèmes à la fois. De fait, il n’y a pas un domaine de la vie économique sociale culturelle européenne ou internationale qui ait échappé à son activisme. Il a réformé la carte judiciaire française qui n’avait pas été modifiée depuis 1958. Et l’université française dispose aujourd’hui d’un cadre juridique qui lui permet d’être plus autonome et de ce fait plus compétitive. Sur le plan social il s’est attaqué à la question délicate de la désincitation au travail. Sa présidence à la tête de l’Union Européenne a été un indéniable succès de même que l’a été sa mobilisation au niveau international pour faire face à la crise. Mais cet activisme indiscutable qui tranche avec la léthargie de son prédécesseur n’est pas malheureusement sans présenter de sérieux inconvénients.

En voulant agir tout le temps et partout le président de la République en vient à privilégier le mouvement et sa perception par l’opinion sur le résultat, le résultat apparent et immédiat au détriment de la réforme en profondeur. Ses ministres vivent dans la peur d’être mal jugés et leur influence est considérablement réduite par le rôle démesuré des conseillers du président. Dans le domaine institutionnel par exemple, Nicolas Sarkozy a mis en œuvre une réforme du Parlement qui donne à celui-ci plus de pouvoirs face à l’exécutif. Cette réforme que la gauche a eu tort de rejeter ne règle pourtant pas le problème fondamental de la vie politique française : celui des cumuls des mandats qui fait que des députés sont aussi maires et n’ont de ce fait pas suffisamment de temps à consacrer à l’activité parlementaire. Cette situation exceptionnelle en Europe et dans le monde explique très largement le fonctionnement peu satisfaisant du Parlement français. Seul un référendum pourrait permettre de contourner l’obstacle. Mais Nicolas Sarkozy se garde bien d’y recourir.

L’autre grand axe du réformisme de Nicolas Sarkozy a été l’accroissement du pouvoir d’achat. Son slogan de campagne a été « travailler plus pour gagner plus ». Cet objectif, le gouvernement a cherché à l’atteindre en défiscalisant les heures supplémentaires. L’idée étant que par une incitation fiscale les employeurs offriraient plus de possibilités de travail à leurs employés. Malheureusement le coût de cette opération est non seulement extraordinairement lourd pour l’État mais il a pour effet d’accroître les déséquilibres du marché du travail en favorisant les insiders au détriment des outsiders. Nicolas Sarkozy a toujours pensé qu’un des problèmes de la France venait du fait que les Français ne travaillaient pas assez. Malheureusement le cœur du problème ne se situe pas là. Il se trouve dans le fait que le chômage des jeunes est très élevé et que les seniors quittent trop tôt le marché du travail. Or, là encore les réformes engagées risquent d’aggraver ce problème plutôt que de l’alléger. Car en permettant désormais aux entreprises de licencier plus facilement en contrepartie d’un soutien financier accru sans modifier le code du travail, le gouvernement favorise la sortie rapide du marché du travail des personnes proches de la retraite…

Dans sa lutte pour l’emploi, le gouvernement a cherché à lutter contre les entraves au développement des grandes surfaces, pourvoyeuses d’emplois. Mais là encore le résultat s’est révélé décevant. Soumis à la pression des lobbys économiques et politiques locaux, il a fini par reculer de sorte que la loi de modernisation de l’économie qui voulait rompre avec la précédente législation va continuer à protéger les secteurs non concurrentiels.

Ce réformisme qui privilégie systématiquement le résultat apparent aux conséquences réelles s’est aggravé avec la crise. D’une part parce que celle-ci réduit les marges de manœuvre de l’État qui peut donc moins distribuer de ressources mais également parce que les choix du gouvernement sont à tort ou à raison perçus comme socialement injustes. C’est tout l’enjeu du fameux bouclier fiscal qui vise à limiter à 50 % de l’ensemble des revenus des prélèvements fiscaux mais qui dans un contexte de crise apparaît comme inacceptable surtout lorsque les financements sociaux sont soumis à des contraintes croissantes.

Ce réformisme des apparences ne concerne pas que l’économie. Nicolas Sarkozy, a été un des premiers à souligner les limites d’un modèle républicain qui au prétexte de ne pas faire de différence entre ses concitoyens a dans les faits laissé place à un système de discrimination très forte des populations d’origine immigrée. Mais là encore les résultats sont très éloignés du discours. Le désintérêt pour les banlieues s’est révélé tout à fait patent. Les décrets d’application d’une loi de 2006 devant permettre aux entreprises de recruter sur la base de ce que l’on appelle le CV anonyme n’ont jamais été publiés alors que cette démarche fait l’unanimité. La promotion de la diversité s’est d’abord et avant tout exprimée par une politique de sélection d’icônes médiatiques dont la compétence politique reste à démontrer. En France, il est toujours presque impossible de faire élire un maire, un député d’origine arabe ou africaine.

Enfin si l’on regarde du côté de la politique étrangère, on constatera que la rupture est beaucoup plus apparente que réelle. Certes, la France a pleinement réintégré l’OTAN. Mais cette mesure est purement symbolique. De surcroît et malgré ce qu’en dit le président de la République il n’y a aucune indication que ce choix débouchera sur le renforcement d’une politique européenne de défense, que la France appelle de ses vœux mais qu’en réalité la plupart de ses partenaires ne veulent pas surtout si elle implique un effort financier supplémentaire… Quant aux droits de l’homme dont il avait voulu faire le cheval de bataille de sa diplomatie, ils ont purement et simplement été laissés de côté au nom d’une realpolitik des plus classiques.

En réalité, la seule grande force de Nicolas Sarkozy indépendamment de sa volonté et de son activisme réside dans l’incroyable faiblesse de l’opposition de gauche qui est non seulement profondément divisée mais dont à l’évidence personne ne pense qu’elle aurait fait mieux si elle avait été au pouvoir. C’est à la fois peu et beaucoup.