Le météore Gabriel Attal edit

26 décembre 2023

Le dernier baromètre de l’action politique Ipsos-Le Point, réalisé les 8 et 9 décembre, propulse Gabriel Attal à la première place du classement des personnalités politiques. Pour la première fois depuis mai 2020 et l’entrée au classement d’Edouard Philippe directement à la première place de ce baromètre, l’ancien Premier ministre est dépossédé de sa première position et relégué en deuxième position : 39% d’opinions favorables contre 40% à Gabriel Attal. Derrière, arrivent en tir groupé trois candidats et candidates de la droite extrême : 37% pour Marine Le Pen, 36% pour Jordan Bardella et 30% pour Marion Maréchal. Tout le reste de la macronie est distancé et plutôt à la baisse : Emmanuel Macron (27% d’opinions favorables), Elisabeth Borne (24%), Bruno  Le Maire (29%), Gérald  Darmanin (29%), Olivier Véran (26%) et Eric Dupond-Moretti (22%).…

La situation du jeune ministre de l’Education nationale est donc assez exceptionnelle. Une des grandes faiblesses de la structure de pouvoir mise en place par Emmanuel Macron est que celle-ci n’a jamais été capable de faire exister positivement et de manière durable un homme politique issu directement du sérail de la macronie. Ceux qui ont pu percer étaient des poids lourds de la gauche (Jean-Yves Le Drian, Gérard Collomb) ou de la droite (Edouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin) qui ont rallié Emmanuel Macron avec leur capital de popularité préexistant.

Ayant rallié dès 2016 le candidat Emmanuel Macron et le mouvement En Marche, le jeune Attal issu du Parti socialiste va rapidement progresser dans la hiérarchie macroniste : député des Hauts de Seine en 2017, porte-parole du parti en 2018, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale la même année, porte-parole du gouvernement de 2020 à 2022, il devient ministre délégué des comptes publics en mai 2022 pour, en juillet 2023, être nommé à son premier grand ministère régalien, celui de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Entré au baromètre Ipsos de l’action politique en mars 2021, sa cote de popularité va évoluer entre 21 et 28% tout au long de l’année 2021 pour passer la barre des 30% en 2022 où elle oscille entre 28 et 34% (cf. graphique 1). Début 2023, le ministre des comptes publics vit dans l’ombre de Bruno Le Maire, son ministre de tutelle, et ne parvient pas à attirer la popularité sur le rôle austère de celui qui est en charge de tenir les cordons de la bourse. De janvier à juillet 2023, sa cote de popularité évolue modestement entre 25 et 28% d’opinions favorables. Tout va changer avec sa nomination le 20 juillet 2023 au poste de ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Son prédécesseur Pap N’Diaye n’avait pas réussi à s’imposer dans un secteur où pourtant les attentes des Français sont très fortes. Interrogés en avril 2022 lors de l’élection présidentielle, après les questions de santé, de pouvoir d’achat et de sécurité, 59% des Français disaient que l’éducation avait joué un rôle déterminant au moment de voter. Dans tous les électorats, cet enjeu dépassait largement les 50%. De mai 2022 à juillet 2023, Pap N’Diaye n’a pas su répondre à cette attente forte de l’électorat. Dès septembre 2022, dans un sondage CSA pour C News, ce sont 62% des Français (70% des 18-24 ans) qui déclarent ne pas lui faire confiance pour mener à bien ses fonctions.

Graphique 1. Évolution de la popularité de Gabriel Attal (mars 2021 - décembre 2023)

Source : baromètres de l’action politique Ipsos-Le Point

L’attente était donc forte lorsque Gabriel Attal fut nommé ministre de l’Éducation nationale. Cinq mois après cette promotion, le locataire de la rue de Grenelle n’a pas à se plaindre. De juillet à décembre, sa popularité a connu un bond de 14 points pour atteindre la barre des 40% et en cette fin d’année 2023 il est devenu l’homme politique préféré des Français. Depuis son entrée dans le baromètre il a progressé de 13 points (graphique 1). Cette montée en puissance est très corrélée à son entrée en fonctions au ministère de l’Éducation nationale et au discours qu’il a tenu depuis.

Dans un contexte où depuis des décennies la classe politique hésite à mettre à l’agenda les vrais problèmes que sont l’intégration, l’islamisme et bien sûr l’éducation, nombre de citoyens inquiets pour les générations à venir considèrent qu’ il est temps d’avoir des hommes et des femmes qui posent ces questions dans leur vérité et leur crudité sans s’embarrasser de précautions excessives et de tabous bien-pensants. Le nouveau ministre de l’Éducation nationale semble faire partie de ceux-là. Il dit les choses, porte un diagnostic sans complaisance et dégage des pistes d’action.

À peine nommé, Gabriel Attal se voit contesté parce qu’il a fait sa scolarité dans un établissement privé sous contrat caractéristique de l’élitisme germanopratin (École alsacienne) tout comme son prédécesseur avait été chahuté parce qu’il y avait mis ses deux enfants. L’actuel ministre répond vivement : « Oui, j’ai été à l’école privée, je n’ai pas à renier ou à m’excuser pour ce choix qu’ont fait mes parents. » Dès août 2023 il signifie l’interdiction de l’abaya à l’école et réagit très fermement, en septembre, aux menaces de mort d’un père d’élève à Clermont-Ferrand sur l’interdiction de l’abaya. À la suite de l’assassinat d’un professeur du lycée d’Arras en octobre il préconise de sortir les élèves radicalisés de l’école au nom du principe de protection et exclut 68 élèves qui ont tenu des propos d’une particulière gravité lors des cérémonies d’hommage organisées dans les lycées et collèges en mémoire de l’enseignant assassiné. Il réaffirme la nécessité de lutter contre l’autocensure des enseignants à la suite d’une enquête réalisée par l’IFOP en décembre 2022 et qui montre que 56% des professeurs du secondaire public déclarent se censurer dans leur enseignement afin d’éviter un incident.

Au-delà de ces réactions fortes aux événements qui touchent l’Éducation nationale, il s’efforce de dégager une perspective de réforme de l’éducation dans le sens d’une plus grande rigueur et en recentrant l’éducation sur l’apprentissage exigeant des connaissances fondamentales. Gabriel Attal affirme sa « volonté d’augmenter le niveau » du fait de « l’urgence nationale » et d’engager un véritable « choc des savoirs ». Différentes mesures sont prises à court terme : redoublement décidé par les enseignants, devoirs écrits à la maison, allégement des programmes du primaire, labellisation des manuels scolaires du CP à la 6e ; groupes de niveau flexibles de la 6e à la 3e, examen de mathématiques en Première, refonte du Brevet des collèges pour entrer au lycée, fin du correctif académique remontant les notes des examens, volonté de penser les nouvelles écoles normales du XXIe siècle afin de lutter contre la crise des recrutements….  

Cette attitude rencontre un écho favorable dans une opinion publique où la question de l’éducation est ressentie comme cruciale par les parents et grands-parents des 12 millions d’enfants qui fréquentent les écoles, collèges et lycées de notre pays. D’autant plus que l’enquête triennale PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) qui teste les compétences en lecture, mathématiques et sciences des élèves dans quatre-vingt-cinq des pays de l’OCDE, est mauvaise pour la France. On constate un effondrement dans les « fondamentaux » : chute importante de 21 points pour les mathématiques et de 19 points pour la compréhension de l’écrit. Cela touche tous les élèves, même les plus performants. Un élève de quatrième a aujourd’hui les connaissances de l’élève de cinquième en 1995. L’opinion est inquiète, elle sait que le capital éducatif est le plus important pour le pays et les jeunes générations, elle a l’impression que celui-ci se dégrade et qu’une réaction forte est nécessaire.

Pour l’instant le jeune ministre semble répondre en partie à ces inquiétudes en dégageant des perspectives fortes pour les calmer. Sa progression en termes de popularité est sensible dans tous les segments de l’électorat (tableau 1) mais son influence est particulièrement marquée chez les personnes âgées (56% chez les 60 ans et plus), les cadres supérieurs (49%), les habitants de l’Île de France (45%), les foyers aisés (50% dans les foyers où le revenu mensuel est de 3000 euros et plus), les électeurs proches du centre (78%) et de la droite (64%). Gabriel Attal garde donc un profil assez caractéristique de cette France qui va bien et qui est celle du macronisme. En revanche il reste plus faible chez les jeunes, dans les couches sociales modestes et chez les électeurs du RN. Sa dynamique sur la période 2021-2023 est impressionnante dans les tranches d’âge élevé (+24 points chez les 60 ans et plus), dans les couches moyennes (+22 points chez les professions intermédiaires, dans la région parisienne, parmi les diplômés du seul baccalauréat (+20 points) et chez les électeurs du centre (+20 points) et surtout de droite (+36 points). Une France moyenne et centrale, où l’inquiétude par rapport à la qualité de la formation est importante, participe beaucoup à la dynamique en faveur de Gabriel Attal.

Tableau 1. Évolution des structures de la popularité de Gabriel Attal de mars 2021 à décembre 2023

Source : Baromètre de l’action publique Ipsos-Le Point

Celle-ci l’a propulsé dans la « cour des grands » et l’on a pu voir en octobre 2023 sa candidature testée pat l’institut CSA dans la perspective d’une prochaine élection présidentielle. Quelle n’a pas été la surprise de constater qu’il arrivait, alors qu’il n’avait jamais été testé auparavant dans ce type de compétition, au niveau de 19% des intentions de vote (cf. graphique 2) devant Bruno Le Maire et Gérald Darmanin et à quelques encablures d’Edouard Philipe (25%) habitué depuis de longs mois aux habits de l’héritier d’Emmanuel Macron. Décidément l’enjeu de l’éducation lorsqu’il semble être pris au sérieux est une véritable rampe de lancement pour les politiques ambitieux. Gabriel Attal apparaît comme le seul à pouvoir rejouer le scénario de 2016-2017 : un jeune ministre de 34 ans en 2023 (Macron en avait 39 en 2016), d’extraction bourgeoise, ayant fait les bonnes écoles (École alsacienne, Sciences Po), ayant fait rapidement ses preuves (à l’Éducation nationale pour Attal, à l’Économie pour Macron), puis se lançant dans la bataille présidentielle. Gabriel Attal a par rapport à Macron une expérience d’élu local et national et il n’a pas suivi le cursus de la haute fonction publique (Inspection des Finances) suivi d’un pantouflage dans le privé. Il ne fait ainsi pas partie de la « noblesse d’État » et de la culture du mépris qui lui est souvent associée. Certes, sa popularité est de fraîche date et les intentions audacieuses ont besoin d’être confirmées mais, comme le fait remarquer Guillaume Tabard dans Le Figaro du 5 décembre dernier, « le volontarisme est préférable à la résignation ou à la démission ». Sur une scène politique où plus personne ne parvient à s’inscrire dans le temps long, l’action des premiers mois suggère une ambition, et peut-être une capacité, à inscrire la France dans une vraie révolution scolaire et à la préparer ainsi à revenir au premier plan des économies de la connaissance qui feront la force des pays de demain.

Graphique 2. L’héritage d’Emmanuel Macron dans le cadre de la prochaine élection présidentielle (intentions de vote du candidat de la majorité sortante : quatre hypothèses)

Question : « Si dimanche prochain se déroulait le premier tour de l’élection présidentielle, pour lequel des candidats suivants y aurait-il le plus de chances que vous votiez ? »

Source : Sondage IFOP Le Figaro Sud Radio, octobre 2023 (configurations de candidatures avec  12 candidats dont Mélenchon, Roussel, Faure, Tondelier, Wauquiez Le Pen, Zemmour et le candidat de la majorité sortante)