Eurobond : la solution miracle ? edit
La zone euro semble être dans une impasse : les solutions mises en œuvre pour contrer une crise dans les petits pays de la périphérie atteignent leurs limites avec la contagion à l’Espagne et l’Italie. C’est que ces solutions ne s’attaquent pas aux racines du problème : le non respect d’une certaine discipline fiscale depuis la mise en œuvre de l’euro, en partie à cause de la faiblesse du cadre de surveillance européen. Dans ce cadre, l’eurobond ne peut être une solution à la crise que s’il est accompagné d’un meilleur cadre de surveillance fiscal et de croissance. Pour émettre en commun, il faut que chaque partenaire de l’eurobond ait confiance en ses autres partenaires. Comment les pays dits « vertueux » pourraient-ils accepter de garantir les autres sans contrepartie ?
La crise souveraine actuelle est le résultat de plus de dix ans de non respect de la discipline budgétaire en zone euro, et même d’un certain laxisme macro-economique : les gouvernements ont préféré soutenir la croissance de court terme avec du crédit public plutôt que de privilégier la croissance de moyen terme avec des réformes difficiles. Une grande partie des Etats membres de l’union monétaire ont laissé dériver leurs finances publiques. Cette dérive a résulté en partie d’un manque de volonté à prendre des mesures de rigueur mais aussi d’une volonté de soutenir la croissance à court terme, notamment en gonflant le revenu des ménages mais aussi en accroissant la demande publique. Ainsi on a pu soutenir la croissance à court terme évitant de mettre en œuvre des réformes propres à accroître le potentiel de croissance à moyen-terme, mais politiquement coûteuses.
Cette dérive budgétaire et macro-économique n’a pas été contrée par le cadre de surveillance européen. Le focus sur les variables budgétaires et la limite des 3% de déficit, les sanctions tardives ou ignorées ne pouvaient permettre d’effectuer ce diagnostic au niveau européen et surtout d’enrayer cette derive. C’est la crise qui a mis en evidence la faiblesse du système de surveillance fiscale de la zone euro. On a préféré mettre en place des règles limitées avec des sanctions qui se sont révélées peu crédibles plutôt que de construire une véritable politique budgétaire commune face à la politique monétaire commune. Une telle construction aurait demandé de renoncer à un peu de souveraineté nationale pour le bien de l’ensemble de la zone euro et de la solidité de la construction. Maintenant que l’approche par les règles et la sanction ex-post face aux manquements des règles a échoué, il est temps de se reposer la question du bien-fondé d’une telle méthode de surveillance, plutôt qu’une organisation plus centralisée des politiques budgétaires, au service d’abord de la zone euro dans son ensemble.
Pour le moment, les solutions proposées ont été de trois ordres : renforcer les sanctions et les règles, élargir le champ de la surveillance, mettre en place un mécanisme de soutien aux pays ayant besoin de reformes longues, profondes et immédiates pour restaurer la soutenabilité de leurs finances publiques. Il faut saluer l’élargissement de la surveillance aux variables macro-économiques : plutôt qu’un focus étroit sur les seules variables fiscales, c’est aussi vers une appreciation du cadre macro-économique et ses effets sur les capacités de croissance que se porte maintenant l’attention européenne. Avec le Pacte euro + décidé en mars, on s’intéresse maintenant aux réformes économiques porteuses de croissance autant ou presque qu’aux chiffres de déficit. De même, le mécanisme de soutien aux pays de la périphérie a évité des crises immédiates sur les marchés. Cependant, ces mécanismes, comme le renforcement des règles, n’offrent pas de réponse au véritable problème de la zone euro souligné ci-dessus : l’absence d’une stratégie budgétaire et de croissance pour la zone.
Le fonds européen de stabilité financière (FESF), principal instrument de réponse à la crise, reflète les limites de l’approche adoptée jusque-là : 1/ plutôt que de susciter un véritable ajustement budgétaire et macro-économique, il réduit drastiquement la souveraineté économique des pays qui en reçoivent des prêts, bien plus qu’une union fiscale puisque la politique économique est décidée par le FMI, la CE et la BCE ; 2/ ce mécanisme ne peut être étendu sans entraîner de dégradation automatique de la qualité de crédit des pays qui en sont garants. Par construction, chaque fois que le fonds de secours lève de l’argent sur les marchés pour prêter aux pays de la périphérie, le ratio de dette sur PIB des Etats garants se dégrade à proportion. Si le fonds levait tout l’argent possible dans ses statuts actuels, la dette de la france augmenterait de 10 points de PIB. On voit bien ici les limites de la construction et notamment qu’elle ne peut être plus étendue en l’état. Sans même citer la montée d'opposition chez certains pays, de la Finlande à l'Allemagne comme en témoigne l'opposition récente de son président.
La solution de l’eurobond aujourd’hui présentée comme une panacée n’en est pas une, sauf sous certaines conditions. L’argument qui justifie cette solution est qu’un tel bond apporterait des taux nettement moins élevés à tous les pays y participant, sauf peut-être les plus vertueux, mais l’augmentation de leurs taux serait minime grâce à la réduction de la prime de liquidité. Cela ne serait vrai que si l’on considérait la qualité du crédit moyen comme représentative. Or elle ne l’est pas car l’Allemagne et la France seraient incapables de faire face aux besoins de financement de l’Italie et l’Espagne. En d’autres termes, si certains pays n’ajustent pas drastiquement leurs économies, la croissance de leurs besoins d’endettement ira bien au-delà des capacités de remboursement des pays vertueux. C’est la différence fondamentale avec une fédération type Allemagne ou Etats-Unis : la faillite de la Californie ne peut ébranler l’Etat fédéral américain.
L’eurobond ne peut donc être une solution que s’il est accompagné d’une nouvelle et meilleure garantie de vertu budgetaire et macro-économique. En poussant ce raisonnement à l’extrême, si une véritable vertu budgétaire et macro-économique dominait chez tous les gouvernements europeens, la question de l’eurobond ne se serait pas posée. Neanmoins, un eurobond avec une telle garantie est une solution positive dans la mesure où elle apportera des taux moins élevés pour tous. Une telle garantie peut prendre plusieurs formes : une union politique n’en serait pas une dans la mesure où les pays les moins vertueux représentent une trop grande part de la population de la zone euro. Des règles renforcées n’échappent pas au scepticisme sur la coercicion de telles mesures. Il faut donc plus de centralisation des décisions budgétaires ex-ante. Une telle centralisation nécessite de mettre en commun une partie de la souveraineté budgétaire, probablement aussi de centraliser les émissions de dette afin d’assurer le respect, ex-ante, des engagements budgétaires. C’est à ce prix que l’on peut esperer un accord des pays les plus vertueux pour la mise en place d’un eurobond, mais aussi pour la crédibilité de cet eurobond.
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