T-Dem: l’urgence démocratique européenne selon le PS edit
Benoît Hamon a fait les choses avec méthode. Pour refermer la parenthèse malvenue du pacte budgétaire européen (officiellement appelé traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, TSCG), fruit d’un inter-gouvernementalisme austéritaire et mortifère, et d’une trahison fondatrice de François Hollande, il propose un nouveau traité clés en main, avec la démocratie au cœur, pour relancer l’Europe.
Son point de départ est simple. La crise de l’Europe vient d’un déficit de démocratie, c’est parce que les peuples n’ont pas eu leur mot à dire que depuis 2009 une crise permanente a semé la misère au Sud de l’Europe et mis à la diète le reste de l’Europe. Un régime intergouvernemental aurait pour pente naturelle la préférence pour l’austérité et le respect de la règle là où un régime de type parlementaire produirait de meilleures politiques privilégiant la croissance, l’emploi et la redistribution. Des esprits plus superficiels pourraient penser que la crise européenne vient de loin : incomplétude du Traité de Maastricht, divergence grandissante entre les économies du Nord et du Sud de l’Europe, erreurs dans la gestion de la crise, affaissement des partis qui ont bâti l’Europe (démocrates chrétiens et sociaux-démocrates…). Pour Benoît Hamon et son inspirateur principal Thomas Piketty le problème tient au déficit démocratique et c’est par là qu’il faut commencer.
Ils proposent donc un nouveau traité instituant un Parlement de l’Eurozone formé de 400 membres recrutés dans les Parlements nationaux pour les 4/5 et au Parlement européen pour 1/5 sur la base d’une représentation fidèle des populations nationales. C’est une proposition étrange qui écarte le projet plus simple d’une réunion du Parlement européen en format Parlement Euro, au profit d’une nouvelle Assemblée formée pour l’essentiel de représentants de Parlements nationaux dont on attend a priori une attitude plus européenne !
Ce Parlement aurait de larges pouvoirs puisqu’il pourrait voter l’impôt et donc décider des politiques à poursuivre. Sa feuille de route est toute tracée : il doit faire converger les fiscalités, faire reculer l’austérité, infléchir les politiques de la Banque Centrale à travers son pouvoir de nomination du président de la BCE puis de son audition régulière, et même mutualiser la dette excessive (supérieure à 60% du PIB). C’est une très étrange conception du gouvernement européen. Le pouvoir d’initiative de la Commission est oublié, l’intervention du Conseil, pourtant décisive pendant la crise, délégitimée, l’indépendance de la BCE jetée aux orties. La logique voudrait qu’un gouvernement fédéral européen soit investi par ce Parlement et exerce les prérogatives réelles de puissance publique, mais il n’en est guère question de peur sans doute de réveiller l’hostilité à l’égard de tout projet fédéral ou d’amoindrir les effets, nécessairement positifs, du pouvoir jaillissant du peuple et dont ces parlementaires nationaux assemblés sont les porte-voix.
Ce discours institutionnel repose d’abord sur une erreur de diagnostic sur le mal européen. Contrairement à une idée répétée ad nauseam, le problème majeur de l’Union européenne n’est pas un défaut imaginaire de démocratie et de transparence mais une absence bien réelle de compétences, donc de consistance, politiques. Depuis Maastricht , les canons de la démocratie représentative sont pour l’essentiel respectés. Si l’on ne « voit rien » en matière de politique budgétaire et fiscale, c’est tout simplement parce qu’il n’y a rien ou bien peu de choses à voir, et non parce qu’une oligarchie perverse dissimulerait la réalité à une opinion abusée. La première chose à faire pour donner vie et lumière à une politique commune, ce serait de transférer à l’Union des responsabilités limitées mais précises et soigneusement circonscrites en matière d’harmonisation fiscale et de politique conjoncturelle. La vraie question est alors de savoir à quelles conditions politiques de telles transformations institutionnelles pourraient être acceptées des opinions en général et de l’opinion allemande en particulier.
C’est à la lumière de cette analyse qu’on doit se demander si le contrôle parlementaire sur ces nouvelles compétences devrait être exercé par le seul Parlement européen, par une émanation à inventer des parlements nationaux ou, compte tenu de la nature mi-nationale mi-européenne des prérogatives en cause, par une assemblée mixte regroupant les deux commissions compétentes du Parlement européen ainsi que des parlementaires nationaux issus des commissions compétentes en matière budgétaire dans leurs assemblées respectives. La solution préconisée par Benoît Hamon – le cheval des parlements nationaux et l’alouette du Parlement européen comme ingrédients du pâté proposé – serait sans doute trop déséquilibrée pour obtenir le niveau de cohésion nécessaire au sein de l’Union.
Il est clair en tout état de cause que de telles avancées institutionnelles supposent que la confiance soit rétablie entre Français et Allemands. On peut douter que le programme ultra-dépensier de Benoît Hamon soit le plus sûr moyen d’y parvenir.
Les propositions euro-institutionnelles du candidat officiel du PS sont illustratives d’une double illusion : une illusion sur les principes inhérents au fonctionnement de toute vie démocratique, qu’elle soit propre à un État ou à une communauté d’Etats, et une illusion sur les exigences spécifiques qu’impose à une Union européenne associant plusieurs peuples distincts le caractère « demoï-cratique », et non pas simplement démocratique, de cette association.
L’idée d’une vie démocratique réduite aux mouvements plus ou moins erratiques d’une assemblée élue au suffrage universel et libre de toute contrainte de cohérence imposée par un pouvoir gouvernemental, telle que paraît en rêver Benoît Hamon, est une utopie, pour ne pas dire une ineptie. Dans un article désormais classique, René Capitant avait démontré cette vérité qui, en son temps, avait échappé à Montesquieu, à savoir que le pouvoir gouvernemental, pouvoir de gouverner, donc d’orienter, et non pas simplement d’exécuter, était partie intégrante du pouvoir législatif dans la mesure où, seul, il pouvait donner forme, cohérence et continuité au mouvement des lois et des traités. L’idée que les variations et les caprices d’une assemblée multinationale et multipartisane puissent mettre en échec la volonté des principaux États historiques de l’Europe est une chimère qu’on ne peut voir éclore sans inquiétude dans la bouche d’un candidat réputé crédible à la présidence de la République.
Benoît Hamon ajoute à la naïveté de ce spontanéisme parlementaire à haut risque une méconnaissance, étonnante et la part de quelqu’un qui a si longtemps siégé sur les bancs du Parlement de Strasbourg, des conditions de fonctionnement inévitablement spécifiques d’un système démocratique supranational comme celui de l’Union européenne. Dans ses propositions il passe à côté de deux réalités majeures. Il érige d’abord la confrontation bipolaire, en l’occurence Nord/Sud, en principe de base sans voir que dans une Union aussi composite et hétérogène seule la quête de compromis positifs et le respect des positions minoritaires légitimes permettent à celle-ci d’éviter sinon la guerre civile, du moins la discorde et la sécession. Dans son exaltation de la toute-puissance du Parlement, il ignore en second lieu que la pluralité et l’association de pouvoirs coopératifs mais indépendants les uns des autres comme le sont la Commission, le Conseil et le Parlement, la BCE, conditionnent le fonctionnement harmonieux de tout système supranational. Observons en effet que le mono-caméralisme jacobin du candidat socialiste est plus attentatoire au pouvoir des États qu’un système fédéral comme celui des États-Unis. Combien de fois faudra-t-il répéter aux adversaires souverainistes comme aux zélotes intégrationnistes que l’Union européenne n’est pas, ne sera pas et ne doit pas devenir une nation unitaire et souveraine bâtie sur le même modèle que la nation française ?
Derrière ces considérations d’ingénierie institutionnelle se pose une question. S’il n’y a aucune raison pour que des parlementaires fassent différemment des chefs d’État assemblés dans le Conseil Européen, qu’attendent Hamon et Piketty de cette réforme ? Le nouveau traité est en fait le vecteur d’une alliance de revers contre l’Allemagne, le pari implicite est que les élus français, italiens, espagnols mettront en minorité les élus allemands, néerlandais ou finois. Mais pourquoi ce qui n’a pas été possible entre Monti, Rajoy et Hollande le serait davantage avec des parlementaires issus des mêmes pays ? Plus fondamentalement pourquoi les Espagnols et les Italiens auraient-ils intérêt à rallier les Français ? Une relance économique en Allemagne aurait des effets limités sur l’Italie et la France à cause de leur faible compétitivité coût. Quant à l’Espagne qui a pratiqué une forte dévaluation interne, réformé son marché du travail, accepté un fort chômage, elle bénéficie aujourd’hui d’investissements manufacturiers qui évitent la France. Dans ces conditions l’Espagne n’a pas besoin d’une stimulation budgétaire, elle profite aujourd’hui du fruit de ses efforts.
En fait l’opération Hamon Piketty n’a pas grand chose à voire avec des enjeux de gouvernance européenne et encore moins de relance et derrière l’opération T-Dem se cache – mal – une opération politicienne : il s’agit de recycler les propositions minoritaires au sein de l’Europe sur les eurobonds, la mutualisation des dettes passées, l’expansion financée par les déficits continus, auquel Piketty ajoute la menace d’une renégociation de la dette française au risque du défaut… tout en instruisant le procès de la trahison de 2012 puisque François Hollande n’a pas tenu l’engagement de renégocier le TSCG.
Cette attitude dénote de plus une myopie sur les réels enjeux européens de juin 2012. Il y eut à l’époque un front franco-italien pour réorienter avec succès la réponse européenne à la crise financière. L’invention de l’Union Bancaire a constitué une avancée réelle.
La seule vraie nouveauté du T-Dem est que le PS, naguère le plus européen des partis français, a sous-traité cette opération à un intellectuel peu versé dans ces matières, signe à la fois de la perte de substance du PS et du statut de la question européenne pour Hamon. Dans un réflexe de survie, Benoît Hamon a toutefois retiré le Plan B de Thomas Piketty.
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