La CFDT ou comment être réformiste dans une société tendue edit

13 juin 2006

Le 46e Congrès de la CFDT intervient après une période houleuse qui aura marqué le premier mandat de François Chèrèque. Les faits sont connus. En 2003, la CFDT signe un protocole d'accord sur la réforme des retraites, alors que les syndicats les plus contestataires s'y opposent et mènent un mouvement social d'ampleur sans précédent depuis les mobilisations de l'hiver 1995. Dans l'organisation cédétiste, s'ouvre alors une période de tensions et le départ de dizaines de milliers d'adhérents, parmi lesquels les derniers tenants d'une opposition plus ou moins organisée. Trois ans plus tard, la CFDT mène le mouvement anti-CPE qui s'achève quelques semaines avant l'ouverture du 46e Congrès.

La contribution majeure de la centrale au mouvement anti-CPE a pu faire l'objet de divers commentaires. Parfois, certains ont pu s'interroger sur le fait de savoir si la CFDT n'opérait pas une révision stratégique et ne basculait pas à nouveau, comme dans les années 1970, dans un syndicalisme purement contestataire. En fait, il n'en fut rien. Bien au contraire, la contribution de la CFDT au mouvement anti-CPE peut être lue comme le maintien de certains des traits essentiels qui ont constitué sa ligne depuis plus de vingt ans. La CFDT s'oppose autant à l'exclusion des salariés qu'à leur exploitation économique directe. En outre, elle est en France le syndicat qui conteste le plus à l'État le fait d'élaborer des réformes importantes sans laisser la place qu'il convient à la négociation collective. En donnant le sentiment que le CPE conduisait à renforcer la précarité des jeunes travailleurs et en se dispensant de toute concertation avec les partenaires sociaux, le gouvernement ne pouvait que susciter l'opposition de la CFDT, sa détermination à entrer dans l'action et la constitution d'un front syndical uni encore plus important que celui constaté en mai 1968.

À l'issue du mouvement anti-CPE, la position de la direction cédétiste semble donc confortée. Après le divorce de 2003, de nouveaux rapprochements se sont opérés avec la CGT qui sort elle-même d'un Congrès où les positions réformistes ont gagné en influence. Certes, des débats demeurent au sein de l'organisation de François Chérèque mais les clivages ont beaucoup perdu en intensité et ne relèvent plus des oppositions politiques ou idéologiques qui ont tant marqué le passé. Enfin, la direction de la CFDT s'incarne dans une équipe plus homogène ce qui devrait lui permettre d'imprimer plus nettement sa marque sur les orientations de la centrale durant les prochaines années.

Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes?

En fait, par-delà les péripéties liées à l'événement, les questions centrales posées par la CFDT depuis la fin des années 1970 demeurent largement ouvertes. Comment renforcer l'influence d'un réel réformisme dans une société française traversée de tensions idéologiques sans équivalent dans les grandes démocraties occidentales, une société où l'opinion reste marquée par des sentiments de crispation et de peur importants, une société où un chômage massif déchire le tissu social depuis plus de 30 ans ?

Pour la CFDT, la question du réformisme renvoie à un décor d'ensemble et à des contextes fondamentaux qui connaissent, aujourd'hui encore, des évolutions contrastées. Il en est ainsi des rapports entre la loi et la négociation, le législateur et les partenaires sociaux et à cet égard, ce n'est pas tout à fait un hasard si la CFDT revient avec force dans son Congrès sur le rôle de la puissance publique et celui des acteurs sociaux. Il en est de même de la représentativité des syndicats et de la recherche de modalités qui puissent renforcer la légitimité de ceux-ci auprès des salariés et donner lieu à un dialogue social plus crédible, moins soumis aux effets doublement pervers des accords minoritaires ou des surenchères protestataires. Enfin, la question de la construction de régulations sociales au sein de l'Union européenne reste toujours à l'ordre du jour, surtout après l'échec du referendum du 29 mai 2005.

Naturellement, la question du réformisme syndical ne se pose pas seulement de façon contextuelle et selon des termes ou des champs d'application très généraux. Elle s'incarne aussi dans des modalités plus immédiates. Le 46e Congrès en prend acte et aborde de multiples thèmes qui tous reviennent à saisir le réformisme syndical selon des modalités d'application très concrètes. Parmi ces thèmes, trois d'entre eux méritent peut-être une attention plus soutenue car leur caractère concret révèlent bien mieux que de longs discours la présence d'enjeux importants. C'est le cas de l'évolution des services publics qui est posée en termes d'efficacité sociale mais aussi économique, de délégation en direction de certains secteurs privés, de droit des usagers liés à ceux des salariés concernés, du rapport entre le droit de grève et l'obligation de continuité du service public.

Dans ce cadre, c'est tout simplement le problème de la réforme de l'État saisi " au quotidien " qui est posé. Il en est de même de la question du contrat de travail. En fait, comment redéfinir les conditions d'emplois et les garanties des individus dans un contexte de forte flexibilité économique et sociale devenu aujourd'hui incontournable ? Derrière cette interrogation réside tout simplement un thème majeur : la réforme du marché du travail et des systèmes d'emplois. Enfin, revient à nouveau la question des régimes de retraite. Que faire en 2008, année prévue pour un premier examen de l'application de la " réforme Fillon " menée en 2003 ? Comment assurer non seulement la pérennité des régimes concernés mais aussi de nouvelles solidarités et notamment des solidarités intergénérationnelles qui demeureront d'autant plus efficaces qu'elles ne reproduiront plus forcément les " façons de faire " du passé qui pèsent de plus en plus sur les plus jeunes des salariés tout en n'assurant pas forcément les garanties nécessaires à ceux qui sont déjà retraités ou en voie de l'être ? Par l'allongement de la durée de cotisations, par la recherche d'autres ressources ? Mais alors, lesquelles ? Il est ici tout simplement question des nouvelles solidarités ou de modes de redistribution sociale profondément renouvelées.

Réforme de l'État, redéfinition du travail et de l'emploi dans des économies de plus en plus flexibles, réforme de régimes sociaux fondés sur le principe de solidarité mais aussi d'équité, tels sont au travers de quelques thèmes soulevés par le Congrès de la CFDT, les traits qui marquent aujourd'hui la question du réformisme syndical. Pour certains commentateurs ou certains esprits chagrins, le débat syndical ne renvoie plus aujourd'hui aux enjeux de société. Que leur faut-il donc ? Ne confondent-ils pas la forme et le fond ? La manière dont les problèmes se posent, parfois sous des aspects techniques, juridiques voire comptables et les enjeux réels que cachent souvent de tels problèmes ? Et si leur dénonciation de la courte vue des syndicats témoignait surtout de leur propre myopie ?