Accord de Paris: juridiquement contraignant... ou pas? edit
A l’issue de la COP21, il est légitime de chercher à évaluer le résultat de ces négociations fleuves et tout ce travail diplomatique. Cela revient à se pencher sur la valeur juridique de l’accord de Paris au sens où on dépasserait, en recourant au droit, les simples intentions générales pour entrer dans une mise en œuvre concrète des mesures décidées. Peut-on parler d’accord juridiquement contraignant ? Cette question n’appelle pas de réponse directe et exige que l’on s’interroge d’abord sur ce que signifie cette notion dans le contexte du droit international.
Deux conceptions radicales et opposées peuvent aider à mieux délimiter le problème.
La loi s’impose à toute personne privée ou morale par le fait que l’Etat assure que toute infraction donnera lieu à une décision de justice qui elle-même pourra donner lieu à une exécution par la force. Même s’il est clair que les accords climatiques ne peuvent entrer dans cette catégorie de textes, on pourrait être tenté de mesurer leur caractère plus ou moins juridiquement contraignant en se référant à leur caractère plus ou moins sanctionnable. En suivant cette ligne, l’affaire est rapidement entendue puisqu’il n’existe pas de tribunal et encore moins de moyens coercitifs permettant de mettre en œuvre ces accords.
L’autre approche repose sur ce qui était, par exemple, la solution proposée par Eugène Huzar dès 1857 : « Il faudra aussi dans l’avenir créer une édilité planétaire qui réglemente le travail humain, de telle sorte que rien de décisif, de capital, tel que le déboisement d’une continent ou le percement d’un isthme, etc., ne puisse avoir lieu sans l’autorisation de l’édilité planétaire. ». Mais telle n’est pas la situation aujourd’hui puisqu’une organisation planétaire réglementant l’usage des ressources naturelles n’existe pas. Les Nations Unies ne jouent pas ce rôle, encore moins le Programme des Nations Unies pour l’Environnement. L’accord de Paris ne s’impose donc pas du fait d’une structure supra étatique encadrant l’activité des Etats.
Entre ces deux extrêmes, à condition de d’accepter de ne plus se référer à ces positions schématiques, il existe néanmoins un espace pour le « juridiquement contraignant » sur la scène internationale. Mais il faut alors prendre en compte le rôle des Etats, entre individus et gouvernement mondial.
En effet, en droit international, ce sont d’abord les Etats qui sont les acteurs. La souveraineté des Etats est, à de très rares exceptions, toujours préservée. Autrement dit, il n’y a pas d’autre possibilité que de faire en sorte que chaque Etat s’engage et soit contraint à respecter ses engagements par la seule force des règles qu’il s’est imposé lui-même. On peut trouver cela faible, on peut trouver cela insuffisant… mais c’est l’essence même des relations internationales.
L’accord de Paris ne sera alors juridiquement contraignant que s’il a un effet dans les ordres juridiques de chacun des Etats qui le ratifient. On distingue classiquement deux approches : l’approche dite moniste où les traités ratifiés ont automatiquement force de loi dans l’ordre interne des Etats ou, au contraire, l’approche dualiste qui nécessite, pour un effet juridique des traités, l’adoption de lois nationales. Par exemple, la France par l’article 55 de sa Constitution donne force juridique aux traités ratifiés quand la Loi fondamentale allemande impose aux traités une traduction législative pour qu’ils entrent dans l’ordre juridique national. Il faut se garder cependant d’en déduire que les systèmes intégrant directement le droit international sont plus respectueux des engagements internationaux. D’une part l’exigence d’une transposition dans l’ordre interne ne signifie pas moins de force aux Traités puisque l’adoption d’une loi montre de façon très claire la volonté de l’Etat de respecter le traité et permet d’engager automatiquement une responsabilité devant ses juridictions internes. D’autre part, les stipulations du traité peuvent n’avoir aucun effet pratique devant les juridictions internes si elles considèrent que le traité, bien qu’intégré automatiquement à l’ordre juridique national, ne crée d’obligation qu’entre les Etats. Au total, la force juridique d’un traité international pour chaque Etat reste éminemment délicate à apprécier : on ne peut ni affirmer que le traité a force de loi ni soutenir qu’il est purement sans conséquences juridiques internes… Il reste pour la pleine application du traité une marge substantielle à la discrétion de chaque Etat, discrétion exercée au cas par cas.
L’accord de Paris se présente sous la forme de compromis des Etats pour tendre vers un objectif commun de limitation du réchauffement climatique et son article 4 décrit les engagements unilatéraux attendus de chacun des Etats en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est bien dans un contexte national que les engagements climatiques se déclinent. En ce sens, sa force juridique renvoie bien à l’ordre juridique de chaque Etat partie à l’accord. Mais l’article 4 impose également aux Etats de communiquer des informations sur leurs émissions. On compte sur un contrôle du respect des engagements par leur affichage. L’accord a donc surtout du poids du fait de son caractère universel et donc du fait qu’aucun Etat ne peut s’en affranchir sans risquer une désapprobation de tous les autres. En ce sens, la force juridique de l’accord de Paris repose sur ce qui se passe dans toute société d’égaux : de ne plus respecter sa parole revient à s’exclure et c’est un lourd prix à payer qui ne saurait être négligé.
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