Mais qui est donc Hugo Chavez ? edit
En visite à Paris, le président vénézuélien a fait la Une de la presse internationale pour sa récente altercation avec le Premier ministre et le roi d’Espagne qui lui lança le désormais célèbre "mais pourquoi tu ne la fermes pas". Qui est donc Chavez ? Que fait-il ? Que fera-t-il ?
Qui est-il ? Un caudillo assez classique, doté d’une belle éloquence et d’un fort charisme, qui a parfaitement compris l’importance des moyens modernes de communication de masse et qui s’inscrit dans trois registres de la plus pure tradition latino-américaine.
Il voulait le pouvoir et a tenté de l’obtenir en 1992 par un coup d’État qui lui a valu de faire deux ans et demi de prison, pendant lesquels il a beaucoup lu. Il a compris que l’heure des coups d’État était révolue et qu’il fallait en passer par les élections. Depuis bientôt 10 ans, il ne cesse donc d’en appeler aux urnes.
Le second registre est le registre militaire dont il est issu. La démocratie c’est le débat, la contestation, le pluralisme. L’armée c’est la verticalité, l’exécution des ordres, la fidélité. Ce registre militaire, on l’ignore souvent, est profondément ancré dans la culture vénézuelienne. L’armée sera donc l’instrument premier de mise en œuvre de ses impulsions politiques, son bras véritablement armé.
Le troisième registre enfin est celui de l’appel au peuple, un peuple magnifié dont on tire sa légitimité, un peuple composé de pauvres pour qui on dit vouloir agir. Lorsque le caudillo est, comme c’est le cas, charismatique, les processus émotionnels dans le rapport politique deviennent essentiels : bains de foule, manifestations, contacts avec des démunis, etc.
Sur ces trois registres, Hugo Chavez est un grand expert.
Que fait-il de ce pouvoir qu’il a conquis dans les urnes et qui lui a depuis été à trois reprises amplement confirmé ? Là encore trois points peuvent être mentionnés, dont deux s’inscrivent dans une longue tradition latino-américaine.
Le premier consiste à utiliser les leviers de l’État pour en faire l’instrument direct de sa politique. Chavez peut se le permettre, disposant des royalties surabondantes d’un pétrole nationalisé et vendu sans états d’âme aux Etats-Unis. Il a ainsi mis en place des politiques sociales très actives (les misiones, « missions » bolivariennes… on est dans l’ordre du messianique), notamment dans le domaine éducatif, dans celui de la santé et dans la fourniture de produits de première nécessité pour les plus démunis. Cela est loin d’être négligeable. Ces politiques résolvent nombre de situations sociales dramatiques, mais elles perpétuent aussi l’une des fragilités traditionnelles de l’économie vénézuelienne, partagées par nombre d’autres pays pétroliers, qui est d’être une économie rentière. Les investissements productifs stagnent, les infrastructures sont obsolètes et la population s’accoutume à être assistée.
Le second point est de surfer sur l’anti-américanisme latent demeuré très vivace dans les populations de l’ensemble du continent. Ce sentiment vient de loin, et trouve ses racines dans les ingérences constantes des USA dans la région dès que l’on contrariait leurs intérêts. La nouveauté est que l’anti-américanisme peut aujourd’hui s’exprimer sans danger : le dirigeant n’a plus à craindre d’être renversé par la force. Les Etats-Unis pourront, comme en 2002, montrer leur compréhension vis-à-vis de putschistes. Mais ils ne peuvent plus comme autrefois susciter des coups d’État et mettre en place des régimes conformes à leurs vues.
Le troisième point à souligner est plus neuf. Il consiste en la tentative de Hugo Chavez d’élaborer une politique étrangère nouvelle en utilisant les ressources que lui procure la manne pétrolière. Celle-ci est d’abord à destination de l’Amérique latine, en essayant de stopper le développement d’accords bilatéraux de libre-échange avec les Etats-Unis. Il le fait en concluant une alliance commerciale avec Cuba, l’Équateur, la Bolivie, le Nicaragua (projet ALBA) et en fournissant à ces pays une aide financière et énergétique substantielle. Il fournit ainsi du pétrole à prix préférentiels aux pays d’Amérique centrale et de la Caraïbe, aux municipalités amies (qui vont des municipalités sandinistes au Nicaragua à celle de Londres), il rachète la dette argentine. Ses homologues, qu’ils soient de gauche ou de droite, sont avant tout des pragmatiques : ils l’écoutent plutôt avec sympathie (il fait partie de la famille latino-américaine) mais ne le suivent pas dans ses diatribes et mettent le holà (notamment le Brésil) lorsque les intérêts nationaux deviennent concurrents. Mais c’est une politique étrangère aussi qui se veut à dimension planétaire, avec l’amitié affichée avec Ahmadinejad, les relations cordiales avec toutes les bêtes noires de Bush, la tentative de faire de l’Opep une organisation voulant peser politiquement sur le cours du dollar. La récente conférence a montré son isolement dans cette enceinte, et les liens noués avec l’Iran ne sont pas suffisamment forts pour menacer sérieusement Washington.
Que fera-t-il dans les années qui viennent ?
Au plan interne, la tendance actuelle ne peut qu’aller en s’accentuant. Le Venezuela est en train de construire un régime autoritaire en respectant rigoureusement les principes de base de la démocratie réduite aux procédures électorales. Une chaîne de télévision est d’opposition ? On ne lui renouvelle pas la licence d’exploitation lorsqu’elle arrive à échéance. Les municipalités sont tenues par l’opposition ? On crée des « comités de quartiers » parallèles, relevant directement de la présidence de la République, dotés de plus de crédits que les mairies. Les universités publiques sont majoritairement hostiles ? On crée des universités militaires sans numerus clausus et où les diplômes sont facilement obtenus. Pas d’opposition frontale donc, mais création de structures parallèles entièrement contrôlées par la présidence, qui concentre de plus en plus de pouvoir, ce qu’accentue la réforme constitutionnelle soumise à référendum le 2 décembre prochain. Cette accentuation de l’autoritarisme est naturelle. Le théorème qui s’affiche sur les panneaux de l’aéroport de Caracas est : « avec Chavez, c’est le peuple qui gouverne ». Si le peuple est le détenteur légitime du pouvoir et Chavez est en osmose avec lui, quiconque s’oppose à lui s’oppose en fait au peuple… Il maintient donc en interne une forte polarisation, qui le sert d’autant mieux que l’opposition n’a pour l’heure pas montré sa capacité à offrir une alternative distincte de celles, corrompues et élitistes, qui existaient par le passé et qui ont permis à Chavez de conquérir le pouvoir.
Au plan externe le futur dépendra en grande partie du résultat des élections américaines. Si les démocrates l’emportent, font des ouvertures à Cuba et cessent de diaboliser Chavez, il est probable qu’il aura du mal à entretenir une tension forte en direction de Washington, d’autant que la population vénézuelienne, même si elle est sensible au discours « anti-impérialiste », n’est en rien anti-américaine. Vis-à-vis du reste de l’Amérique latine par ailleurs, on peut parier sur la généralisation du pragmatisme : les envolées idéologiques n’ont pas pris et sont dans le continent en grande partie d’un autre âge.
Ni dieu ni diable : gardons-nous de prédire tous les maux au Venezuela, ou d’être béats devant un « socialisme » du XXIe siècle très flou en devenir, c’est-à-dire de l’observer avec notre regard européo-centré toujours prompt à se focaliser sur des ailleurs. Chavez n’a rien d’un dictateur à la mode hélas courante des pays d’Asie ou du proche et Moyen Orient avec lesquelles nous commerçons sans états d’âme. Il a redonné sa dignité à une partie de son peuple mais il n’a rien d’un prophète et ses politiques publiques internes ou externes sont de portée limitée. Il est un dirigeant parmi d’autres en Amérique latine, un dirigeant qui n’est certainement pas celui qui compte le plus si l’on projette l’avenir de cette région dans le futur…
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