Les ambitions de la Chine en Afrique edit

16 janvier 2025

Le 9e Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) s’est déroulé du 4 au 6 septembre à Pékin. Cette édition a rassemblé la plupart des dirigeants des pays du continent africain. Durant trois jours, réunions plénières et rencontres bilatérales se sont succédé pour célébrer l’amitié entre l’Afrique et la Chine. L’analyse des discours officiels et des commentaires permet de dresser un bilan de ce rendez-vous et de ses conséquences pour les pays du Nord dans la perspective de la montée de la contestation de l’ordre international par le « Sud global » mais aussi d’une lutte entre Pékin et Moscou pour en prendre le contrôle. C’est en partie dans ce contexte que s’inscrit le premier déplacement à l’étranger en 2025 de Wang Yi. Début janvier, le chef de la diplomatie chinoise s’est rendu en Namibie, en République du Congo, au Tchad et au Nigeria où il fera également le suivi du Focac.        

L’édition 2024 du Focac confirme le savoir-faire chinois en matière d’attractivité

Sur le plan de la communication et donc dans le domaine du champ des perceptions, la 9e édition du forum — depuis sa création en 2009 — a été un succès pour la Chine et plus largement pour le développement de son influence auprès du Sud Global. Cinquante-trois pays ont participé au Focac dont près de la moitié au niveau de leur chef d’État. C’est mieux que le sommet Etats-Unis-Afrique de 2022, où seulement 49 pays étaient représentés. Côté symbole, tous les chefs d’État d’africains présents auraient eu droit à une audience avec le Président chinois Xi Jinping.

Cela aurait été le cas de Paul Biya (Cameroun), de Félix Tshisekedi (RDC), de Bassirou Diomaye Faye (Sénégal), de Mamadi Doumbouya (Guinée), de Bola Tinubu (Nigeria) ou encore de Hakainde Hichilema (Zambie) et de Nana Addi Dankwa Akufo-Addo (Ghana). Certains chef d’États ont également profité de l’occasion pour doubler leur déplacement d’une visite d’État ou d’une visite officielle en marge du forum. Citons en particulier Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Bola Tinubun (Nigeria), Emmerson Mnangaga (Zimbabwe), Mohamed Ould Cheik Ghazouani (Mauritanie), Lazarus Chakwera (Malawi), Mahamat Idriss Déby Itno (Tchad) et William Ruto (Kenya).

Les invités africains au Focac n’ont pu être que séduits par l’attention accordée à chacun et par le savoir chinois en matière de cérémonial. Une telle situation contraste avec les incompréhensions suscitées lors du Sommet Afrique-France de Montpellier en 2021, organisé par Paris sans les chefs d’État africains ou encore les prises de position de Barack Obama au Sénégal sur l’homosexualité en 2013. Ces maladresses ont laissé des traces durables tant auprès des dirigeants africains que de la population. Il ressort donc de la communication faite autour du Focac 2024 la perception d’une Chine accueillante et plus respectueuse de ses partenaires du Sud que les États du Nord.      

Sur le plan géopolitique, Xi Jinping a profité de la présence de ses pairs pour rappeler les positions de son pays et chercher à renforcer son empreinte sécuritaire en Afrique. Le dirigeant chinois a affirmé son soutien à la demande du continent faite à l’ONU en faveur de l’obtention de deux sièges permanents au Conseil de sécurité. Pékin sait ce sujet populaire auprès des dirigeants africains et espère qu’il lui permettra de renforcer sa propre influence au sein de l’ONU, où l’Afrique compte pour quelque 53 voix. Ce « poids » est certainement l’une des raisons qui a motivé les Etats-Unis à soutenir également cette aspiration africaine à partir de mi-septembre 2024.

Mais entre le discours de façade de Pékin et sa mise en pratique effective, le fossé semble encore large. La Chine sait le sujet de l’élargissement du Conseil de sécurité sensible au regard de ses propres intérêts. L’ouvrir pourrait conduire in fine à l’intégration d’autres États asiatiques dont son grand rival indien, voire du Japon. Les discussions seront également âpres pour choisir les deux représentants du continent au Conseil. Déjà, lors d’un réunion organisée en marge de l’Assemblée générale des Nations-Unies en septembre 2024, les ministres des Affaires étrangères des BRICS n’ont pas été en mesure de se mettre d’accord pour désigner un candidat africain au Conseil de sécurité. L’Éthiopie et l’Égypte se serait opposées à la proposition d’y nommer l’Afrique du Sud. Ici, au-delà du concept, le Sud Global apparait comme une mosaïque d’États aux intérêts pluriels, une image éloignée d’un bloc homogène qui ferait face à un Nord supposément tout aussi uniforme.

Dans le domaine de la Défense, lors du Focac, la Chine a annoncé la fourniture d’une aide militaire non remboursable au continent (autour de 140 millions de $). Elle a également proposé de former des personnels dont 6 000 militaires et 1 000 policiers. Sur ce point, la 9e édition du forum a permis de donner plus de précisions sur les engagements similaires pris en au Forum de Dakar en 2021. Pékin souhaite également organiser des visites de jeunes officiers (500) en Chine et mener des exercices conjoints. Le champ du déminage est un axe de coopération (sans plus de précision). Si ce bilan semble modeste, dans les faits, Pékin est active depuis longtemps sur le continent dans le domaine militaire. Selon le SIPRI (2023), ses exportations d’armes vers l’Afrique entre 1950 et 2022 représenteraient une valeur de 9,4 milliards de dollars. Ses trois principaux clients sont l’Égypte, l’Algérie et le Soudan puis, dans une moindre mesure, la Tanzanie, le Maroc, le Nigeria et la Zambie. Le pays dispose d’une base à Djibouti depuis 2017. Enfin, la Chine a mené des exercices militaires d’ampleur avec la Tanzanie et le Mozambique à l’été 2024. Ils traduisent, selon l’Africa Center, une dynamique de militarisation de croissante de la politique chinoise en Afrique. Depuis 2000, les forces armées chinoises auraient mené 19 exercices militaires, 44 escales navales et 276 échanges de hauts responsables de la défense en Afrique.

Pour les autorités chinoises, le sujet sécuritaire est à double entrée. Il faut protéger les projets nationaux sur le continent (principalement d’extraction et de construction) ainsi que les infrastructures logistiques, tant pour acheminer les ressources naturelles captées vers la Chine que pour soutenir ses propres exportations vers le reste du monde. A cet égard, aux yeux des dirigeants chinois, le recul des partenaires historiques du continent (dont la France) est autant une bonne nouvelle (opportunités économiques accrues) qu’une menace (accroissement de l’instabilité, risque sur les investissements). Avec le départ de la France, la Chine pourrait se trouver en première ligne plus fréquemment. Or, la mise en lumière de ses activités en Afrique risque de l’exposer aux mêmes critiques que celles adressées aux européens (prédation, ingérence…). Dans ce contexte, la coopération sécuritaire sino-africaine devrait montée en puissance. Pékin en mesure certainement les risques à l’aune des difficultés rencontrées par la France et la Russie, en particulier au Sahel. La Chine sait aussi que la présence de boots on the ground pourrait mettre à mal son discours anticolonial — tout comme l’exemple du Sri Lanka, où le pays étranglé par les prêts chinois a été contraint de céder le port d’Hambantota à la Chine pour 99 ans. Mais Pékin sait aussi qu’il faut accélérer sa manœuvre avant l’arrivée effective du Président élu Donald Trump à la Maison Blanche. Adepte du rapport de force, il fera certainement du continent africain un enjeu. Donald Trump cherchera à y réduire l’influence de la Chine, tant pour lui contester son accès à des ressources nécessaires à son développement que pour réduire son leadership sur le Sud Global.          

Une politique africaine demeurant avant tout au service de l’économie chinoise

Sur le plan financier, certainement celui ou les attentes étaient les plus fortes pour nombre de pays africains, la Chine a fait bonne figure malgré le ralentissement de sa croissance intérieure. Cette dernière n’a pas dépassé 5,2% en 2023, soit son rythme le plus faible depuis trois décennies, hors période Covid. Dès son discours d’ouverture, Xi Jinping a annoncé vouloir fournir à l’Afrique un soutien financier à hauteur de 50Md$ pour les trois ans à venir (dont 29 Md$ de prêts, 11 Md$ d’aide et 10 Md$ d’investissements). Ce montant peut être comparé à celui des États-Unis qui avaient promis 55 Md$ en 2022. L’hypothèse d’un alignement de la partie chinoise sur États-Unis est d’ailleurs possible. Si cette nouvelle enveloppe chinoise représente plus que les 40Md$ promis lors du précédent Focac de Dakar en 2021, cela reste moins que les 60 Md$ de 2018 (Pékin). Cet engagement doit, selon Xi Jinping, déboucher sur la création d’au moins un million d’emplois en Afrique - un chiffre important pris isolement mais somme toute marginal à l’échelle du continent (population de 1,5 Md).

S’agissant en particulier des prêts, la situation se complique. Le montant des prêts accordés par la Chine aux pays africains en 2023 a été divisé par six (soit moins de 5Md$) par rapport au sommet atteint en 2016, où il approchait les 30 Md$. Pour mémoire, depuis 2000, les banques publiques chinoises ont accordé pour plus de 180 Md$ de prêts souverains aux pays du continent. Si ce volume semble conséquent, il faut observer que la part de la Chine dans le total de la dette souveraine de l’Afrique subsaharienne reste faible, à environ 6 %. La majeure partie de la dette africaine est en fait composée de dette intérieure (60,9 %), commerciale (16,4 %) et multilatérale (13,7 %). De fait, sur ces 15 dernières années, les obligations envers la Chine n’ont pas été la principale raison de la progression de la dette publique sur le continent. Il n’en demeure pas moins que les États en situation de surendettement sont aussi ceux qui ont le plus bénéficié des largesses de la Chine : Zambie, Ghana, Kenya, Éthiopie…  

Dans le contexte de ralentissement de son économie, il est probable que la Chine revoit à la baisse les ambitions africaines de ses « nouvelles routes de la soie » et se dirige vers des projets « petits mais beaux » comme cela a été annoncé pendant le Focac. Ces projets possiblement à fort impact auprès des populations devraient lui permettre de poursuivre l’exploitation des ressources du continent. La Chine cherche à conserver une image positive alors que plusieurs manifestations antichinoises ont été relevées sur le continent depuis le début des années 2020, notamment en Zambie, en RDC, à Madagascar ou encore au Kenya. Sur ce sujet, Pékin est échaudée par les différentes revers sécuritaires qu’elle a subi ces dernières années, notamment au Pakistan. Des ouvriers chinois y sont régulièrement victimes d’attaques de groupes opposés au développement de projets d’infrastructures initiés par la Chine dans le cadre de son programme des nouvelles routes de la soie. Rappelons aussi qu’en 2023, trois citoyens chinois ont été enlevés et neuf ont été tués en l'espace d'une semaine près d'une mine en République centrafricaine, ce qui constitue l'attaque la plus meurtrière jamais perpétrée contre des ressortissants chinois sur le sol africain.

Sur le plan commercial, Focac après Focac, le déséquilibre des échanges commerciaux reste nettement à l’avantage de la Chine. Son excédent commercial avec le continent est d’environ 64 Md$. Les biens chinois exportés sont essentiellement des produits manufacturés et des biens d’équipement tandis que les biens exportés par l’Afrique restent surtout des minéraux bruts et des produits agricoles. En volume, les exportations africaines à destination du marché chinois ont légèrement baissé, passant de 117 Md$ en 2022 à 109 Md$ en 2023. Il faut observer que ces volumes sont en net décalage avec les 300 Md$ promis à Dakar lors du Focac 2021.

Au cours de son intervention, Xi Jinping s’est engagé à supprimer les droits de douane pour 100 % des produits exportés vers la Chine pour 33 pays africains. Dans les faits, une vingtaine d’États africains bénéficient déjà de cette mesure sur certains produits. A date, il faut observer que près de la moitié des échanges sino-africains sont concentrés sur cinq pays à savoir l’Afrique du Sud, l’Angola, la RDC, l’Égypte et le Ghana. A l’avenir, il est peu probable que le déséquilibre de la relation commerciale entre la Chine et l’Afrique change fondamentalement. A contrario, les entreprises chinoises ont tout intérêt à prendre pied sur un marché en plein développement. D’après les prévisions de l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Afrique comptera près de 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050. Autrement dit, plus de 25 % de la population mondiale sera africaine et elle devrait en représenter près de 40 % d’ici la fin du siècle. Dans une certaine mesure, Pékin sait qu’à l’avenir celui qui s’imposera en Afrique contrôlera de facto le Sud Global. A court terme, toute la difficulté sera de prouver concrètement son apport en matière d’aide au développement à l’Afrique - en comparaison avec les partenaires historiques (France, Royaume-Uni), tout en se démarquant des « nouveaux » entrants (Turquie, Russie, Japon, etc.) et sans pour autant aider à l’émergence d’un nouveau concurrent. Sur ce point, la machine informationnelle chinoise est déjà en marche pour vanter l’action du pays. Diplomates et communicants chinois répètent à l’envie : « Au cours des vingt-cinq dernières années, depuis la création du Forum, la Chine a aidé l’Afrique à construire 100 000 kilomètres de routes, plus de 10 000 kilomètres de voies ferrées, près de 1 000 ponts et près de 100 ports. Rien qu’au cours des trois dernières années, plus d’un million d’emplois ont été créés en Afrique ».   

À l’opportunisme chinois répond le court-termisme des dirigeants africains   

Côté africain, cette édition du Focac a vu une prise de conscience de certains dirigeants africains des besoins de la Chine, tant sur le plan économique que géopolitique. Si le géant d’Asie est puissant, afin de revendiquer le leadership du Sud Global, il a besoin d’alliés, de marchés et de fournisseurs. Il s’agit donc pour les Africains de tirer profit de cette situation en négociant mieux leurs alliances et accords avec la Chine. A cet égard, le rôle de l’Union africaine (UA) est régulièrement questionné. L’UA représente un outil stratégique pour le continent, notamment sur les sujets économiques. Il devrait permettre de mieux faire converger les stratégies de coopération entre les États africains et de renforcer leurs positions au sein des équilibres mondiaux. Or, les résultats de l’institution sont jusque-là décevants. Outre des difficultés intrinsèques liées au gigantisme de l’UA, le choix de la Chine d’engager les États membres individuellement plus que cette organisation internationale n’aide pas. Une situation que rencontre également l’Union européenne avec la Chine mais aussi avec les Etats-Unis. L’un et l’autre savent le rapport de force en leur faveur en cas de discussions bilatérales. A cet égard, l’UA et l’UE ont tout intérêt à développer leurs échanges. Ces deux organisations témoignent d’une volonté de privilégier le multilatéralisme ainsi qu’un développement socio-économique profitable à tous, une singularité à noter en ces temps de retour des États puissances, souvent plus prédateurs que partenaires. Enfin, ni l’UA ni l’EU n’ont intérêt à se laisser enfermer dans des concepts qui ne reflètent pas leur réalité. Elles pourraient être les grandes perdantes d’un monde diviser grossièrement en un clivage nord-sud, au profit des chefs de file de ces deux blocs supposés : les Etats-Unis et la Chine.