Puits de carbone? La forêt est bien plus que cela edit
Derrière les forêts qui couvrent notre planète se cachent des milliers d’espèces d’arbres agencés, naturellement ou pas, en écosystèmes très divers, faits de relations multiples et complexes avec leur environnement minéral, végétal, animal et humain au point de représenter une immense ressource à l'utilité incontestable. Un défi majeur pour l’avenir de l’Homme.
La capacité de absorption du CO2 par les forêts résulte d’une combinaison de mécanismes naturels et d’interventions humaines, aussi est-il est plus réaliste de parler d’une séquestration ou d’un piégeage du CO2 plutôt que de son élimination grâce aux forêts.
Chez les végétaux en général, la photosynthèse permet de dissocier le dioxyde de carbone de l’air pour fournir le carbone nécessaire à la synthèse de la cellulose ou la lignine de la plante, et de l’oxygène qui est rejeté. Inversement, pour assurer leurs fonctions vitales, les cellules végétales « respirent » pour brûler une partie du sucre qu’elles ont fabriqué et produisent de l’eau et du CO2, rendus à l’atmosphère.
Tant qu’un arbre vit et croît, il consomme plus de dioxyde de carbone par la photosynthèse qu’il n’en produit par la respiration. Lorsqu’il est abattu le carbone reste « en stock » pour le bois d’œuvre et retourne à l’atmosphère s’il est brûlé. Les arbres qui ne sont pas exploités relargueront du CO2 dans l’atmosphère après leur fin de vie (40 ans pour le peuplier, plusieurs centaines d’années pour le chêne) suite à la dégradation du bois mort, par des insectes et des micro-organismes, seule une petite partie du carbone capturé par l’arbre restant dans le sol sous forme d’humus.
Rapportée à la durée de vie des arbres, leur capacité de capture du CO2 est limitée et ne pourra compenser les émissions qu’à la condition d’augmenter très significativement la surface totale des forêt alors que l’espace disponible pour le faire est limité. En fait, la priorité est d’abord de préserver les forêts existantes car la conversion des forêts pour un usage agricole cause 20 à 25 % des émissions de gaz à effet de serre. La gestion raisonnée de leur exploitation est tout aussi essentielle. En zone tempérée la récolte de bois est compatible avec la préservation de l’équilibre des écosystèmes et la séquestration longue du CO2 si le volume de bois abattu chaque année ne dépasse pas la capacité de régénération. Cela vaut aussi pour les forêts tropicales : une étude publiée en mars 2020 dans la revue Nature montrait que la forêt amazonienne, non exploitée, est devenue émettrice de carbone et que celles d’Afrique tropicale ne tarderont pas à le devenir.
La « compensation carbone » peut se faire à la source en réduisant les combustions inutiles et en utilisant davantage le bois comme matériau, son bilan énergétique étant quatre fois meilleur que celui du béton et 200 fois supérieur à celui de l’aluminium.
Mais, outre leur rôle dans le stockage du CO2, les écosystèmes forestiers sont utiles par de nombreuses autres fonctions aussi importantes, voire plus : ils drainent l’eau et participent à la régulation de ses flux et cycles ; ils stabilisent les sols et réverbèrent la lumière solaire. Par leur organisation subtile et la multitude d’espèces vivantes qui les composent ils abritent une flore et une faune abondantes qui en font une source de subsistance pour une grande part de l’Humanité.
Forêt et cycle de l’eau
Les forêts sont majoritairement responsables du phénomène d’évapotranspiration : par leur feuillage les arbres expirent plus de la moitié de la pluviométrie qu’ils reçoivent. Ce fort pouvoir d’évapotranspiration, très supérieur à celui des milieux ouverts (pâtures, savane…), influence le cycle de l’eau par les précipitations qu’il génère localement, par le maintien d’une hygrométrie élevée, et à distance, par diffusion de la vapeur d’eau atmosphérique. Ainsi le débit de vapeur d’eau qui s’échappe de la forêt amazonienne dépasse celui de l’Amazone et agit à distance par des « fleuves aériens » de vapeur qui contribuent à l’humidité et aux pluies du versant est de la cordillère des Andes ainsi qu’aux pluies du Texas.
Les forêts régulent les flux en ralentissant les ruissellements superficiels et en facilitant le stockage par infiltration vers les nappes souterraines par augmentation de la perméabilité et de l’aération du sol. Par ailleurs la pluviosité sous le couvert est augmentée par la capacité des forêts à condenser l’humidité atmosphérique, d’autant plus que le feuillage est dense, ce qui augmente l’effet « réservoir ».
Forêts et conservation de la biodiversité
Les forêts contribuent à l’équilibre global des écosystèmes en protégeant la majeure partie de la biodiversité terrestre. D’après le dernier rapport de la FAO (2020), « les forêts contiennent 60 000 espèces d’arbres différentes, 80% des espèces d’amphibiens, 75% des espèces d’oiseaux, 68% des espèces de mammifères et la grande majorité des invertébrés -la plupart des insectes – dont le nombre des espèces est estimé à 5 à 10 millions. »
Outre la flore et la faune qu’elles abritent, par l’habitat qu’elles procurent à de nombreux pollinisateurs les forêts rendent un service inestimable aux productions alimentaires durables : on estime que 75% des principales cultures vivrières du monde, représentant 35% de la production alimentaire mondiale, bénéficient de la pollinisation animale pour la production de fruits, de légumes ou de semences.
Si l’effet de la déforestation sur le « bilan carbone » de la planète est inquiétant à moyen terme, la perte de biodiversité causée par la déforestation l’est encore plus car elle réduit à court terme la résilience des écosystèmes dont dépendent les modes de vie et la nourriture des populations..
La forêt, atout mal connu de l’économie mondiale
Les forêts constituent une ressource pour l’économie en générant un produit (légal) de 600 milliards de dollars soit 1% du PIB mondial avec de forts écarts selon les zones géographiques. Ainsi, les activités liées à la forêt ont représenté au moins 10% du PIB dans 19 pays africains; dans l’Union Européenne, l’industrie forestière génère 3% du PIB. Sans surprise, la contribution de la forêt à l’économie est faible ou négligeable dans les pays faiblement couverts (Israël, Uruguay…) ou désertiques (Mauritanie, Égypte, Arabie saoudite…). Cette contribution apparemment modeste si l’on s’en tient aux échanges mesurables et à la seule extraction du bois ne doit pas occulter les autres produits ou services qui « alimentent en silence » des économies locales qui concernent plusieurs milliards d’habitants.
Le prélèvement de bois s’élève à plus de 3900 millions de m³ par an dans le monde soit 1% du stock sur pied. Le bois rond représente la moitié des usages : soit sans transformation (poteaux, pieux...), soit pour la production du bois d’œuvre, des plaquages, d’emballages divers (caisses, palettes…) et des sous-produits servant à la fabrication de panneaux de particules ou qui sont dirigés vers les filières « bois énergie » des pays développés. Le bois est aussi la source de cellulose utilisée pour la production du papier et du carton.
L’autre moité est directement destinée à la production d’énergie par plus de deux milliards de personnes, surtout pour la cuisson des aliments par combustion (en milieu rural) ou après transformation en charbon de bois (en milieu urbain). On notera le cas particulier du Brésil dont 70% de l’acier est produit avec du charbon de bois, majoritairement élaboré à partir de bois de plantations où l’eucalyptus est l’essence la plus représentée.
En réalité la valeur des biens et services fournis par la forêt dépasse largement celle de la production marchande car, en milieu rural notamment, elle offre un complément au revenu agricole là où les emplois sont limités. À l’échelle mondiale, environ un milliard de personnes dépendent des systèmes agroforestiers pour se nourrir et comme source de revenus, principalement dans les pays en voie de développement : aux produits alimentaires prélevés en milieu naturels (gibier, poissons, insectes, végétaux , champignons…) s’ajoutent le ramassage du bois ou la production de charbon de bois pour un usage domestique ou pour la vente locale.
Ce sont des populations très défavorisées qui sont tributaires des forêts, lesquelles assurent leur subsistance et leur évitent de sombrer dans l’extrême pauvreté qui touche déjà 60 millions de personnes totalement dépendantes de ce milieu (notamment parmi les populations autochtones des forêts tropicales humides d’Afrique de l’Ouest , d’Amérique latine, d’Asie du sud-Est).
En examinant les principales fonctions des forêts, on voit qu’il est illusoire de penser que elles peuvent absorber tout le CO2 produit par les activités de l’homme moderne et qu'il est dangereux de laisser faire leur conversion tous azimuts (terre agricole, plantations en monoculture…) qui aggrave la production de gaz à effet de serre et déstabilise des écosystèmes essentiels. Il est donc primordial de ne plus affaiblir la fonctionnalité de la forêt mondiale en préservant les surfaces existantes qui doivent être gérées durablement. Cela permettra de maintenir les grands équilibres naturels de la planète tout en prélevant raisonnablement les bois qui répondent avantageusement à des besoins de matériaux par leur bilan carbone imbattable et en assurant la subsistance à des populations pour lesquelles la forêt est vitale.
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