G20 : le mistigri est passé à la France edit
Après un an d’échanges intenses et un sommet d’étape à Toronto en juin 2010, les chefs d’État et de gouvernement du G20 devaient se retrouver à Séoul en novembre 2010 pour sceller une sorte de pacte d’équilibre fondé sur des engagements nationaux solidement identifiés et quantifiés. Or si des engagements ont effectivement été pris en matière de politiques nationales, leur formulation assez vague ne permet pas d’évaluer véritablement la contribution de chaque pays à la croissance mondiale ni à la réduction des déséquilibres dans les années à venir. Comment mieux faire ?
En septembre 2009, les chefs d’Etat et de gouvernement du G20 lançaient solennellement à Pittsburgh une grande initiative pour réduire les déséquilibres mondiaux : excédents excessifs pour les uns, notamment en Asie et dans les pays exportateurs de pétrole, déficits excessifs pour les autres notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Pourquoi s’attaquer à ces déséquilibres ? Pour essentiellement trois raisons.
La première, c’est qu’ils sont les symptômes d’autres maux : le niveau élevé de l’épargne dans un pays peur refléter, comme c’est le cas en Chine, une couverture sociale insuffisante ou bien un système financier insuffisamment prêteur ; au contraire, une épargne excessivement basse peut être le symptôme d’une finance débridée, porteuse des risques que l’on sait. Le deuxième argument est que, s’ils ne sont pas la cause première de la crise mondiale, les déséquilibres extérieurs ont sans doute contribué à cette crise, notamment parce que les pays excédentaires ont trouvé confortable de placer l’essentiel de leurs excédents dans un pays réputé sans risque – les Etats-Unis – favorisant par là l’endettement facile dans ce pays. La troisième justification à cette chasse aux déséquilibres, enfin, est politique : tant que le chômage était bas, les Américains se souciaient peu de leur déficit commercial. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, quand le taux de chômage flirte avec les 10%. La tentation protectionniste est alors exacerbée, faisant peser sur l’économie mondiale le risque d’une hausse en chaîne des droits de douanes et autres protections, comme cela avait été le cas quelques années après l’éclatement de la Grande crise de 1929.
En est-on arrivé là ? C’était précisément l’enjeu du sommet de Séoul et il a commencé dans un climat d’inquiétude. Il faut dire que la décision de la Réserve fédérale américaine, quelques jours avant le sommet de Séoul, de lancer une nouvelle politique d’assouplissement quantitatif, avait échauffé les esprits. Cette politique consiste, pour la banque centrale américaine, à racheter aux banques commerciales des obligations – ici, des obligations publiques à long terme. Le but est, d’une part, d’accroître la liquidité disponible pour les banques, dans l’espoir de les convaincre de prêter cette liquidité aux entreprises et aux ménages ; d’autre part, la Réserve fédérale espère, par ses achats, faire pression à la baisse sur les taux d’intérêt à long terme, réduisant ainsi le coût des financements pour toute l’économie. Cette décision a mis en lumière la contradiction fondamentale, pour les États-Unis, entre leur engagement de rééquilibrer leur économie, et donc d’accepter une demande intérieure durablement affaiblie, et celui de réduire le chômage (ce qui exige au contraire une demande plus dynamique).
Les partenaires des États-Unis ont vu dans la décision de la Fed un geste hautement non coopératif, puisque le résultat en a été un affaiblissement du dollar, dont la rémunération s’affaisse. Notons que la baisse du dollar va bien dans le sens d’une réduction du déficit américain. Mais les investisseurs ont rapidement compris qu’ils pouvaient gagner beaucoup d’argent en empruntant aux États-Unis (à taux d’intérêt faibles) pour placer dans les économies émergentes (où les rendements, tirés par une reprise économique vigoureuse, sont forts). Cet afflux soudain de capitaux spéculatifs n’a pas plu aux pays d’accueil, ces derniers refusant de voir s’apprécier fortement leurs monnaies tout en craignant la formation de nouvelles bulles dans les marchés d’actions, l’immobilier, etc. D’où un net ressentiment de ces pays vis-à-vis des États-Unis, qui a presque éclipsé le refus répété de la Chine de réévaluer sa monnaie. Le G20 s’en est tiré en réitérant sa volonté de réduire les déséquilibres et en nommant un comité ad hoc, soutenu par l’expertise du FMI, chargé de définir quels déséquilibres peuvent être considérés comme acceptables. Rendez-vous au printemps 2011, pendant la présidence française du G20.
Que penser de tout cela ? D’abord, il est illusoire de croire qu’on parviendra au rééquilibrage mondial sans d’importants ajustements de taux de change. Cependant ces ajustements seront autant la conséquence que la cause du rééquilibrage. Ainsi, une hausse de l’épargne est nécessaire aux États-Unis pour réduire le déficit extérieur. Cela signifie un ralentissement durable de la consommation, donc aussi des prix (notamment des prix de certains biens et services comme l’artisanat ou les services de proximité qui, ne pouvant être exportés, doivent trouver des acheteurs sur le territoire). À l’inverse, la baisse de l’épargne en Chine s’accompagnera d’une hausse des prix. On l’a compris, l’ajustement porte sur le prix relatif des biens et services (le taux de change dit réel) et non pas nécessairement sur le prix relatif des monnaies (le taux de change nominal). Un ajustement du taux de change nominal peut accélérer le processus, mais ce n’est une condition ni nécessaire ni suffisante pour que le rééquilibrage se produise.
Ensuite, il est très difficile de fixer des normes de solde extérieur, notamment au sein de pays très différents en termes de niveaux de vie et de rythmes de vieillissement démographique, même si la théorie économique sur ce sujet est plus robuste que celle visant à calculer des taux de change « d’équilibre ». Il faudra donc certainement élargir le champ de l’analyse à des phénomènes bien concrets comme l’accumulation de réserves de change (qui traduit sans conteste une volonté des autorités de ralentir, si ce n’est stopper l’appréciation de leur monnaie), ce qui concerne à la fois des pays en excédent et en déficit. S’il est légitime de vouloir amortir les fluctuations du taux de change par des interventions officielles, tout est une question d’ampleur et la communauté internationale devrait peut-être fixer des normes sur cette question.
La France vient de prendre, pour un an, la présidence du G20, avec pour ambition de réformer le système monétaire international de façon à ce que plus jamais de tels déséquilibres puissent s’accumuler. Avant de dessiner le système monétaire multipolaire du futur, il lui incombera d’organiser la purge des déséquilibres du passé, avec un système monétaire lui aussi hérité.
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