Irak : les Américains s’en vont, la violence persiste edit
Depuis le 31 août il n’y a plus de forces de combat américaines en Irak. Le retrait total des troupes américaines n’interviendra toutefois qu’en décembre 2011. À Bagdad, le Premier ministre sortant Nourri al-Maliki, confiant en la capacité des nouvelles forces de sécurité irakiennes d’assurer la relève, se réjouissait du recouvrement par son pays « de son indépendance et de sa souveraineté ». Mais est-ce que cela garantit pour autant le retour à la stabilité et la fin de la violence ? Rien n’est moins sûr.
L’optimisme officiel ne saurait occulter l’ampleur de la crise qui, jour après jour, continue de miner le pays. Parmi les défis immenses auxquels l’Irak devra faire face au cours des semaines et des mois à venir, la maîtrise de la violence, omniprésente depuis le début du conflit, semble le plus pressant. En l’absence d’un nouveau gouvernement consensuel et représentatif, le retrait américain pourrait, de fait, lourdement affecter la situation sécuritaire, et ce malgré certaines statistiques rassurantes quant à la décrue des incidents armés sur le terrain.
Depuis la première vague de retrait des troupes américaines à l’été 2009, l’actualité irakienne n’a cessé d’égrener son lot quotidien d’attentats-suicides, d’attaques et d’assassinats, qui témoignent d’un état de violence structurel. Plus de sept ans après le renversement de Saddam Hussein, la dynamique de désagrégation sociale se poursuit, héritant de la période récente d’occupation, mais également, dans une large mesure, d’une violence antérieure à 2003 (conflit avec l’Iran, guerre du Golfe, régime des sanctions internationales).
Après d’importants revers militaires, l’insurrection armée s’est déjà reconstituée dans plusieurs régions du pays, plus particulièrement à Bagdad et dans la province sunnite d’Al-Anbar, où la coalition américaine, avec l’aide des tribus du « Réveil » (Sahwa), avait réussi à défaire Al-Qaida. L’organisation jihadiste, que l’on pensait liquidée, a récemment revendiqué une série d’opérations spectaculaires, démontrant sa résolution intacte à poursuivre la lutte contre l’occupant et les autorités irakiennes. À plus longue échéance, ses partisans ont pour dessein la mise à bas du legs institutionnel laissé par les États-Unis et l’établissement d’un régime conservateur (officiellement proclamé en 2006 sous le nom d’« État islamique d’Irak ») comme prélude à la restauration du califat.
Cette permanence de la violence est évidemment renforcée par l’impasse politique et l’incapacité des dirigeants irakiens, plusieurs mois après les élections législatives du 7 mars 2010, à s’accorder sur un nouvel exécutif. Les négociations engagées entre les deux coalitions arrivées en tête du scrutin – l’« État de droit » d’Al-Maliki et la liste « Iraqiyya » d’Iyad Allaoui – avec les « faiseurs de rois » – sadristes, Conseil suprême islamique irakien, partis kurdes, pour citer ici les plus influents – ont toutes échoué, repoussant l’horizon d’une réconciliation nationale et d’une refondation de l’État.
Ce déficit étatique, portant aussi bien sur les fonctions régaliennes (rétablissement et maintien de la sécurité, justice, remise à niveau des infrastructures, services comme l’alimentation en eau et en électricité) que sur le volet social et économique (emploi, réformes économiques, lutte contre la corruption) participe d’un discrédit durable de la classe politique, tout en accentuant le mécontentement de la population civile. Plus encore, il alimente une vaste économie de guerre marquée par une généralisation des pratiques illicites (contrebande, racket), et un système de survie datant des années 1990 et de l’embargo et ayant conduit à un délitement des liens sociaux traditionnels.
Les tenants de la violence tirent profit de cette situation de délabrement économique. Les groupuscules armés offrent ainsi salaires et avantages matériels divers à des citoyens ordinaires qui, frappés par un chômage massif et une extrême pauvreté, las du gouvernement, n’hésitent pas à conduire des attaques contre rémunération. Fait plus symptomatique, des chefs tribaux naguère alliés aux États-Unis, et dont les aspirations telles qu’une intégration à l’appareil sécuritaire ont été déçues, ont totalement reviré de position en regagnant les rangs de l’insurrection, lorsqu’ils ne sont pas assassinés par Al-Qaida pour leur « trahison » passée.
Si la violence irakienne demeure principalement endogène, elle s’inscrit aussi dans un contexte régional complexe. Les difficultés à former un nouveau gouvernement sont ainsi en partie attribuables à la « guerre par procuration » que se livrent depuis 2003 les pays voisins de l’Irak. Alors que Téhéran entend user du désengagement américain et de ses liens avec les partis chiites irakiens pour renforcer son influence, l’Arabie saoudite, pour sa part, continue de soutenir Iyad Allaoui et ses alliés sunnites pour mettre en échec l’ « arc chiite » régional dominé par l’Iran. Inquiète de la présence de groupes autonomistes à ses frontières, la Turquie table pour sa part sur un regain de nationalisme arabe en Irak pour empêcher la formation d’un Kurdistan indépendant. La Syrie, enfin, affiche une position des plus ambiguës en ayant multiplié, ces derniers mois, contacts et négociations avec différents protagonistes rivaux.
À Washington, critiques et attaques fusent depuis le 31 août. Certains parmi les plus virulents critiques de l’offensive américaine de 2003 n’hésitent pas aujourd’hui à qualifier ce retrait de « prématuré », invoquant la responsabilité des États-Unis de soutenir l’Irak après 2011, et accusant Barack Obama d’instrumentaliser sa promesse électorale dans un but purement tactique – relégitimer sa présidence sur les affaires intérieures et sur la gestion du dossier afghan. Le président américain reconnaissait pourtant avec franchise que la stabilisation de l’Irak ne serait pas une tâche aisée, au moment où le ministre irakien de la Défense, Abd al-Qader al-Obaidi, déclarait pour sa part que l’armée irakienne ne serait pas en mesure d’assurer la sécurité du pays sans une présence étrangère « au moins jusqu’en 2016 ».
Le thème d’une perpétuation de l’occupation américaine en Irak sous d’autres formes demeure bien entendu très sensible. L’imam radical Moqtada al-Sadr annonçait ainsi en septembre que ses partisans n’hésiteraient pas à recourir à la violence armée si le prochain gouvernement cautionnait un maintien de l’armée américaine à l’issue du 31 décembre 2011. S’il est impossible pour l’heure de prédire les scenarii à venir, Washington a d’ores et déjà désigné un nouveau commandant en Irak en la personne du général Lloyd Austin, connu pour sa retenue et adoubé par ses pairs, marquant le début de la dernière phase de son engagement militaire, baptisée « Opération Aube nouvelle » et axée sur l’entraînement et la consolidation des forces de sécurité.
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