Covid: comment la crise a-t-elle touché l’Afrique? edit
Au moment où l’INSEE publie les résultats d’une étude montrant que les inégalités de niveau de vie et la pauvreté monétaire sont restées stables en France en 2020 grâce aux mesures exceptionnelles prises par le gouvernement[1], il est intéressant de se demander si la crise économique liée à la COVID-19 s’est déroulée ailleurs de façon moins clémente pour les plus vulnérables. Prenons le cas de l’Afrique.
Selon les dernières perspectives du Fonds monétaire international[2], la croissance de l'Afrique subsaharienne était de -1,9% en 2020, ce qui est mieux que le ralentissement de la croissance de l'Amérique latine et des Caraïbes (-7%), mais pire que l'Asie (-1%). Toutefois, comme la population africaine a augmenté de 2,5% en 2020, la baisse du PIB réel par habitant a été beaucoup plus importante : -4,3%. L'impact a été différencié selon les pays, les secteurs économiques et les niveaux de revenus, et ce sont les populations relativement vulnérables qui ont le plus souffert.
L’impact économique
Les pays africains sont de grands exportateurs de matières premières : pétrole (Nigeria, Angola, Libye), gaz naturel (Algérie, Nigeria), cobalt (RDC, Zambie, Afrique du Sud), aluminium (Afrique du Sud, Mozambique), étain (RDC, Rwanda, Nigeria), zinc (Namibie). La demande mondiale pour ces matières premières s'est effondrée début 2020. La moitié des pays africains, notamment le Soudan du Sud, l'Algérie, l'Angola, le Tchad, la Somalie et le Gabon, a été touchée l’an dernier par une détérioration des termes de l'échange - le rapport entre les prix des exportations d'un pays et les prix de ses importations.
Les recettes du tourisme constituent une autre source importante de revenus pour les économies africaines (Égypte, Afrique du Sud, Maroc, Tunisie). Selon l'Organisation mondiale du tourisme, les arrivées internationales ont chuté de 74% en 2020, avec 1 milliard d'arrivées internationales en moins et une perte de 1.300 milliards de dollars de recettes d'exportation au niveau mondial. L'Afrique a été la deuxième région la plus touchée.
Les transferts de fonds constituent une autre source essentielle de revenus pour les économies africaines, composant 27,4% du PIB au Lesotho, 13,5% en Gambie, 13,1% au Liberia en 2019. Selon les estimations de la Banque mondiale (2021), les envois de fonds en valeur ont diminué dans le monde entier en 2020 de 38,1% : 25,3% au Liberia, 24,8% au Lesotho, 24,1% au Mozambique.
Ce sont les populations les plus vulnérables qui ont souffert le plus
Les chaînes « transitionnelles » d'approvisionnement alimentaire – essentiellement des petites et moyennes entreprises (PME) engagées dans la transformation des aliments, des vendeurs de repas sur les routes, et des masses de grossistes et de détaillants sur les grandes places urbaines et les ‘marchés humides’ – prédominent en Afrique, représentant 50 à 80% de l'approvisionnement alimentaire. Ces chaînes d'approvisionnement ont été durement touchées par les mesures de sécurité sanitaire (confinement, distanciation sociale). Les chaînes de valeur « modernes », à plus forte intensité capitalistique et nettement plus flexibles en termes d'approvisionnement en intrants et de canaux de commercialisation, ont été beaucoup moins touchées par la pandémie. Par exemple, la production de céréales et d'autres cultures dans les grandes exploitations a généralement été peu affectée, car elle est peu intensive en main-d'œuvre : les opérations sont mécanisées et souvent situées dans des zones où les populations sont dispersées. En revanche, la production de fruits et légumes, plus intensive en main-d'œuvre, a subi des impacts significatifs.
Le commerce transfrontalier informel est une activité économique essentielle en Afrique et comprend le commerce transfrontalier de petites quantités (souvent de produits agroalimentaires) opéré par des particuliers, notamment des femmes. Dans de nombreux pays africains, le commerce transfrontalier par des particuliers était interdit en 2020, tandis que le commerce transfrontalier par camions était ralenti par des contrôles sanitaires et des couvre-feux qui ont entraîné un gaspillage important de produits alimentaires frais. En Ouganda, par exemple, le commerce informel a chuté de 78% en 2020 par rapport à 2019, tandis que le commerce formel n'a diminué que de 16%.
La capacité financière des États africains est limitée
Nous ne connaissons encore ni les conséquences exactes de cette crise en termes de pauvreté en Afrique, ni l'ampleur et l'efficacité du soutien apporté aux populations locales par les gouvernements. Mais des estimations sont disponibles.
David Laborde, de l'IFPRI, a réalisé une simulation globale des conséquences économiques de la COVID-19 en utilisant un modèle global connecté à un ensemble de données sur 300.000 ménages dans le monde[3]. Il conclut que 150 millions de personnes dans le monde sont devenus pauvres, avec une augmentation de ce nombre de 50,5 millions en Afrique au sud du Sahara.
Des chercheurs de l’AERC et de la LSE ont étudié ce qu'il en coûterait aux gouvernements africains s'ils transféraient des fonds aux ménages africains pour stabiliser le niveau de pauvreté. À l'aide d'enquêtes ménages récentes, ils ont évalué l'impact de la pandémie pour trois pays. Sans intervention, la pauvreté augmenterait de 4,2 millions de personnes au Ghana, de 3,3 en Ouganda, de 2,7 au Sénégal. Puis ils ont estimé le montant des fonds publics à transférer aux ménages pour éviter ce choc de pauvreté. En Ouganda, le choc aurait pu être géré à un coût relativement faible : un transfert de 0,7% du PIB aux ménages les plus pauvres. Le coût a été estimé à un niveau plus élevé au Ghana (3,0%) et au Sénégal (4,2%).
Qu’ont pu faire les gouvernements dans la réalité ? Au Sénégal, la politique a mis l'accent sur l'aide alimentaire et le soutien aux factures d'électricité et d'eau pour un total de 180 millions de dollars en 2020, soit 0,7% du PIB du Sénégal[4]. Au Ghana, le gouvernement a créé le fonds fiduciaire COVID-19, qui a financé en 2020 un soutien de 7.2 millions de dollars aux ménages les plus vulnérables, soit 0,01% du PIB[5]. En Ouganda, le gouvernement a mis en œuvre en 2020 un programme d'aide alimentaire (mais uniquement dans la région de Kampala et Wakiso) de 16.2 millions de dollars, soit 0,04% du PIB[6]. Ces programmes de soutien sont donc loin d'atteindre les montants estimés pour stabiliser la pauvreté.
En effet, ces gouvernements ont des capacités financières structurellement limitées. En plus des dépenses traditionnelles, ils ont été exposés à des pertes fiscales importantes et ont dû financer de nombreuses dépenses supplémentaires (santé, soutien aux entreprises privées, etc).
Malheureusement, la capacité de l'Afrique à investir dans l'atténuation de la pauvreté pourrait rester limitée, car son rétablissement après la COVID-19 devrait être lent. Le 19 octobre 2021, les vaccinations cumulées contre le coronavirus en Afrique s'élevaient à 12,8 doses de vaccin pour 100 personnes, contre 84,8 dans le monde[7]. La lenteur persistante de la vaccination à la mi-2021 est encore plus problématique. En juin 2021, le G7 a annoncé le don d'un milliard de doses aux pays pauvres et à revenu intermédiaire. Mais de nombreux pays pauvres ne disposent pas des infrastructures et des capacités techniques nécessaires pour mener des vaccinations de masse. Avec des vaccinations retardées, les effets négatifs des mesures sanitaires telles que les fermetures d'écoles (effets particulièrement importants là où il y a peu d'accès aux ordinateurs et à l'internet) pourraient persister longtemps en Afrique, avec un impact plus important sur la croissance à long terme. Selon le FMI, « en 2021, l'économie de la région devrait reprendre son expansion avec +3,4% pour le PIB, plus faible que les +6% du reste du monde, dans un contexte de manque persistant d'accès aux vaccins et d'espace politique limité pour soutenir la réponse à la crise et la reprise. » Aujourd'hui, un effort international, coordonné entre les institutions internationales et les gouvernements africains, est clairement nécessaire pour faire face à l'impact disproportionné de la pandémie sur les populations africaines vulnérables.
[1] Buresi, G., et F. Cornuet, « Estimation avancée du taux de pauvreté monétaire et des indicateurs d’inégalités », INSEE Analyses n°70, 3 novembre 2021.
[2] https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2021/03/23/world-economic-outlook-april-2021
[3] Voir Bouët, A., Laborde, D., et A. Seck, “The Impact of COVID-19 on agricultural trade, economic activity, and poverty in Africa”, in Bouët, A., Tadesse, G., et C. Zaki, The African Agriculture Trade Monitor, Akademiya2063 and IFPRI, Washington DC, 2021, accessible sur www.ifpri.org
[4] Ndiaye, M.F., “COVID-19 and its impact on Senegal’s Macroeconomic Structure, Policy Insights-Infrastructure Finance”, CoMPRA, 2021.
[5] Aduhene, D.T. et Osei-Assibey, E. “Socio-economic impact of COVID-19 on Ghana's economy: challenges and prospects", International Journal of Social Economics”, 48 (4), 2021.
[6] Okumu, I.M., Kavuma, S.N., et G. Bogere, “Efficacy of COVID-19 Macroeconomic Policy Responses in Uganda, COVID-19 Macroeconomic Policy Responses in Africa 06”, CoMPRA, 2021.
[7] Our world in data: https://ourworldindata.org/coronavirus; accès le 20 octobre 2021.
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