La gauche dans le piège edit
Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste au Sénat, vient de déclarer qu’il souhaite que le mouvement lycéen pour le soutien de Léonarda reprenne. Venant d’un dirigeant politique, une telle déclaration signifie qu’au sommet de EELV certains sont désormais clairement favorables à la sortie du gouvernement. Pendant ce temps, les communistes s’apprêtent à voter contre le budget tandis que Mélenchon propose de rendre Valls à le Pen. Autant dire que la gauche politique a cessé d’exister. Le PS est désormais seul. Cette situation nouvelle appelle une analyse nouvelle.
Au sein du Parti socialiste tout d'abord, il faut que l’aile gauche décide clairement de son positionnement et cesse de rechercher d’abord l’entente avec des gauches qui désormais jouent ouvertement contre son propre parti. Il faut qu’elle décide si elle est plus proche du Parti socialiste ou du Front de gauche. En effet, la majorité gouvernementale est très étroite et si cette aile gauche adopte une attitude de chantage permanent pour tenter d’imposer sa volonté au gouvernement, le pouvoir socialiste est condamné.
Le gouvernement, de son côté, doit cesser d’accorder trop d’importance à des partis de gauche qui n’attendent que sa chute et se préoccuper plutôt d’une opinion publique s’éloignant progressivement d’un socialisme archaïque qui ne sait que dépenser et taxer les riches. Accepter des compromis avec ces gauches c’est condamner le Parti socialiste comme parti de gouvernement.
Le Parti socialiste lui-même, et en particulier sa direction, doivent mieux assumer leur rôle de parti de gouvernement. Lorsque le Premier secrétaire du Parti socialiste, oubliant qu’il n’est plus le dirigeant d’SOS racisme, contredit immédiatement le président de la République, au milieu d’une grave crise politique, c’est l’ensemble du dispositif socialiste qui est ébranlé. Déjà, en 1981, lorsque Lionel Jospin prit la direction du Parti socialiste, il déclara étrangement que son parti serait « aux côtés du pouvoir ». Il traduisait le malaise d’un parti qui se retrouvait au pouvoir dans un régime politique qu’il condamnait en réalité à cette époque. Le socialisme français, une nouvelle fois et sous une nouvelle forme, était pris par le remords du pouvoir. Depuis l’élection de François Hollande les choses ont encore empiré. Ce parti semble oublier que ce sont les siens qui sont au pouvoir. Il est en apesanteur politique, ne sachant quel est son rôle, et regardant le pouvoir socialiste comme presque étranger à lui-même, se contentant de commenter son action, voire de la critiquer, comme si celle-ci ne l‘engageait pas.
Mais le plus grave est l’attitude du président socialiste de l’Assemblée nationale. Il doit être en effet à la fois le gardien de la loi et le défenseur d’un régime dont il est le quatrième personnage. Quand il déclare : « il y a la loi mais il y a aussi des valeurs avec lesquelles la gauche ne saurait transiger sous peine de perdre son âme », que veut-il dire exactement ? Cette attitude relativiste par rapport à la force de la loi de la part de cette personnalité inquiète et surprend ; et quand le même personnage, après un discours solennel du président de la République, appelant au consensus sur les institutions de la Ve République et au rejet de l’idée de VIe République, répond du tac ou tac qu’il souhaite une grande réforme institutionnelle et l’établissement d’un régime parlementaire, il n’affaiblit pas seulement le pouvoir socialiste, il en mine aussi la crédibilité.
Certes, le président de la République a commis une erreur en ne tranchant pas clairement sur l’affaire Léonarda. Certes, il n’affirme pas suffisamment son autorité. Mais, quelle que soit l’efficacité du bouclier que constitue le régime de la Ve République pour un président et quelle que soit l’autorité du premier personnage de l’État, s’il ne peut s’appuyer sur son parti, son groupe parlementaire, sur le président de l’Assemblée, membre de son propre parti, il ne peut gouverner efficacement. Les torts sont alors partagés dans cette affaire. Pire encore, c’est le gouvernement lui-même qui tire à hue et à dia. Qu’un ministre soit démenti publiquement lorsqu’il est en difficulté, immédiatement, sans même que chacun ait pu prendre connaissance du dossier, que le chef du gouvernement lui-même s’en désolidarise sur le champ, que l’ensemble du gouvernement, plutôt que de rechercher une attitude et une action communes, se divise en direct, voilà qui met en question la capacité des socialistes à gouverner.
Cette affaire est le symptôme d’un phénomène à la fois plus grave et plus ancien, qui dépasse la question de l’attitude des socialistes à l’égard du régime de la Ve République, celui de leur relation au pouvoir. En réalité, ce parti ne se sent pas réellement solidaire de la politique du pouvoir socialiste. François Hollande, soumis aux contraintes de la situation économique et de nos engagements européens, souhaite redresser le pays en diminuant les dépenses publiques et en redressant la compétitivité de nos entreprises. En outre, il sait que les questions de sécurité et d’immigration, si elles sont loin de constituer pour la population des préoccupations aussi importantes que le chômage et les retraites, n’en constituent pas moins des enjeux politiques importants. Les socialistes, dans leur ensemble, n’adhérent pas aux réponses que le gouvernement entend donner à ces défis. Pour beaucoup d’entre eux, aider les entreprises c’est faire des cadeaux aux patrons ; lutter contre l’immigration clandestine, c’est inhumain ; abaisser les dépenses publiques c’est affaiblir l’État et la fonction publique; diminuer les impôts c’est favoriser les riches qu’il faut au contraire faire payer encore davantage, favoriser les échanges commerciaux c’est ruiner notre économie. Dans ces conditions, le président et son Premier ministre sont amenés à appliquer leur politique presque en catimini, sans montrer suffisamment clairement le cap, presque en s’excusant. Du coup, le parti ne se sent pas entièrement engagé par cette politique. N’ayant jamais fait son aggiornamento véritable sur l’économie, la mondialisation, l’immigration, n’ayant pas d’idées claires sur les sujets les plus importants, il flotte en l’air, tiraillé entre le soutien nécessaire à son gouvernement et la défense de ses « valeurs », « valeurs » avec lesquelles il estime que la politique menée est souvent en contradiction. Mécontent de la politique menée et incapable d’en proposer une autre, il ne peut constituer un véritable soutien pour le gouvernement. Cette situation est d’une gravité extrême pour la crédibilité gouvernementale du Parti socialiste. Menacé de perdre le soutien des classes populaires à cause du chômage et de l’immigration non maîtrisée et celui des classes moyennes à cause de la fiscalité, il risque de voir son espace électoral se rétrécir au point de ne plus pouvoir gagner des élections. De cesser en quelque sorte d’être un parti de gouvernement.
Cet imbroglio a deux conséquences, tout aussi graves l’une que l’autre. La première est que le pouvoir socialiste est gravement affaibli dans sa crédibilité à gouverner, la seconde est qu’en voulant détruire le ministre de l’Intérieur, ceux qui, à gauche, sont à la manœuvre creusent le fossé déjà large entre l’opinion publique et la gauche sur une question qui, quoi qu’en disent ceux qui estiment que le pouvoir ne doit pas courir après les sondages, préoccupe véritablement les Français. Ils risquent alors de réaliser aux prochaines élections que derrière les sondés il y a des électeurs ! Repris par leur ancien remords du pouvoir, les socialistes veulent-ils vraiment assumer la responsabilité du pouvoir ? Si la réponse est oui, adopter une posture « contre le pouvoir » n’est-elle pas alors suicidaire ? Et si la peur de perdre leur âme au pouvoir les étreint à ce point, peuvent-ils demeurer un parti de gouvernement ?
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