Hugo Chávez : un Ulysse tropical ? edit
Avec les Etats-Unis et Cuba, le Venezuela serait aujourd’hui considéré comme un pays « non ami » par un certain nombre de ses voisins. C’est en tout cas l’avis des Latino-Américains de 18 pays, selon une enquête publiée en avril 2007 par Latinobarómetro. D’aucuns contestent la fiabilité de telles enquêtes ; mais le président Chávez est devenu pour la presse internationale une véritable icône. Pas une semaine ne passe sans que les journaux occidentaux ne mentionnent les singulières prouesses de l’énigmatique Ulysse tropical.
Dans son odyssée vers une Ithaque bolivarienne imaginaire, le président vénézuélien a franchi une nouvelle étape en annonçant début mai que le pays se retirait du Fonds monétaire international et de la Banque Mondiale. Il a menacé d’en faire autant avec l’Organisation des Etats américains. La nouvelle a été amplement relayée par les médias internationaux.
Ce n’est pas la première (et singulière) contribution de Chávez à la recomposition des institutions internationales. Un mois plus tôt, il avait officialisé le lancement de la Banque du Sud (Banco del Sur), un nouvel organisme financier multilatéral consacré à la région concurrençant la Banque interaméricaine de développement. Quelques pays andins et l’Argentine ont rejoint l’initiative, qui n’attend plus qu’une décision brésilienne pour consolider sa dimension régionale. Ce nouvel effort pour ébranler les organismes basés à Washington s’inscrit dans le rêve chaviste de mettre les Etats-Unis en situation d’échec dans la région. Déjà, avec son retrait de la Communauté andine et son adhésion au Mercosur l’année précédente, le Venezuela avait contribué à la recomposition de la scène géo-économique du sous-continent, en prenant un peu plus encore ses distances vis-à-vis de la Colombie, le grand allié des Etats-Unis dans la région. A présent, avec le retrait du Fonds et de la Banque, la décision de Chavez pèse sur le débat concernant le futur des organismes internationaux basés à Washington.
Mais si la nouvelle a fait la une des journaux régionaux et internationaux, elle n’a pas provoqué le même émoi au sein des marchés financiers. Curieusement, les primes de risque vénézuéliennes ne se sont pas envolées, et ont à peine répercuté le séisme médiatique. La décision peut néanmoins entraîner des implications financières importantes. A court terme, l’événement pourrait permettre à d’autres pays, comme l’Espagne, d’augmenter leur poids et leur quote-part dans l’organisme financier international. Surtout, à moyen terme, cette décision engendre une incertitude sur l’avenir des bons du Trésor vénézuélien et sur un éventuel défaut technique du pays.
Aucun analyste ne mets en doute la capacité de paiement du Venezuela, eu égard à ses niveaux de réserves actuels. Toutefois, comme l’a fait remarquer la banque d’investissement Bear Stearns, les détenteurs de bons vénézuéliens pourraient théoriquement accélérer le paiement de la valeur nominale de la dette une fois le retrait formalisé. S’il refusait d’accéder à la demande, le Venezuela entrerait en défaut de paiement. La majorité des bons vénézuéliens comprend en effet une clause qui stipule que le pays doit être membre du Fonds monétaire international et que dans le cas où il cesserait de l’être, les détenteurs de bons qui possèderaient 25 % d’un titre, pourraient demander l’accélération du paiement.
La décision de retrait du Venezuela intervient également au moment où la Banque mondiale traverse une crise institutionnelle et le Fonds monétaire international a des difficultés financières. Si, dans le passé, l’Amérique latine figurait parmi les meilleurs clients de ces organismes, l’amélioration de la situation macroéconomique de ces dernières années leur a permis d’y recourir de moins en moins. Le Mexique, le Brésil et l’Argentine ont ainsi soldé leurs comptes avec le Fonds. De façon plus agressive, d’autres pays ont pris des initiatives qui s’inscrivent dans la stratégie vénézuélienne : le Bolivien Evo Morales a annoncé, en même temps que Chávez, que son pays quittait le centre d’arbitrage international de la Banque mondiale chargé de résoudre les conflits liés à l’investissement. Presque en même temps, le président équatorien Rafael Correa décidait d’expulser le représentant de la Banque mondiale.
Le Venezuela est sans doute possible un cas à part sur le continent et sur la scène internationale. L’or noir lui permet d’afficher des taux de croissance du PIB record (10,3 % en 2006), bien supérieurs à ceux des pays de la région, et comparables au champion chinois. Malgré les signes évidents de dutch disease, les pressions inflationnistes (17 % en 2006), et l’appréciation du taux de change, l’avancée vénézuélienne vers l’Ithaque bolivarienne continue, imperturbablement, tant que dure l’aubaine pétrolière. Cela lui permettra aussi sans doute de poursuivre ses ambitions régionales, et il pourrait bien être rejoint par d’autres pays qui décideront de tourner le dos à Washington.
Mais il se pourrait aussi que l’Ithaque promise ne soit pas le paradis terrestre rêvé par Chávez. Quoi qu’il en soit, les épisodes de son odyssée ne cessent de faire couler l’encre. Chávez a déjà la prochaine étape en tête : après les nationalisations du secteur pétrolier, des télécommunications et de l’électricité, il menace à présent de faire de même avec les secteurs bancaire et sidérurgique qui demeurent dans des mains étrangères.
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