Le populisme contre le développement edit
La décision bolivienne de nationaliser les industries pétrolières et gazières va entraîner de lourdes pertes pour le Brésil. Elle montre aussi que le populisme et les ruptures de contrat restent en Amérique latine une manière facile de botter en touche pour justifier le refus des réformes. Les pays de la région ont une tendance chronique à utiliser leurs ressources naturelles pour atteindre des objectifs politiques.
Le Vénézuélien Hugo Chavez, par exemple, s’est lancé dans une croisade populiste dans tout l'hémisphère en surfant sur la vague de la hausse des prix du pétrole. En Argentine, Nestor Kirchner a imposé une taxe de 20% sur les exportations de céréales et il a interdit les exportations de bœuf pour alimenter sa démagogie anti-inflationniste. En Bolivie, un Evo Morales récemment porté à la présidence tient aujourd’hui sa promesse électorale de nationaliser les productions de pétrole et de gaz – et avec elles les installations qui ont coûté de lourds investissements à l’entreprise d’Etat brésilienne Petrobras.
Il est évidemment facile de débiter des discours enflammés pour défendre la souveraineté nationale. Tout comme il est facile de désigner des boucs émissaires étrangers aux problèmes domestiques, comme la proposition d’une Zone de libre-échange des Amériques (Free Trade Area of the Americas, FTAA), le Fonds monétaire international (FMI) ou les multinationales. Mais ce qui est nouveau, c’est que nous, les Brésiliens, nous tenons désormais en Bolivie le rôle des « gringos » de service. Petrobras est publiquement accusé de sucer le sang des pauvres et des indigents.
Dans ce qui n’est que le chapitre le plus récent d'une triste histoire latino-américaine, l'économie devrait bientôt rappeler cette leçon : tout se paie. La nationalisation bolivienne devrait vite se transformer en une administration incompétente, prompte à céder aux exigences politiques de contrôle et d’emploi. Le populisme ouvre toujours la voie à une crise de la production et de l’investissement, avec à la clé de l’inflation, une faible croissance et une aggravation de la dette. Les politiques de pure assistance se révèlent vite très limitées si l’on considère leur capacité à créer des emplois et à augmenter les revenus.
Le Brésil, précisément, offre une longue liste de contre-exemples au populisme. Des entreprises comme l’avionneur Embraer, le géant minier CVRD et le sidérurgiste CSN sont devenues bien plus efficaces après avoir été privatisées. L’une des principales raisons de la croissance rapide du secteur agroalimentaire dans la dernière décennie est la réduction de l'interventionnisme étatique – politiques de prix programmés, réserves manipulées, taxes sur les exportations – ainsi que la dérégulation partielle du marché avec la fermeture d'agences comme l'Institut de l’alcool et du sucre (IAA) et l'Institut brésilien du café (IBC).
J’insiste depuis longtemps sur la nécessité pour le Brésil de comprendre la croissance durable des pays d’Asie, une région fortement peuplée dont le manque de ressources naturelles est bien connu. Malgré les cicatrices profondes qui marquent les relations entre ces pays – particulièrement le Japon, la Chine et la Corée – l'Asie a fondé sa croissance sur des réformes structurelles comme un système juridique sûr, des programmes d'éducation efficaces au niveau fondamental ou élémentaire et un renforcement de l’intégration commerciale.
On observe actuellement une tendance contraire aux Amériques, où la fragmentation politique et commerciale est la norme. Nous avons vu la Zone de libre-échange des Amériques pratiquement enterrée après plus de 500 réunions impliquant 34 nations entre 1994 et 2003. Elle a été remplacée par deux modèles d'intégration distincts.
D'une part, les pays comme les États-Unis, le Mexique et le Chili ont accéléré avec des douzaines d'accords commerciaux bilatéraux qui ne sont plus restreints par les limites géographiques régionales. Ce sont des accords extensifs, raccordant essentiellement les pays côtiers du Pacifique. Il y a aussi des accords récents très significatifs entre les trois pays déjà mentionnés et l'Union Européenne, la Chine, le Japon, la Corée et d'autres acteurs clés.
Sur le versant atlantique, ce qui émerge est l’« Alternative Bolivarienne pour les Amériques », ou ALBA, une expression forgée par Hugo Chávez et Fidel Castro pour désigner un modèle d'intégration centré sur l'alignement d'objectifs politiques et idéologiques. La confrontation ouverte entre Chávez et le candidat (désormais président) du Pérou, Alan García, le départ probable du Venezuela de la Communauté des nations andines, l'achat très politique d'une partie de la dette de l'Argentine par Chávez et à présent la nationalisation des réserves gazières et pétrolières en Bolivie sont les principaux éléments de ce nouveau modèle.
Il n'est pas difficile de prédire que ses caractéristiques seront de plus en plus antiaméricaines, avec plus d’intervention publique et de protectionnisme dans les économies impliquées. La fissure entre les deux modèles d'intégration ne peut que s’élargir, brisant le rêve du président Luiz Inácio Lula da Silva de créer un jour une Communauté des Nations sud-américaines (en portugais et en espagnol, CASA).
Comment le Brésil réagira-t-il à la situation actuelle ? À un moment où le populisme cesse d'être une simple question de rhétorique électorale et frappe directement les intérêts commerciaux du Brésil, on peut se rappeler une expression de l'ancien ministre mexicain des Affaires étrangères Jorge Castañeda, dans un article publié récemment par le plus prestigieux quotidien brésilien, O Estado de Sao Paulo : « le Brésil est trop grand, trop sérieux, avec des intérêts et des responsabilités trop significatives pour s'aligner sur un anti-impérialisme primitif. La vérité est que c'est le genre de jeu auquel ne peuvent jouer que les petits pays ».
Le temps est en effet venu pour le Brésil de trouver sa voie vers une intégration mondiale. Pendant des années, il a fait partie des puissances émergentes, avec la Chine, l'Inde et la Russie. Il devrait à présent s’intéresser de plus près à ce qui nourrit la croissance économique des pays développés, comme les membres de l'OCDE, les pays d'Asie et même certains de ses voisins comme le Chili. Dans les différents groupes et organisations qui inventent le monde moderne, et à présent que la « CASA » du président Lula est devenue une baraque dans un bidonville, il est temps d’aller de l’avant et d’admettre que nous avons beaucoup plus à apprendre de l'OCDE et des pays d’Asie que de Chavez.
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