La crise politique française edit
Les partis de gouvernement vont mal. Et du coup la France aussi. Le socle politique nécessaire pour redresser la situation désastreuse du pays n’existe plus ni à gauche ni à droite. Le système représentatif est affaibli par la crise de confiance qui se développe en France et plus largement en Europe. L’autodestruction du système de partis italien doit nous avertir du danger. Nous ne sommes pas à l’abri d’une telle crise malgré la solidité de nos institutions. Les partis de gouvernement doivent prendre cette éventualité au sérieux et tenter d’inverser la dynamique politique actuelle.
Le clivage gauche/droite qui structure le fonctionnement de notre système politique est grippé. La période récente a montré que la gauche politique n’existe plus. L’extrême-gauche combat toute politique de redressement raisonnable et a fait du PS son adversaire principal. L’extrême-droite, en progrès réel, considère l’UMP comme son pire ennemi. En même temps, les rapports entre le PS et l’UMP ont rarement atteint un tel degré d’agressivité. Le mariage gay et l’affaire Cahuzac, mais aussi la politique fiscale du gouvernement, nourrissent un conflit de plus en plus ouvert entre ces deux partis. L’UMP semble avoir perdu son sens des responsabilités tandis que le pouvoir socialiste a perdu ses repères.
Pire encore, les deux grands partis, outre leur isolement au sein de leur propre camp, ont rarement été aussi divisés intérieurement. Le PS soutient de moins en moins le « sérieux budgétaire » pourtant nécessaire prôné par le chef du gouvernement. L’idée, certes floue et peu fondée, d’une autre politique, refait surface à gauche, mettant en danger à terme l’euro et la solidité du couple franco-allemand. Dans ces conditions, le pouvoir socialiste semble déstabilisé et risque d’être immobilisé si les groupes parlementaires socialistes ne le soutiennent pas clairement. Or, les suites de l’affaire Cahuzac, la question de la suppression du cumul des mandats et le projet, déjà mort-né, de réforme des collectivités territoriales, ont creusé un fossé dangereux entre les élus socialistes et le gouvernement. Le président de la République et le Premier ministre manquent de l’autorité nécessaire pour rassembler leur parti autour d’eux, condition indispensable pour relancer l’action gouvernementale. Quant à l’UMP, les redoutables divisions personnelles qui le déchirent, jointes aux visions divergentes sur son positionnement politique, l’empêchent de jouer un rôle positif de proposition et d’apaisement. Pendant ce temps, la crise de confiance des Français ne fait que s’amplifier. Si la confiance dans le pouvoir socialiste est en chute libre, l’UMP n’apparaît pas comme une alternative crédible.
Dans ces conditions, une véritable crise politique se développe qui nous empêche de jouer un rôle moteur et positif en Europe. La voix de la France s’éteint peu à peu et nos partenaires désespèrent de notre pays. Une telle situation, si elle se prolonge, nous conduit dans le mur. Certes, il est normal que les partis se combattent pour exercer le pouvoir. Mais il faut qu’ils comprennent que, poussé à la limite, dans la grave situation du pays, c’est le système lui-même que leur affrontement met en danger. La question du mariage gay et de l’homoparentalité déchire, certes, bien des consciences en France. Toute grande réforme sociétale comporte un risque de grave division. Les socialistes doivent donc évaluer correctement ce risque. Mais François Hollande avait inscrit cette réforme dans son programme. Il a été élu et une majorité parlementaire est favorable à cette réforme. L’UMP aurait tort dans ces conditions de soutenir ceux qui, à cette occasion, mettent en cause la démocratie représentative et comptent sur la rue pour arriver à leurs fins. Surtout, l’UMP n’a aucun intérêt, si elle espère revenir au pouvoir lors des prochaines élections, à recevoir en héritage un pays au bord de la faillite. Le pouvoir socialiste doit pouvoir compter sur l’esprit de responsabilité de la droite et du centre lorsqu’il s’agit des intérêts supérieurs du pays. Sans cet esprit de responsabilité, les partis de gouvernement, comme en Italie, risquent de perdre toute crédibilité, avec les conséquences graves que l’on peut aisément imaginer. Si les partis de gouvernement entendent véritablement sauver l’Euro et l’Union européenne, ils doivent cesser de ne penser qu’à leurs intérêts propres. Sinon, la tendance à ressusciter le conflit frontal entre la gauche et la droite, vu les attitudes anti-européennes des extrêmes, ne pourra qu’aboutir à la cassure de l’Union européenne.
Il faudrait que le pouvoir socialiste clarifie sa politique économique et européenne. Quel que soit le bien fondé des débats sur les politiques d’austérité, ce pouvoir doit annoncer les réformes fondamentales qu’il veut mener, et engager le débat avec les partis de la droite et du centre sur ses objectifs. Il faudrait également que de leur côté ces partis clarifient leurs positions et leurs accords et désaccords avec le pouvoir socialiste. Sinon, les partis de gouvernement porteront une responsabilité historique dans le déclin français.
La crise actuelle est trop profonde pour qu’un parti de gouvernement puisse avoir l’autorité et la légitimité pour entamer et mener, seul contre tous, les réformes de structure indispensables. En Grèce puis en Italie, c’est après s’être fracassés que les grands partis de gauche et de droite ont été amenés à collaborer pour éviter l’effondrement total de leur pays. Mais ces alliances, mal préparées et mal fondées politiquement, risquent de n’être pas suffisantes pour empêcher le rejet de la classe politique par les peuples grec et italien. N’attendons pas nous-mêmes d’être dans le mur pour nous poser ces questions. Certes, le mode de scrutin législatif français peut permettre à un parti nettement minoritaire de remporter une majorité parlementaire. Mais, comme le montre la situation actuelle, l’arithmétique parlementaire ne suffit pas à donner à un gouvernement la force nécessaire pour surmonter les difficultés. La démocratie représentative est une très précieuse conquête historique. Les partis, qui ont pour mission de la faire fonctionner ne doivent pas en devenir les fossoyeurs. Le général de Gaulle avait tort lorsqu’il espérait les détruire où les marginaliser. Mais il avait raison de craindre qu’absorbés par leurs petits jeux ils finissent par oublier les intérêts supérieurs du pays. Il est temps que les partis de gouvernement prennent leurs responsabilités. Les électeurs ne leur pardonneraient pas de manquer à leur mission.
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