Trump et les cryptomonnaies edit

Donald Trump a annoncé son intention de créer un fonds souverain en cryptomonnaies et de créer des réserves de change à la Réserve Fédérale (la banque centrale des États-Unis) également en cryptomonnaies. Cette idée n’a aucun sens économique mais elle récompense une industrie qui a largement contribué à financer la campagne électorale de Trump. Elle pourrait aussi introduire la criminalité au cœur du budget américain.
Pour ceux qui ne sont pas sûrs de comprendre les cryptomonnaies, une petite introduction peut être utile. Ce sont des instruments financiers créés de toutes pièces par des entreprises privées. Il y en a des centaines, dont beaucoup ont une durée de vie très faible. Ces instruments n’ont aucune forme matérielle, ce ne sont que des lignes dans les comptes de ces entreprises souvent sciemment inconnues, comme le concepteur de Bitcoin qui se cache derrière le pseudonyme Satoshi Nakamoto, qui n’a jamais été percé. Les transactions sont conduites de manière décentralisée et anonyme au moyen de programmes informatiques élaborés. Quand elles créent de la cryptomonnaie, les entreprises reçoivent de l’argent (dollars, euros, etc.). Ensuite le prix de chaque cryptomonnaie fluctue en fonction de la demande et de l’offre. Mais ce ne sont pas des monnaies, car elles ne sont presque pas utilisées pour régler des achats. De plus, une qualité essentielle de la vraie monnaie est la stabilité de sa valeur. Or, à l’exception des stablecoins indexés sur le dollar ou l’euro et dont le volume est peu significatif aujourd’hui, ce n’est absolument pas le cas comme le montre la figure ci-dessous qui fait apparaître les fluctuations du prix du bitcoin depuis sa création en 2009.
Valeur du bitcoin en dollar
Au départ, l’attrait des cryptomonnaies était la notion libertaire d’échapper au contrôle des banques centrales et à la surveillance des autorités. Friedrich von Hayek, Prix Nobel d’économie et chantre de l’économie libérale, a défendu l’idée de monnaies émises de manière privée. Cette approche est ancienne et elle a été mise en pratique avant d’être théorisée. Au XIXe siècle, quand la monnaie-papier – par opposition à la monnaie métallique, l’or et l’argent – a commencé à se développer, on a vu fleurir des monnaies dites parallèles, en générale émises localement par des petites banques qui garantissaient la valeur de ces banknotes. La quasi-totalité des ces monnaies se sont écroulées quand les banquiers disparaissaient, emportant avec eux l’or et l’argent ainsi collectés et abandonnant leurs clients à leur triste sort. Très populaire aux États-Unis sur fond de rareté du dollar d’argent, cette expérience a conduit l’État fédéral, dans les années 1860, à reprendre en main l’émission de monnaie (Legal Tender Act de 1862), avec la création du « greenback », le « billet vert ». Partout, l’émission de monnaie est ainsi devenue un monopole accordé aux banques centrales.
La création du bitcoin en 2009 a ouvert un nouveau cycle. L’engouement qui a suivi la création du bitcoin a dopé la demande et son prix a commencé à grimper, passant de 10 centimes de dollar en 2009 à 1 dollar en 2011, soit 10 fois plus en deux ans. Les récits de profits spectaculairement rapides ont pris le relais, et il a atteint 100 dollars en 2013. Au début de février dernier il a dépassé 10 000 dollars, avant de perdre 15% depuis. Il s’agit de pure spéculation, l’espoir que le prix augmente, sans autre raison que l’accroissement de la demande. Tant que l’engouement se maintient, c’est ce qui se passe, mais périodiquement les cours baissent, par exemple en 2021-22 quand la Chine a interdit la détention de bitcoins puis quand les taux d’intérêts ont commencé à être relevés face à l’inflation post-Covid. La chute a été spectaculaire, le bitcoin a perdu en un an les deux tiers de sa valeur, ruinant les investisseurs les moins alertes, qui achètent quand les prix montent et vendent quand ils baissent, découvrant ainsi à leurs dépens les risques de la pure spéculation. Il semble que l’essentiel des utilisateurs des cryptomonnaies sont ceux qui sont attirés par l’anonymat, ceux dont les activités n’ont rien de recommandable, des trafiquants en tous genres et des gouvernements bannis des marchés financiers, comme la Corée du Nord ou l’Iran. Le gouvernement des États-Unis s’apprête à les rejoindre.
Face à cette volatilité, les autorités s’efforcent de protéger les consommateurs naïfs et, face aux acteurs criminels, elles développent des moyens de percer leur anonymat. L’administration Biden a été particulière active, au grand dam des entrepreneurs qui produisent et gèrent les cryptomonnaies, qui font fortune en vendant un produit qui ne leur coûte pas grand-chose à fabriquer. Aux États-Unis, ils ont utilisé leurs moyens considérables pour soutenir Trump en échange de bons et loyaux services après son élection. Le renvoi d’ascenseur consiste non seulement à éliminer la réglementation, à embaucher plusieurs dirigeants d’entreprises de cryptomonnaies, et à fermer diverses enquêtes en court qui visent des entreprises importantes (Coinbase, Gemini et OpenSea) mais aussi à encourager et stabiliser la demande, grâce à la constitution d’un fonds souverain.
Les intentions précises de Trump sont loin d’être claires pour l’instant. Face à ses déclarations manquant de précisions, on en est réduit à imaginer ce qui pourrait se passer. En principe, un fonds souverain sert à placer de l’argent pour financer des dépenses publiques lorsque le besoin se fait sentir. Beaucoup de pays producteurs de pétrole et de gaz ont créé de tels fonds pour les utiliser lorsque leurs réserves auront fondu ou lorsque le pétrole et le gaz ne seront plus exploités. Trump n’a jamais mentionné cette raison. Comme les investisseurs naïfs, il est émerveillé par les gains attendus et espère gagner en popularité lorsque les cours des cryptomonnaies augmentent.
Les fonds souverains sont en général investis dans des actifs stables sur le court et le long terme, par exemple des bons du Trésor américain. Le problème est que la valeur de ce fonds sera soumise à la considérable volatilité des cours des cryptomonnaies. De plus, rien ne garantit que ces fonds ne disparaîtront pas, par exemple lorsque l’engouement sera passé , ou lorsque les sociétés qui ont émis les cryptomonnaies choisiront de disparaître parce qu’elles auront accumulé suffisamment de profits. Le renforcement de la réglementation et la possibilité de percer l’anonymat rendent cette possibilité probable. Évidemment, la dérèglementation, désormais en cours aux États-Unis, et la création du fonds souverain américain éloignent cette possibilité, et c’est précisément la raison pour laquelle les entreprises de cryptomonnaies ont misé sur l’élection de Trump.
Dans certaines de ses déclarations, Trump a aussi indiqué sa volonté d’ordonner à la Réserve Fédérale d’acquérir des réserves en cryptomonnaies. Là encore, on devine sa motivation. Si elle détenait des quantités importantes de cryptomonnaies, la Réserve Fédérale serait naturellement amenée à intervenir pour en stabiliser les cours, renforçant puissamment l’attractivité des cryptomonnaies choisies par Trump. Il n’est pas surprenant que les cours des cryptomonnaies se soient envolés en novembre dernier après sa victoire électorale.
Mais où Trump prendrait-il l’argent pour acquérir ces cryptomonnaies ? Trump mentionne un objectif d’une centaine de milliards de dollars. Il a expliqué qu’il allait utiliser les cryptomonnaies saisies lors d’affaires judiciaires, mais le montant serait d’une vingtaine de milliards. Pour le reste, le Trésor Public devra emprunter des dollars qu’il vendra pour acheter des cryptomonnaies. Emprunter avec intérêt pour investir dans des actifs extrêmement volatils est une idée bizarre, De plus, lorsque Trump utilisera ses cryptomonnaies pour financer des dépenses ou baisser les impôts, la dette publique, déjà proche de 100% du PIB, augmentera. Encore une fois, il pourrait pousser la Réserve Fédérale à faire monter les cours pour réaliser une bonne affaire. C’est ce que l’on appelle de la manipulation des marchés et c’est strictement interdit, en principe.
La protection d’investissements essentiellement crapuleux par la plus importante place financière au monde projette une image crue, aussi incompréhensible que le renversement des alliances traditionnelles des États-Unis. Il n’est pas impossible que ce projet soit ouvertement critiqué, y compris au sein du Parti Républicain et par l’élite financière, qui sont mal à l’aise de voir la ronde des créateurs de cryptomonnaies s’agiter autour du président. Comme toujours avec Trump, le pire n’est pas sûr, mais il n’est pas exclu non plus.
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