Les trois piliers d’une union pour l’emploi edit
Après l’union monétaire, l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux, que manque-t-il à la zone euro pour bien fonctionner ? Certains évoquent un budget de la zone euro, d’autres une mutualisation des dettes, d’autres, enfin, une assurance-chômage européenne. Toutes ces idées sont intéressantes sur le fond mais difficilement acceptables par nos partenaires allemands. Ces derniers redoutent qu’un dispositif d’assurance (des dettes, des travailleurs) ne conduise à une déresponsabilisation des Etats vis-à-vis de leurs créanciers ou de leurs chômeurs. Ils n’ont pas complètement tort.
Une manière de progresser serait de placer la question budgétaire dans le cadre plus large d’une union pour l’emploi – une union pour le travail et l’opportunité professionnelle. Un tel projet pourrait reposer sur trois piliers.
Le premier pilier serait une forme de convergence des marchés du travail entre les pays de la zone euro. Il n’est pas question bien sûr d’harmoniser les innombrables caractéristiques des marchés du travail nationaux. Il s’agirait plutôt de définir des critères de bon fonctionnement, tels que : un usage mesuré des contrats précaires, une protection minimale des travailleurs, une protection maximale des emplois, un système de formation professionnelle efficace, un salaire minimum, etc. Toute idée de solidarité est vouée à l’échec tant que subsistent des écarts importants entre les performances des différents marchés du travail européens.
Le deuxième pilier serait un marché unique du travail : une reconnaissance effective des diplômes (éventuellement par le biais d’une labellisation européenne), une portabilité complète et transparente des droits des travailleurs (formation, assurance chômage, retraites), des aides à la mobilité, des outils modernes de lutte contre la fraude sociale. Mais aussi, des investissements européens dans la formation initiale et tout au long de la vie, avec une attention particulière pour les métiers en tension dans toute l’Europe.
Le troisième pilier, enfin, serait celui de la solidarité. Le Fonds européen d’adaptation à la mondialisation serait remodelé (et renommé) pour pouvoir accompagner des bassins d’emploi durement touchés par le chômage, quelle que soit d’ailleurs l’origine de ce chômage de masse. En outre, tout travailleur européen aurait droit à une assurance chômage plus généreuse lorsque la situation de l’emploi se détériore fortement dans son pays. Cette assurance-chômage européenne, activée seulement en cas de crise profonde, pourrait s’inspirer du système américain. Aux Etats-Unis, l’assurance chômage est du ressort des Etats fédérés. Les critères d’éligibilité, les taux de remplacement, la durée d’indemnisation varient d’un Etat à l’autre. L’Etat fédéral intervient lorsque le chômage augmente fortement dans un Etat, en co-finançant un allongement temporaire de la durée d’indemnisation. Au plus fort de la crise, ce soutien fédéral a représenté en moyenne 0,5% du PIB pour les Etats – une somme tout à fait considérable au niveau macroéconomique. L’étage fédéral de l’assurance-chômage américaine permet de transférer des revenus spécifiquement à ceux qui en ont le plus besoin, qui ne peuvent emprunter sur les marchés pour maintenir leur niveau de consommation. Cette intervention est à la fois visible par les individus et efficace en termes de stabilisation macroéconomique. Enfin, l’effet de cette assurance sur le comportement des chômeurs (et des institutions qui les accompagnent dans leur recherche d’emploi) est faible si l’étage fédéral n’intervient que dans des situations de forte hausse du chômage, de surcroît de manière temporaire.
Ce troisième pilier ne peut être accepté par des pays à faible chômage que si les deux premiers sont effectifs. Dans le cas contraire, le risque existe d’ouvrir la porte à des transferts plus ou moins permanents vers des pays incapables de se réformer.
Une « union pour l’emploi » serait un projet plus mobilisateur qu’une « union des chômeurs », fondée sur la seule assurance chômage. Un tel projet peut paraître excessivement ambitieux. Toutefois il permettrait de sortir de l’ornière actuelle en fixant des objectifs à long terme (dix ans, par exemple), avec des étapes et des critères d’entrée, comme l’Europe sait faire. Ce serait aussi un projet concret, susceptible de modifier la vie des travailleurs, comme Erasmus l’a fait pour les étudiants. Enfin, dans une économie de services où comptent plus que jamais les compétences et la mobilité, un tel projet contribuera à renouer avec une croissance robuste.
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