Trump-Vance-Zelensky dans le bureau ovale: négociation, humiliation ou communication? edit

Le 28 février 2025, une réunion entre le président américain Donald Trump, le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le vice-président américain J. D. Vance à la Maison-Blanche a donné lieu à une séquence de confrontation verbale aux implications diplomatiques et communicationnelles profondes. Présentée officiellement comme une discussion autour d’un accord sur l’exploitation des ressources minérales ukrainiennes, cette rencontre a rapidement dérivé vers un affrontement politique et médiatique qui a eu un retentissement médiatique mondial, commenté de Washington à Moscou et de Pékin à Bruxelles comme une rupture diplomatique.
Loin de constituer un véritable exercice de négociation, cet échange s’est transformé en un dispositif stratégique de communication : les acteurs n’ont pas cherché à aboutir à un compromis, mais à diffuser leurs messages respectifs à des publics bien ciblés. Décryptons la séquence sous l’angle de la communication stratégique et des dynamiques de mise en scène du pouvoir, en nous appuyant sur des théories de la négociation et de la rhétorique politique.
La fausse négociation, un cadre préconfiguré pour un affrontement symbolique
Le piège rhétorique : une séquence scénarisée à sens unique. Dès l’entame de la rencontre, la posture de Donald Trump et de J. D. Vance ne laisse aucune place à un véritable dialogue. La mise en scène repose sur une série d’attaques dirigées contre Zelensky, visant à créer un rapport de force asymétrique dans lequel le président ukrainien est contraint de se défendre plutôt que de négocier. Réclamer reconnaissance, gratitude et respect est un cycle sans fin car les preuves sont toujours limitées alors que l’exigence de gratitude est, elle, potentiellement indéfinie.
Selon la théorie de la communication asymétrique de Chaim Perelman (1977), une situation de dialogue déséquilibrée dans laquelle l’un des interlocuteurs impose son cadre référentiel empêche la co-construction d’une issue viable. En présentant d’entrée de jeu l’Ukraine comme un acteur ingrat, belliciste et non coopératif, Trump et Vance placent Zelensky dans une posture défensive qui ne lui permet pas de structurer une argumentation proactive.
L’absence totale de discussion sur l’accord minier: un indice révélateur. La non-évocation du sujet initialement prévu – l’accord sur l’exploitation des ressources minérales – révèle l’intention sous-jacente de l’administration américaine. Il ne s’agit pas ici d’un échange diplomatique visant à structurer un partenariat économique, mais bien d’un affrontement politique destiné à produire des effets dans l’espace médiatique.
Dans la théorie des jeux d’acteurs (Crozier & Friedberg, 1977), les parties engagées dans une interaction stratégique cherchent avant tout à maximiser leurs gains symboliques. Ici, l’objectif de Trump et Vance est de conforter une posture isolationniste et critique vis-à-vis de l’aide américaine à l’Ukraine, répondant ainsi aux attentes d’un électorat sceptique quant à l’implication des États-Unis dans ce conflit. Considérer qu’il s’agit d’une négociation, c’est se tromper de public : le destinataire est l’électorat américain, pas les chancelleries étrangères.
Les stratégies discursives en présence : rhétorique d’accusation vs rhétorique de résistance
L’attaque ad hominem et l’escalade verbale. L’un des moments clefs de la rencontre survient lorsque J. D. Vance accuse directement Zelensky de manquer de gratitude envers les États-Unis et d’être un obstacle à la paix. Cette attaque personnelle s’inscrit dans une logique de rhétorique de disqualification (Amossy, 2010), où l’objectif n’est pas de réfuter des arguments factuels, mais de délégitimer l’adversaire en tant qu’acteur politique. Cette offensive avait été préparée par une série de posts présidentiels sur X réduisant le président ukrainien élu en 2019 pour cinq ans à un dictateur.
Cette technique se poursuit avec l’intervention de Donald Trump, qui assène à Zelensky qu’il « joue avec la Troisième Guerre mondiale » et menace de suspendre l’aide américaine. L’escalade verbale vise à créer un effet de choc, transformant la discussion en une mise en accusation publique. C’est l’équivalent du point Godwin pour l’administration Trump II : l’ingrat est aussi un va-t-en guerre qui joue avec la survie du continent.
La réponse de Zelensky : entre ironie et résistance symbolique. Face à cette offensive verbale, Zelensky adopte une posture de résistance en s’appuyant sur deux stratégies distinctes. L’ironie défensive d’abord : lorsqu’il répond que l’Ukraine se serait effondrée en trois jours plutôt qu’en deux semaines sans soutien occidental, il tente de dénoncer l’absurdité de la critique qui lui est adressée en renchérissant sur les allégations absurdes du vice-président Vance. Toutefois, en négociation, l’ironie est un piège, car elle peut être perçue comme un aveu d’impuissance ou une forme d’agressivité passive (Watzlawick, 1972). En l’occurrence l’ironie ne parvient pas à rappeler les sacrifices consentis par les forces armées ukrainiennes et l’adaptabilité tactique de ces mêmes soldats dans la défense de Kiev.
La deuxième stratégie est celle du rappel historique : en mentionnant les précédents accords violés par la Russie, Zelensky cherche à inscrire son argumentation dans une logique factuelle et rationnelle, en opposition à l’émotion brute et aux accusations simplificatrices de ses interlocuteurs. À des accusations morales (d’ingratitude, d’inconscience et d’irrespect), il répond par des défenses rationnelles.
Cependant, la structuration de cette réponse montre qu’il n’essaie pas tant de convaincre Trump et Vance que de s’adresser à un autre public : le sien.
Une confrontation aux objectifs de communication divergents
Zelensky : parler à son propre peuple et à ses (autres) alliés. Conscient du piège tendu par Trump et Vance, Zelensky comprend rapidement qu’il n’a rien à gagner à une confrontation brutale en mondiovision. Plutôt que de s’adresser à ses interlocuteurs directs, il dirige sa communication vers le peuple ukrainien (en maintenant une ligne dure et en ne cédant pas aux pressions, il cherche à rassurer ses concitoyens sur la détermination de leur gouvernement à rétablir la souveraineté de l’Ukraine. Il prévient ainsi les accusations de trahison qui peuvent émaner de l’opinion publique ukrainienne.), mais aussi les autres alliés : en exposant la posture américaine, il met implicitement en garde l’Europe contre un désengagement potentiel des États-Unis, appelant à un renforcement du soutien européen. Il reprend le fil de la combativité adopté depuis 2022.
Trump et Vance : parler à l’Amérique et à Moscou. Pour Trump et Vance, la cible de cette rencontre n’est pas Zelensky, mais l’opinion publique américaine et un acteur absent mais omniprésent : Vladimir Poutine.
L’électorat républicain : Trump et Vance cherchent à galvaniser une base électorale déjà conditionnée à voir l’aide à l’Ukraine comme un fardeau inutile. En insistant sur l’ingratitude supposée de Zelensky et en affirmant vouloir rediriger les ressources américaines vers des priorités nationales, ils renforcent leur position isolationniste. Ils montrent aussi qu’ils sont résolus à obtenir des contreparties à l’aide américaine : respect, gratitude, soumission, cessez-le-feu, etc.
La Russie : l’absence totale de mention de l’accord minier et la focalisation sur la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat envoient un signal clair à Moscou. En refusant tout engagement contraignant avec l’Ukraine, l’administration Trump laisse entendre qu’elle pourrait adopter une ligne plus conciliante envers la Russie.
Théâtre diplomatique au service d’enjeux internes et internationaux
L’analyse de cette séquence montre que nous ne sommes pas dans un exercice de négociation, mais dans une mise en scène où chaque acteur joue un rôle préétabli en fonction de ses intérêts et de sa posture de communication. N’oublions jamais que les présidents américain et ukrainien ont en commun d’être des hommes de télévision. Zelensky cherche à rassurer son peuple et ses alliés occidentaux sur la résilience ukrainienne. Trump et Vance visent un double objectif : asseoir leur discours isolationniste auprès de leur base électorale et envoyer un message favorable à Moscou.
Dans ce contexte, la question des ressources minérales, pourtant au cœur de l’ordre du jour officiel, devient un prétexte, éclipsé par des enjeux géopolitiques et électoraux bien plus vastes. La rencontre Trump-Zelensky-Vance illustre ainsi un paradoxe central des relations internationales : la diplomatie, bien qu’annoncée comme un instrument de résolution des conflits, est souvent utilisée comme un simple outil de communication politique.
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