Euro : une solution « globale et durable » ? edit
La première stratégie de gestion de la crise de la zone euro a échoué. Elle consistait à isoler du marché les petits pays en difficulté et à les financer aussi longtemps que nécessaire à la mise en œuvre des réformes. Elle a échoué pour trois raisons.
D’abord, l’ampleur du problème pour ces pays de la périphérie est bien plus importante qu’initialement considérée (le FMI n’a de cesse de réviser à la hausse ses prévisions de la dette grecque qui atteindrait maintenant les 180% du PIB). Ensuite, les ajustements budgétaires sont bien plus difficiles à réaliser dans une zone monétaire que pour des pays autonomes qui peuvent dévaluer. Enfin, les investisseurs ont été de déconvenues en déconvenues : ils ont cru à la clause de sauvetage permanente annoncée en 2010 qui les épargnait pour apprendre 8 mois plus tard que les autorités de la zone euro leur demandaient une participation à l’époque encore limitée et pour comprendre aujourd’hui que cet « hair cut » serait beaucoup plus important.
Cette stratégie de sauvetage comporte en réalité des faiblesses en cascade très profondes. Une contraction budgétaire met la croissance à la peine, et, sans croissance, résorber la dette est un exercice difficile. Comme toutes les institutions financières des Etats de la zone euro détiennent de la dette de tous les pays de la zone, elles sont toutes potentiellement fragilisées. Comme les Etats sont endettés, envisager un soutien aux banques devient difficile. Et pourtant, il faudrait le faire puisque les institutions européennes sont faibles, qu’il manque un régulateur bancaire européen avec une véritable indépendance ou un système d’assurance du secteur bancaire pour protéger les déposants en cas de faillite.
Il est temps d’envisager une stratégie plus pragmatique, plus diversifiée pour tenir comptes des différences de soutenabilité budgétaire, et plus globales pour traiter de l’ensemble de ces questions. On sait maintenant que la Grèce seule ne met véritablement en difficulté le secteur financier qu’en Grèce. De même pour le Portugal. La vraie raison pour laquelle on ne restructure pas la dette de ces pays est la peur des effets de contagion. Il faut donc traiter, ensemble, la situation de la dette de ces pays et les effets de contagion. Ces deux pays ont des ajustements trop longs et trop importants à faire pour continuer dans une stratégie uniquement punitive : il faut restructurer leurs dettes et mobiliser de l’aide administrative européenne pour les aider a reformer leurs économies. Pour enrayer la contagion, le Portugal doit être restructuré en même temps que la Grèce. Au Portugal aussi, l’ajustement va être long et douloureux, le Portugal étant plongé dans une récession qui sera encore plus marquée en 2012 qu’en 2011. Restructurer la dette de ces deux pays au même moment, c’est les distinguer des autres ce qui contribuera à diminuer la contagion aux autres pays.
Pour enrayer plus définitivement la contagion, la question de la soutenabilité des dettes espagnoles et italiennes doit être clairement posée. Si l’on considère que ces grands pays ont des dettes plus solvables que celle du Portugal et de la Grèce (cf. De Grauwe, vox EU sur les difficultés d’évaluer la soutenabilité des dettes), mais qu’il existe des doutes sur leur capacité à engager des réformes, alors il faut que ces pays acceptent un « programme léger » ou « programme de précaution ». Ce programme doit proposer un soutien de la BCE conditionné à la mise en œuvre des dites- réformes. Seule cette institution européenne est capable de soutenir l’Espagne et l’Italie. Quelle que soit la façon dont on essaiera de torturer le Fonds européens de stabilité financière (FESF), ses capacités d’intervention restent limitées. L’espoir du « leverage » (avec une assurance de 20%, les investisseurs achèteront 1 / 0,2 fois plus de dette qu’initialement prévu) est de toutes façons lié à la mise de départ du fonds. Et l’autre espoir, celui de rassurer les investisseurs obligataires est vain : ils ne cherchent pas à se couvrir sur une probabilité de défaut, mais veulent simplement un actif SANS risque lorsqu’ils achètent de la dette obligataire. Il faudrait donc une assurance bien plus importante que les 20% évoqués pour les convaincre. Encore une fois : seul le soutien inconditionnel et assumé de la BCE rassurera complètement les marchés.
Il faudra sans doute aller plus loin et étendre le soutien de la banque centrale au rôle d’outil principal de moyen terme de gestion des crises souveraines en zone euro, en dépit du risque pris pour l’inflation. L’environnement de croissance faible dans les pays développés a rappelé à quel point il est difficile de faire baisser les dettes sans croissance nominale élevée. Les Anglo-Saxons l’ont compris : les obligations anglaises à 10 ans ont un taux de rendement de moins de 2,5% alors que l’inflation est de plus de 5%. Ils érodent donc la valeur de la dette par l’inflation et en parallèle cherchent à stimuler la croissance par la dévaluation de la Livre (dépréciée de plus de 30% depuis le début de la crise financière). Aucun économiste ne peut affirmer avec certitude que l’inflation à 5% affecte négativement l’économie plus que l’inflation a 2%, les débats des années 90 (Yellen, Perry, etc.) l’ont montré.
Enfin, il faut repenser les institutions budgétaires et bancaires européennes, ou plus précisément la stratégie d’intégration européenne. Tout d’abord, il n’est pas tenable d’avoir un système financier tellement interdépendant que les perspectives de faillite d’une banque aient des répercussions immédiates sur l’ensemble de la zone euro. Il faut créer un régulateur européen capable d’auditer de façon indépendante l’ensemble des banques. La surveillance laissée au niveau national est impossible puisqu’il est difficilement envisageable que le régulateur espagnol, par exemple, avoue les difficultés du secteur bancaire espagnol sans mettre le feu aux établissements ibériques. Ensuite, il faut un système d’assurance européen qui puisse gérer une faillite sans pénaliser les déposants, comme l’assureur américain FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) l’a fait depuis la crise. Enfin, puisque l’on multiplie les transferts budgétaires (à travers la BCE, à travers l’EFSF et son successeur le MSE, à travers les prêts bilatéraux effectués), puisque l’on renforce les contrôles de Bruxelles, il faut le faire avec transparence et respect de la démocratie. Les gouvernements doivent débattre et expliquer leurs choix plutôt que de se cacher derrière des règles et des sanctions renforcées.
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