Les taxes vertes du président Sarkozy edit

29 janvier 2008

À plusieurs reprises, Nicolas Sarkozy a évoqué la possibilité de mettre en place des droits d’importations « verts ». Les taxes vertes sont-elles appropriées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ou serviront-elles surtout à améliorer la compétitivité des entreprises françaises ?

L’idée semble être de punir les Etats qui ne respectent pas le Protocole de Kyoto, ou de rétablir une situation d’égalité entre producteurs français ou européens et ceux de pays qui ne seraient pas soumis aux contraintes de l’accord sur le climat. Mais que signifie exactement « les pays qui ne respectent pas Kyoto » ?

Sur le premier point, trois interprétations sont possibles. Il pourrait s’agir dans un premier temps de pays qui n’ont pas accepté  de signer ou de ratifier Kyoto. Or dans cette liste il ne reste qu’un pays industrialisé de poids significatif, les Etats-Unis, et un pays que l’on pourrait qualifier d’émergent, la Turquie, les autres n’ayant que peu d’importance du point de vue commercial. On voit mal les avantages dont la France pourrait bénéficier en imposant des droits supplémentaires à ces deux pays étant donné qu’elle jouit depuis longtemps dans ses relations avec eux d’une balance commerciale largement en sa faveur. Toute augmentation unilatérale de droits entraînerait à coup sûr des représailles américaines qui seraient plus néfastes pour la France que pour les Etats-Unis. Le cas de la Turquie est assez similaire. On voit mal l’Union européenne par laquelle on devrait passer s’embarquer dans une politique commerciale restrictive vis-à-vis de la Turquie alors que la question délicate de son adhésion reste ouverte.

Une deuxième interprétation consisterait à penser que les déclarations de M. Sarkozy visent des Etats qui ont signé et ratifié Kyoto mais qui ne respectent pas leurs engagements. Le problème avec cette deuxième conception est que le protocole de Kyoto contient déjà un mécanisme de punition des pays récalcitrants, défini lors de accords complémentaires de Marrakech en 2001 que la France a implicitement acceptés en signant et ratifiant Kyoto. Or ces mesures de punition n’incluent pas de politiques restrictives au niveau commercial, contrairement à ce que spécifie par exemple le Protocole de Montréal en matière de prohibition de substances qui favorisent le dépérissement de la couche d’ozone. Il serait par conséquent difficile à la France d’agir unilatéralement ici aussi.

Une troisième interprétation serait que les pays visés sont ceux qui tout en ayant signé et ratifié Kyoto ne sont soumis à aucune contrainte de réduction de gaz à effet de serre. Sont inclus dans ce groupe la plupart des pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil ou même la Corée du Sud et le Mexique. On a affaire ici à des pays qui sont effectivement des concurrents sérieux pour la France et l’Europe et qui ne sont soumis à aucun objectif de réduction. Cependant, ces Etats ont également signé et ratifié Kyoto et aucune disposition du Protocole ne les punit pour ne pas avoir de contrainte de diminution d’émissions. Il serait par conséquent difficile, du point de vue juridique, de leur imposer des droits d’importations compensatoires. De plus, cette catégorie de pays intervient précisément dans un des mécanismes essentiels du protocole de Kyoto, celui du développement propre qui permet aux Etats industrialisés ou à des entreprises de réaliser en partie leurs objectifs  de réduction en investissant dans des technologies qui émettent moins de gaz à effet de serre que celles qui sont utilisées localement. En d’autres termes, le mécanisme de développement propre peut contribuer à diminuer significativement les coûts engendrés par les réductions pour les pays industrialisés tout en réduisant également les émissions dans les pays émergents.  De plus, l’économiste Richard Richels a récemment estimé que même si les pays industriels s’arrêtaient instantanément de produire de l’électricité avec des combustibles fossiles et de faire circuler des voitures, la concentration de CO2 dans l’atmosphère augmenterait tout de même jusqu’à 450 parts par million vers 2070, niveau considéré comme dangereux. Cela montre bien l’importance qu’il y a à introduire les pays émergents dans le processus de réduction même s’il reste encore pour l’instant volontaire. Si des droits d’importation sont mis en place à l’encontre des pays émergents, non seulement la base légale pour le faire serait douteuse voire inexistante, mais tous les avantages du système du développement propre risqueraient alors d’être remis en question avec pour corollaire une augmentation globale des émissions !

La deuxième question concerne l’efficacité des taxes vertes, à supposer qu’elles soient légales. Supposons que la France, ou même toute l’Union européenne, introduise des droits compensatoires envers un ensemble de pays. Comme on l’a relevé plus haut, dans le cas des Etats-Unis ou celui de la Turquie, une telle mesure aurait peu de sens et constituerait un coup d’épée dans l’eau. Qu’en serait-il des pays émergents ? Ils seraient amenés à chercher à exporter ailleurs selon des standards qui ne sont pas ceux des pays européens et pourraient ainsi produire de manière encore moins conforme à l’environnement. Par ailleurs, au lieu de s’orienter vers des technologies plus propres, les industries des pays émergents pourraient être amenées à comprimer encore leurs coûts en utilisant davantage l’énergie produite par le charbon dont certains comme l’Inde et la Chine disposent en abondance. Conséquence prévisible : des émissions de gaz à effet de serre encore plus élevées.
      
Comment doit-on dès lors interpréter les propos de Nicolas Sarkozy ? Deux possibilités se présentent : soit les affirmations du Président sont purement destinées à la consommation politique intérieure et il s’agit de montrer sa volonté de défendre l’industrie française par rapport au reste du monde, soit il essaye d’influer sur le cours des négociations qui ont lieu actuellement pour définir les obligations des Etats à partir 2012, après la première phase de Kyoto. Il s’agirait alors d’une stratégie de menace destinée à persuader les pays émergents d’adopter eux aussi des objectifs contraignants de réduction. Mais vu les ambiguïtés que soulève ce type de mesures, la menace est-elle crédible ?