Les Français ont rompu avec l’Amérique de Donald Trump edit

12 mars 2025

« Nous avons, dès le premier jour, décidé de soutenir l’Ukraine et de sanctionner la Russie et nous avons bien fait car c’est non seulement le peuple ukrainien qui lutte avec courage pour sa liberté mais c’est aussi notre sécurité qui est menacée. En effet, si un pays peut envahir impunément son voisin en Europe alors personne ne peut plus être sûr de rien, et c’est la loi du plus fort qui s’applique et la paix ne peut plus être garantie sur notre continent même.  La Russie est devenue au moment même où je vous parle et pour les années à venir une menace pour la France et pour l’Europe. Face à ce monde de dangers, rester spectateurs serait une folie. Il s’agit sans plus tarder de prendre des décisions pour l’Ukraine, pour la sécurité des Français, pour la sécurité des Européens. » C’est ainsi que, le 5 mars dernier, le Président de la République a analysé, dans son allocution, la situation actuelle créée par la guerre en Ukraine. Plusieurs sondages d’opinion réalisés au même moment nous permettent de savoir comment l’opinion publique française a réagi à la situation actuelle.

La guerre en Ukraine

L’écrasante majorité des Français ne considère plus les Etats-Unis comme un allié de la France (Tableau 1). Il s’agit à leurs yeux d’une rupture qu’ils ressentent quelle que soit leur proximité partisane. Ils sont inquiets d’une propagation de la guerre en France, y compris les proches de LFI et du RN, alors que les dirigeants de ces deux partis relativisent cette menace. Les proches de tous les partis politiques sont également favorables à la continuation ou à l’accroissement de notre aide à l’Ukraine, à l’exception de ceux du RN, eux-mêmes partagés cependant, 40% se prononçant en faveur du soutien. Tous les groupes sont également favorables à un envoi de troupes françaises en Ukraine pour garantir une paix éventuelle, y compris les proches du RN. Il n’en va pas de même en revanche concernant l’envoi de troupes combattantes si la guerre se poursuit ; tandis que les proches de LFI, du PS, des écologistes et de LREM sont partagés, ceux de LR et du RN y sont nettement hostiles. Un autre clivage apparaît sur le financement de l’aide à l’Ukraine au moyen d’une augmentation des impôts et des taxes : tandis que les proches de EELV, du PS et de LREM sont partagés, ceux de LFI, de LR et du RN s’y opposent nettement. Enfin, tous les groupes sont favorables à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et, à l’exception des proches du RN, à l’Union européenne. Encore faut-il remarquer que sur cette question ces derniers sont partagés.

Tableau 1. Les Français et la guerre en Ukraine* (en pourcentage)

* Sondage ELABE, 3-5 mars

Le rejet de Trump et de Poutine et le soutien à Zelensky

Les Français, quelles que soient leurs préférences partisanes, ont réagi avec indignation ou colère aux déclarations et décisions de Donald Trump vis-à-vis de l’Ukraine, y compris les proches de LFI et du RN (Tableau 2). De même ils estiment tous, à l’exception de ceux du RN, eux-mêmes partagés, que le responsable de l’altercation à la Maison blanche est Trump et pas Zelensky. Plus généralement, si ce dernier bénéficie massivement d’une image positive ce n’est  le cas ni de Trump ni de Poutine, particulièrement impopulaires. Il faut cependant remarquer que 38% des proches du RN ont une image positive du président américain.

Tableau 2. Les Français face à Trump, Zelensky et Poutine (en pourcentage)

* IPSOS 6 mars
** ELABE 3-5 mars

Pour une défense nationale et européenne

Les Français sont très largement favorables à une augmentation de notre budget de défense, tous groupes confondus (Tableau 3). Ils sont également favorables à la création d’une armée européenne, y compris les proches de LFI et du RN dont les dirigeants y sont pourtant hostiles. Enfin, ils sont plutôt confiants quant à la possibilité de bâtir une défense européenne commune afin de ne plus être dépendants de la protection américaine, à l’exception des proches du RN qui, sur cette question, rejoignent les positions de leurs leaders.

Tableau 3. Une défense nationale et européenne (en pourcentage)

* IFOP 4-5 mars
** IPSOS 6 mars

De ces données il est possible de tirer trois enseignements majeurs. D’abord, les Français ont clairement perçu et assumé la rupture avec l’Amérique de Donald Trump, une rupture qui s’est d’abord opérée sur la question ukrainienne. Ils ont été très choqués par le comportement brutal et injuste du président des Etats-Unis à l’égard de Zelensky et de l’Ukraine. Ils ont compris que la guerre en Ukraine était une guerre européenne et qu’elle les concernait directement. Leur inquiétude est réelle. Si le lâchage de l’Ukraine par les Etats-Unis avait pour conséquence sa défaite, avec tous ses effets sur le régime et la population de ce pays, cette rupture ne pourrait que s’approfondir encore. 

Ensuite, la solidarité des Français avec l’Ukraine paraît très solide et l’on peut même parler d’une union nationale sur cette question. Le président et le gouvernement peuvent donc légitimement poursuivre voire augmenter le soutien de la France à ce pays. Les dirigeants de LFI et du RN prendraient des risques politiques importants en ne tenant pas compte des attitudes de leurs électeurs sur ce point, notamment en refusant d’aider l’Ukraine.

Enfin, les Français paraissent en avance sur une partie importante de la classe politique à propos de la question centrale de l’européanisation de notre défense. Contrairement aux dirigeants de LFI et du RN ils semblent ouverts à l’idée d’une souveraineté et d’une défense européennes.

Les difficultés que les gouvernants risquent de rencontrer pour augmenter l’effort dans le domaine militaire ne relèveront donc pas d’abord d’un désaccord avec l’orientation du président. Elles seront d’abord de nature financière. En effet, si les Français sont d’accord pour augmenter les dépenses militaires et l’aide à l’Ukraine ils ne paraissent pas (encore ?) prêts en revanche à les financer par une augmentation de leurs impôts et de leurs taxes ! Sur ce point le pouvoir devra donc utiliser une pédagogie adéquate.