Budget : faudra-t-il blâmer Bruxelles ? edit
Les gouvernements européens tout comme la Commission ont été prompts à tirer les leçons de la crise de la zone euro. La Commission a fait ses propositions le 15 septembre et le groupe de travail van Rompuy s’apprête à son tour à rendre sa copie. L’orientation générale est celle d’un renforcement de la surveillance et des sanctions en cas de dérapage budgétaire d’un Etat membre. Une orientation compréhensible dans le contexte actuel, mais qui ne facilitera peut-être pas la réappropriation, par les gouvernements nationaux, des ajustements budgétaires nécessaires indépendamment des risques que l’indiscipline fait peser sur la zone dans son ensemble.
Le remodelage en cours de la surveillance et de la coordination des politiques économiques en Europe vise principalement à renforcer la discipline des finances publiques et à élargir le champ de la surveillance pour éviter les dérapages de compétitivité ou de crédit qui finissent – l’histoire récente l’a brillamment démontré – par affecter brutalement les finances publiques. Il faut saluer les efforts rapides des Européens à corriger les défauts de naissance de la monnaie unique. La difficulté de l’exercice est grande puisqu’il s’agit de renforcer la surveillance de politiques budgétaires et macroéconomiques qui demeurent de la responsabilité des Etats membres. Dans ce cadre, les propositions du groupe de travail van Rompuy seront vraisemblablement assez proches des proposition de la Commission européenne : renforcement de la surveillance budgétaire à l’aide de nouvelles règles portant sur le taux de croissance des dépenses publiques d’une part, de la réduction de la dette publique d’autre part ; renforcement et accélération des sanctions en cas de non-respect du pacte de stabilité (seule une majorité qualifiée au Conseil pouvant s’opposer à leur application) ; élargissement de la surveillance à l’ensemble des déséquilibres macroéconomiques (à l’aide d’un tableau de bord standardisé) ; amélioration et surveillance des appareils statistiques nationaux.
Dans ce contexte, il faut donc avant tout se réjouir de ce que les partenaires européens aient pris en compte deux failles majeures du Pacte de stabilité : la faiblesse de la surveillance statistique et l’impasse sur les déséquilibres autres que budgétaires. La crise grecque n’a-t-elle pas démarré lorsque le gouvernement nouvellement élu a découvert un déficit budgétaire double de ce qui avait été déclaré ? La crise irlandaise ne vient-elle pas fondamentalement d’un endettement bancaire excessif plutôt que d’une dérive des finances publiques ? La crise espagnole n’est-elle pas directement liée à la bulle immobilière qu’a connue ce pays, alors que le solde budgétaire public était en excédent ?
On peut certes regretter le caractère répressif plus qu’incitatif de ces propositions. Ainsi, les projets d’émissions souveraines communes et co-garanties ont été écartés, de même qu’une éventuelle utilisation plus flexible des fonds de cohésion européens. Mais il faut reconnaître que l’appétit des Européens pour plus d’intégration, voire l’introduction d’une dose de fédéralisme budgétaire, est quasi inexistant. En outre, l’Allemagne, à qui il a fallu arracher un accord sur le fonds de stabilisation européen, a maintenant un poids considérable dans le débat, tandis que la France souhaite donner des gages de sérieux en vue d’une redynamisation du couple franco-allemand. D’où l’accent mis sur les sanctions, accompagné d’une intrusion dans les systèmes statistiques nationaux.
Si cette façon de concevoir la discipline budgétaire se comprend, elle présente néanmoins un risque majeur : celui de « désapproprier » les gouvernements nationaux des ajustements budgétaires à venir. Puisque « Bruxelles a dit », puisque les règles numériques sont à respecter, pourquoi risquer de perdre du crédit politique à tenter de convaincre les électeurs de la nécessité des ajustements ? Ne sera-t-il pas plus rentable politiquement de mettre ces ajustements douloureux sur le dos de « Bruxelles » ? Partant d’une intention louable de mieux prendre en compte les externalités de politique économique entre pays de la zone euro, le nouveau dispositif risque d’appauvrir les débats au niveau des Etats membres et de renforcer encore le désamour des citoyens pour le projet européen. En s’appuyant exclusivement sur des règles numériques et sur le jugement de la Commission, le risque est donc que les populations européennes voient l’ajustement budgétaire et la correction des déséquilibres comme un nouveau pensum de Bruxelles, plutôt que comme un choix souverain national.
Pourtant, la mise en ordre des finances publiques n’est pas seulement un impératif européen : c’est aussi une nécessité au niveau de chaque Etat membre. Même sans euro, une dette publique à 100% du PIB ne serait vraisemblablement pas soutenable avec les taux de croissance relativement faibles des pays de la zone. Chaque Etat membre a donc un intérêt individuel, en plus de son intérêt européen, à assurer la soutenabilité de ses finances publiques et un cadre macro-économique équilibré. Dans ce contexte, le dispositif de surveillance serait peut-être mieux accepté s’il suscitait le débat national plutôt que de le préempter.
Une autre voie serait peut-être de s’inspirer de la démarche adoptée dans le domaine de la surveillance financière, en consolidant les efforts nationaux dans un cadre européen. Chaque pays mettrait en place des comités budgétaires (et économiques) indépendants, publiant des avis sur les projets de budgets et plus généralement de politiques économiques. Un comité européen aurait en charge de fédérer ces travaux pour nourrir les débats au sein des Etats membres (en apportant une dimension comparative forte dans les débats nationaux) comme entre Etats membres (au niveau de l’Eurogroupe, du Conseil et du Parlement), en cohérence avec le « semestre européen » proposé par la Commission. Une telle organisation de ces comités en réseau faciliterait la coordination nécessaire des standards ; l’analyse de l’impact agrégé des politiques, réalisée en collaboration avec les services de la Commission, permettrait à la fois d’évaluer la politique économique des pays, et à corriger leurs effets pour l’ensemble de la zone. A contrario des règles numériques, ce dispositif permettrait de fonder un système d’alerte sur une véritable évaluation contradictoire des politiques économiques, la Commission et le Conseil conservant la responsabilité de déclencher d’éventuelles sanctions. Au niveau des Etats membres, de tels comités consultatifs contribueraient à éclairer les débats en particulier au sein des Parlements. Avec des moyens modestes, ils aideraient à une meilleure adhésion des Etats aux efforts budgétaires, mais aussi à une meilleure cohérence des politiques économiques au niveau européen.
La route de l’assainissement budgétaire sera longue ; elle risque aussi d’être douloureuse, notamment si elle venait à contrecarrer les politiques nécessaires de redynamisation de la croissance. Ceci nécessitera beaucoup de débat afin de trouver des compromis permettant de réaliser à la fois les ajustements budgétaires et les politiques favorables à la croissance.
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