Un an après Hong Kong, que deviennent les pays pauvres ? edit
Le cycle du Doha a suspendu sa marche en avant. Il reste encore quelques chances d'aboutir à la signature d’un accord commercial dans les sept prochains mois, mais il semble beaucoup plus probable que ces négociations trouvent une conclusion dans deux à quatre ans, voire n'aboutissent jamais. On est bien loin de l'euphorie affichée dans la capitale du Qatar en décembre 2001. Ce devait être le premier cycle du développement dans l'histoire des négociations commerciales multilatérales, c'est un camouflet pour les pays pauvres.
Il n’y aura certainement donc pas de libéralisation multilatérale prochainement. On peut même craindre un retour du protectionnisme tant les hommes politiques abondent en condamnations de la globalisation et du libre-échange. L’étude de Simon Evenett et Michael Meier, ou celle de Zaki Laïdi, publiées il y a peu par Telos, sur les démocrates américains nouvellement élus au Congrès, concluent à un retour de balancier du côté protectionniste dans la première puissance économique au monde. En France, le Premier ministre déclarait l’année dernière que la globalisation n’était pas la destinée de la France et Ségolène Royal vient de suggérer de taxer les entreprises qui réimportent des biens transformés à l’étranger.
Les pays en développement ont-ils beaucoup à perdre dans cette évolution politique majeure?
Considérons d’abord l’arrêt des négociations commerciales du Doha Round. A priori l’enjeu était important pour ces pays puisque l’objectif était au départ de concevoir un accord à leur mesure. Il y a quatre ans on insistait beaucoup sur le fait que les exportations de ces pays étaient très pénalisées par la structure mondiale du protectionnisme. Selon la dernière livraison de la base MAcMap, qui décrit le niveau du protectionnisme dans le monde pour l’année 2004, la protection qui pénalise les exportations des pays les moins avancés (4,4%) est plus faible que celle affectant les produits exportés par les pays à revenu intermédiaire (5,1%), mais les barrières a l’échange sont moins restrictives lorsque les exportateurs sont des pays à revenu élevé (4,0%). En ce sens la protection mondiale est régressive, et le Doha Round aurait pu permettre de réparer cette injustice.
Ces statistiques sont en outre trompeuses. D’une part elles sous-estiment certainement la sévérité des barrières à l’échange que doivent supporter les pays pauvres, faute de prendre en compte les réglementations coûteuses attachées aux régimes douaniers préférentiels accordés à ces pays (règles d’origine). D’autre part, une situation incroyablement diversifiée se cache derrière la moyenne des pays en développement : de 0,6% pour le Congo RD ou le Liberia, à 25% pour la Guyane, 26% pour le Malawi, alors que la protection moyenne supportée par les pays riches sur leurs exportations connaît moins de pics (à part la Nouvelle-Zélande, très pénalisée par le protectionnisme agricole).
En fait ce qui caractérise les pays en développement, c’est aussi (et peut être surtout !) leur protectionnisme, soit la sévérité des restrictions qu’ils appliquent à leurs propres importations. La protection est en Inde et au Maroc de 19,5%, de 27,1% au Nigeria, ou de 30,5% à Djibouti ! L’Afrique se caractérise par une protection particulièrement forte : 13,7% contre 2,5% en Europe, 4,0% en Amérique, 6,7% en Asie et 10,1% pour les pays du Pacifique. L’abandon du cycle de Doha est regrettable car ces économies ne vont pas se libéraliser : il est vrai que le régime spécial accordé dans ces négociations à ces pays leur permettait de s’affranchir de cette contrainte politique, en partie pour les pays à revenu intermédiaire, totalement pour les pays les moins avancés.
Au total l’abandon du cycle de Doha est-il une plus mauvaise nouvelle pour les pays pauvres ou les pays riches ? Si l’on regarde les conclusions des études récentes, c’est plutôt une mauvaise nouvelle pour les pays pauvres, notamment en termes de croissance relative du revenu réel national.
Qu’en est-il de la vie sans Doha ? Y a-t-il un risque de voir se déclencher une spirale protectionniste défavorable à tous les pays et en particulier aux pays en développement ? La probabilité est en fait faible, mais d’autres choix politiques sont tout à fait possibles.
La plupart des régimes préférentiels qui arrivent à leur terme devraient être prorogés (comme bientôt l’Andean Trade Pact Agreement qui donne à quatre pays d’Amérique Latine un accès préférentiel aux Etats-Unis) ; d’autres, comme l’accord Tout Sauf les Armes, sont permanents.
Néanmoins dans le cadre de cette orientation protectionniste des politiques commerciales des pays riches, deux éléments sont probables. D’une part un certain nombre d’accords de libre-échange risquent de ne pas être signés par ces nouvelles majorités, comme l’accord entre Etats-Unis et Pérou, ou celui entre Etats-Unis et Vietnam. Autant de possibilités perdues pour des pays en développement de gagner un accès préférentiel à des marchés gigantesques.
Il y a aussi la possibilité de voir se conclure dans les prochaines années d’autres types d’accord, des zones de libre-échange entre pays proches économiquement, ou géographiquement, ou politiquement. Un accord « régional » peut compenser un accord multilatéral, bien qu’il introduise des inefficacités économiques, comme le traitement différencié donné aux partenaires commerciaux. Il est en règle générale négatif pour les pays qui en sont exclus car ceux-ci y perdent des marchés pour leurs exportations. Il y aurait donc un danger réel pour les pays qui n’ont pas de perspective d’intégration commerciale régionale à moyen terme, si dans toutes les autres régions du monde ces perspectives régionales existent. Une étude qui va être publiée prochainement par l’IFPRI imagine un monde sans Doha, mais avec cinq accords de libre-échange, entre Etats-Unis et Union Européenne, entre pays d’Amérique du Sud, entre Inde et Chine, entre pays de l’ASEAN et entre pays arabes : il n’y a pas de perspective forte d’accord régional commercial entre pays de l’Afrique sub-saharienne aujourd’hui. Les résultats chiffrés parlent d’eux-mêmes : les baisses d’exportation sont générales pour les pays exclus de ces processus d’intégration, en particulier pour tous les pays d’Afrique sub-saharienne, et peuvent être parfois très élevées, comme par exemple Madagascar qui perd 10% en termes de volume exporté.
Il y a donc aujourd’hui un risque de protectionnisme par défaut : non-libéralisation multilatérale, non-signature d’accords bilatéraux, et non-participation à des accords régionaux. Cette perspective pourrait être très pénalisante pour les pays pauvres, à la fois par la perte potentielle de marchés à l’exportation, mais aussi par l’absence de libéralisation de ces économies souvent très protectionnistes. Doha est décidément bien loin !
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