Les leçons économiques de l’épisode Barnier edit
Sans surprise, Michel Barnier a chuté sur une question économique essentielle, l’adoption annuelle du budget de l’État. Dès son arrivée à Matignon, il a choisi d’identifier la dette publique comme la menace la plus grave pesant sur la France. Ayant passé des années (et quantité d’articles sur Telos) à essayer de dénoncer le mépris manifesté par tous les partis politiques, l’administration, les syndicats et les médias à l’égard des contraintes budgétaires, j’ai eu un moment d’admiration pour ce qui aurait pu être un acte audacieux. Mais cette admiration s’est immédiatement dissipée. Le Premier ministre voulait utiliser ce sujet pour atteindre des objectifs purement politiques, évidemment. Il s’était saisi cette question pour affaiblir Macron et les siens qui avaient pratiqué durant sept ans le quoi qu’il en coûte et laissé la dette publique s’accroître. Il entendait ainsi assurer son indépendance à l’égard de son « socle commun », y compris son propre parti qui n’a pas utilisé non plus ses nombreuses années au pouvoir pour rétablir la discipline budgétaire. Mais alors il lui fallait construire une solide stratégie économique, faute de quoi, il allait s’exposer à des critiques venues de tous les bords.
Si l’objectif de faire redescendre le déficit de 6,1% à 5,5% en 2025 pour atteindre 3% en 2029 pouvait paraître raisonnable, il s’agissait avant tout d’une annonce qui se voulait habile, mais ne l’était pas. L’effort initial en 2025 était bien faible. Il devait être accentué par la suite pour atteindre les 3% du Pacte de Stabilité en 2029, mais comme cet horizon dépassait de loin la fin de son mandat, au plus tard en 2027, le projet n’avait aucune crédibilité. Pire même, il est vite apparu que Michel Barnier n’avait pas la moindre idée sur la manière de s’y prendre pour réduire le déficit budgétaire en 2025. La logique de réduite le déficit en coupant dans les dépenses pour les deux tiers et augmentant les impôts pour le tiers restant était, encore une fois, purement politique. Il s’agissait de mettre un terme au veto de Macron sur l’augmentation des impôts et de s’attirer la bienveillance de LFI et du RN. Or l’un des mérites de Macron avait été de vouloir détrôner la France de sa position de championne en prélèvements fiscaux, un objectif dont la logique économique est imparable. Il avait avancé dans cette direction mais, au final, il a échoué en avançant trop lentement. En annonçant des hausses d’impôts sur les riches et les grandes entreprises, Barnier espérait plaire à la gauche, mais il prenait le risque d’angoisser les entreprises et les marchés financiers. La solution a été d’annoncer que ces hausses seraient temporaires. Mais alors il se retrouvait en contradiction avec la notion que l’effort de réduction des déficits devrait être accentué après 2026. Il faisait apparaître ainsi au grand jour qu’il ne se donnait pas les moyens de réduire durablement les déficits, ne serait-ce que parce qu’il n’avait assez de temps devant lui. D’ailleurs personne n’a cru que ces hausses seraient temporaires. La promesse de s’attaquer, enfin, au problème de la dette se révélait ainsi creuse. Dans ces conditions, l’échec de Barnier, sous une forme ou un autre, était prévisible.
Cet échec annoncé aggrave la situation et va laisser des traces. Il confirme de façon spectaculaire l’idée qu’il n’y a pas de consensus en France pour réduire la dette publique à travers l’élimination des déficits budgétaires. Durant les débats au Parlement, la gauche comme la droite, y compris les extrêmes, ont multiplié des amendements totalement irresponsables, au nom de la protection de tous les groupes de pression, chacun d’entre eux s’efforçant de faire porter l’effort sur les autres.
Cette absence de consensus explique pourquoi, depuis des décennies, les gouvernements n’ont jamais vraiment essayé. On aurait pu croire que la montée de la dette finirait un jour par enhardir un gouvernement – comment ne pas penser à la tentative de Milei en cours en Argentine ? En prétendant être fait de ce bois-là, puis en produisant une stratégie dénuée de crédibilité économique, Michel Barnier a indiqué que le moment n’est pas encore venu, ce qui devrait décourager ses successeurs. Il a aussi envoyé un message limpide aux marchés financiers qui, est-il besoin de le rappeler, prêtent aux gouvernements de quoi boucher les trous. Faudra-t-il alors qu’une crise à la grecque se produise et oblige le gouvernement en place à s’y mettre, sans doute sous pression externe ? En Grèce le coût économique et social a été gigantesque. Pendant la dizaine d’années durant lesquelles elle a restauré un budget soutenable, elle a perdu l’équivalent des revenus d’une année entière. Les débats parlementaires semblent indiquer qu’une telle issue est inconcevable en France. Une illusion.
Que peut-on envisager pour le budget en attendant les prochaines échéances électorales ? Sauf prise de conscience bien improbable, le mieux est sans doute de ne rien faire. Nul de voudra rééditer l’approche de Michel Barnier, sonner le tocsin pour ne rien faire. Quand tous les partis sont concentrés sur la présidentielle, l’heure est aux manœuvres démagogiques en fonction des préjugés idéologiques de chacun d’entre eux. Après Barnier, chacun va essayer de blâmer les autres. Puisqu’aucun accord n’est possible, il est préférable de déclarer un cessez-le-feu et de simplement gérer les affaires courantes sans essayer de conduire des réformes impossibles. Autrement dit, il s’agit de laisser la campagne électorale se mettre en place, de privilégier le statu quo en attendant le verdict des urnes. Deux années d’inaction sont regrettables, bien sûr, mais bien moins dangereuses que la poursuite de la conflagration des dernières semaines.
Il reste à envisager les conséquences externes d’une inaction. La Commission européenne qui a la responsabilité de mettre en œuvre le Pacte de Stabilité a placé la France sous surveillance. Son rôle, du moins tel qu’elle le perçoit, est d’exiger une baisse soutenue du déficit. Elle a approuvé le projet soumis par Michel Barnier parce qu’il promettait une telle baisse mais, entre les lignes, elle a fait part de son scepticisme. Elle ne pourra pas accepter une inaction déclarée et devra donc préparer des exigences explicites, tout en sachant qu’elles ne pourront pas être mises en œuvre. De fait, donc, elle rongera son frein car elle ne voudra pas prendre le risque d’aggraver la crise politique. Elle sait faire, et aucun pays ne le lui reprochera, surtout pas l’Allemagne qui est en mauvaise posture.
La réaction des marchés financiers est beaucoup moins prévisible. Ces marchés savent être patients, mais ils ont aussi tendance à s’agiter brutalement de manière soudaine. Deux ans de perdus ne les inquiètent pas. D’autres pays européens ont connu de longues périodes durant lesquelles ils n’avaient que des gouvernements chargés d’expédier les affaires courantes, comme en Belgique et aux Pays-Bas. Les machés financiers préfèrent ce calme plat à des agitations qui se traduisent par des décisions malencontreuses. Comme tout le monde, ils scruteront avec acuité ce qui pourrait sortir de l’élection présidentielle, et ce sera ça le véritable danger. Si les sondages annoncent l’arrivée au pouvoir d’un(e) candidat(e) dont le programme économique est jugé irresponsable, une crise deviendrait inévitable, avant ou après l’élection. Dans le cas contraire, la crise serait remise à plus tard quand les marchés financiers pourraient juger sur pièce. En attendant, les agences de notation pourraient bien dégrader la note de la France, mais tout le monde comprendra qu’elles ne feront qu’ouvrir le parapluie pour ne pas être accusées de n’avoir rien venu venir si une crise devait éclater.
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