Trump peut-il être utile? edit

26 novembre 2024

L’affaire est entendue (entre nous, gens de bien), Donald Trump est un personnage répugnant qui poursuit des objectifs hautement malsains. Son mandat pourrait bien aboutir à des catastrophes, aussi bien pour les États-Unis que pour le reste du monde. Mais ses projets sont-ils tous mauvais ? Ne peut-on pas entrevoir que son mandat aboutisse à quelques bonnes choses, au moins sur le plan économique ? Voici quelques cas qui méritent, peut-être, d’échapper à un négativisme radical.

On sait que Trump est climato-sceptique et qu’il va s’attacher à démonter tout ce que Biden a fait. Il promet de cesser de décourager l’exploitation des sources d’énergie sale. Pour le climat, c’est une très mauvause nouvelle, bien sûr, ne serait-ce que parce que les prix mondiaux du pétrole et du gaz devraient rester modérés, ce qui va soutenir leur utilisation pour les transports, le chauffage et pour de nombreux modes de production. Mais si les États-Unis tournent le dos à la lutte contre le réchauffement climatique, le reste du monde aura tout intérêt à renforcer ses actions pour contrebalancer les baisses des cours américains de gaz et de pétrole au niveau mondial. Avec un peu de chance, face au choc créé par Trump, la stratégie dominante pourrait être repensée. Au lieu de se focaliser sur une multitude de mesures coûteuses et dont l’efficacité n’est souvent pas établie, de nombreux pays pourraient plutôt adopter une taxe carbone, soit directe, soit indirecte comme les permis d’émettre qui se mettent en place en Europe, lentement et péniblement il est vrai. Un tel virage aurait l’avantage de faire grimper au niveau mondial les prix de l’énergie.

Évidemment, avec des prix plus bas, les États-Unis bénéficieraient d’un avantage concurrentiel. Mais il existe une solution, la taxation du contenu carbone des produits importés. C’est la solution adoptée en Europe grâce au mécanisme d’ajustement aux frontières qui doit devenir effectif au 1er janvier 2026. Le risque est que Trump décide qu’il est victime d’une discrimination commerciale. Il ne se gênerait pas pour imposer des droits de douane punitifs sur les produits importés aux États-Unis. En choisissant habilement des produits spécifiques, il pourrait essayer de semer des divisions. Mais il le fera de toute façon vis-à-vis de l’Europe qui a déjà engagé sa stratégie. À nous de nous y préparer. Il est tout fait possible d’utiliser une partie des revenus générés par le mécanisme d’ajustement aux frontières pour compenser ceux qui seront affectés par les mesures prises par Trump. D’ailleurs Biden a déjà cherché à bloquer des hausses de cours du gaz et du pétrole lorsque l’OPEP s’apprêtait à les relever au moment où l’inflation accélérait. Il est même allé à Riyad pour essayer de convaincre les Saoudiens de sursoir à leurs intentions. Et il a échoué, un exemple à méditer.

Ennemi juré des arrangements multilatéraux, Trump pourrait aussi retirer les États-Unis des COP. Ce ne serait pas nécessairement un mal absolu. Ces grandes conférences consistent à pousser tous les pays à s’engager à limiter le changement climatique. La fameuse COP21 a abouti aux accords de Paris, selon lesquels chaque pays promet de faire ce qu’il faut pour limiter le réchauffement à 1,5o C. Aujourd’hui, on nous dit cette limite est déjà atteinte et qu’il faut plutôt compter sur 3o C. Cet échec retentissant n’est pas surprenant car la méthode est tout simplement frauduleuse. Les promesses ne coûtent rien mais créent l’illusion de l’action, une démarche à laquelle aucun gouvernement sur terre ne sait résister. La fin des COP aurait le grand avantage de mettre un terme à cette illusion. Le fait que les deux dernières COP ont eu lieu à Dubaï et en Azerbaïdjan, deux pays qui tirent l’essentiel de leurs revenus des hydrocarbures, révèle le niveau de mauvaise foi de cet exercice. Il est infiniment plus simple et efficace d’adopter des taxes carbones et des mécanismes d’ajustement aux frontières qui poussent tous les pays à évoluer dans le même sens. Trump sauveur de la planète ? Ce serait un paradoxe amusant.

En chargeant Elon Musk de faire fondre les effectifs de l’administration américaine, Trump ouvre la voie à une expérimentation inédite. Comme entrepreneur, Musk est impressionnant. Avec Tesla il a devancé tous les producteurs occidentaux de voitures de presque vingt ans. Avec SpaceX il relègue les plus grandes entreprises du secteur des fusées au rang de dinosaures. S’attaquer au secteur public est peut-être encore plus compliqué qu’inventer les fusées récupérables, et rien ne dit qu’il atteindra les objectifs irréalistes qu’il s’est fixés. Mais il va essayer et sans doute innover de manière surprenante. Bien sûr, la situation est très différente en France, et souvent en Europe, où les fonctionnaires ont un emploi à vie, alors qu’aux États-Unis ils peuvent être licenciés en quelques minutes. Mais l’expérience Musk pourrait être un test qui répond à des questions essentielles : que devient une administration profondément redimensionnée, dans quelle mesure ses fonctions cessent-elles d’être assurées et quel est le coût pour le pays ? On sait combien on épargne mais on ne sait pas si le jeu en vaut la chandelle. On parle parfois d’administrations pléthoriques, mais sans moyen de le prouver. Plusieurs présidents français, comme Sarkozy et Macron, avaient promis de réduire la taille des administrations, aucun n’y est jamais vraiment parvenu face à des syndicats puissants, en partie parce que les arguments de chaque côté relevaient plus du slogan que d’une connaissance acquise par l’expérience. Si Musk devait découvrir l’équivalent administratif des fusées réutilisables, bien des gouvernements seraient incités à s’en servir.

Un sujet proche du précédent concerne la réglementation. On sait que l’Europe est sûrement surréglementée, en tout cas par rapport aux États-Unis. Le récent rapport Draghi démontre que c’est là une raison du dramatique déclin technologique de l’Europe face aux États-Unis qui se traduit en un ralentissement marqué de la croissance économique. On accuse souvent l’adoption du principe de précaution d’avoir ouvert les vannes à une quantité de règles excessives dont se plaignent les entrepreneurs. Même aux États-Unis, on entend les mêmes récriminations et Trump a promis de faire un grand nettoyage, en échange d’un soutien financier de nombreuses entreprises à sa campagne électorale. Ça concerne notamment l’intelligence artificielle, désormais considérée comme le nerf de la guerre en matière d’avancées scientifiques et technologiques. On entend parfois dire que les États-Unis dominent ce domaine alors que l’Europe domine sa réglementation. Il se profile donc une nouvelle expérimentation. Ici encore, nul doute que les Européens vont suivre la question de très près.

Un dernier exemple concerne la politique industrielle. Le président Biden a consacré des sommes considérables pour faire revenir aux États-Unis des usines qui avaient été installées dans des pays où elles sont moins taxées et où la main d’œuvre coûte moins cher. Pour Biden il s’agissait d’éviter de faire face à une soudaine baisse des approvisionnements, comme ce fut le cas après le Covid, ou bien comme cela pourrait se produire en cas de durcissement du conflit avec la Chine. Pour les Français, c’est la preuve qu’ils ont eu raison de rester attachés à la politique industrielle, et c’est du vent dans les voiles du concept d’autonomie stratégique – y compris pour le Doliprane – cher à Macron. Pour la Commission Européenne, c’est un moyen d’étendre le champ de ses compétences propres et de son budget. Mais le sujet reste hautement controversé. L’expérience Biden en cours est suivie de très près et des doutes commencent à émerger sur les résultats, décevants quand on les rapporte aux investissements consentis. En imposant des droits de douane sur les importations, Trump pourrait adopter une stratégie très différente. Au-delà de ses fantasmes sur les déséquilibres bilatéraux de la balance commerciale, son objectif reste de protéger les producteurs nationaux face à une concurrence étrangère toujours présentée comme déloyale. Comment comparer ces deux stratégies ?

Comme c’est souvent le cas de la politique industrielle, la longue histoire des droits de douane est une litanie d’échecs. Ils appauvrissent les consommateurs et incitent les producteurs, libérés de la concurrence étrangère, à relâcher leurs efforts de productivité. À terme, ce sont les salaires qui souffrent. Par rapport aux droits de douane, l’avantage de la politique industrielle est d’être ciblée sur des activités spécifiques. Les droits de douane peuvent aussi viser des produits particuliers, mais Trump parle de ratisser très large (avec quand même un soin particulier pour les voitures électriques chères à Elon Musk). Un inconvénient bien connu des droits de douane est qu’ils ouvrent une boucle infernale de représailles mais il peut y en aller de même de même avec la politique industrielle, Son retour en grâce en Europe est souvent justifié comme une inévitable réponse au plan Biden. Le vrai désavantage de la politique industrielle est qu’elle repose sur des subventions qui pèsent sur le budget de l’État alors que les droits de douane sont une source de revenus. Dans cette période de dettes publiques élevées, ce n’est pas une mince considération.

Rien de ce qui précède n’est inscrit dans le marbre. Ce sont des supputations, et peut-être aussi un avertissement : les projets de Trump peuvent receler des opportunités pour l’Europe et le reste du monde. Tout ce qu’il envisage n’est pas nécessairement malvenu et ses méthodes inédites seront des expérimentations à suivre de près. Quant aux mesures manifestement nocives, elles peuvent ouvrir la voie à des contremesures intéressantes.