Irak : le retour tranquille de la dictature edit
Depuis plus de six mois, l’Irak se trouve libéré d’une occupation étrangère qui avait débuté en 2003 avec l’invasion militaire des États-Unis et la chute du régime de Saddam Hussein. Malheureusement rien n’est réglé. Après la dictature baassiste, doit-on craindre une dictature chiite ?
Depuis 2006 le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki s’attelle à renvoyer de l’Irak l’image d’un État stable, d’une nation enfin pacifiée et souveraine, d’un territoire ouvert aux investissements étrangers. Bagdad accueillait ainsi, au mois de mars dernier, le sommet de la Ligue arabe consacré à la crise syrienne, puis une série de négociations internationales sur le nucléaire iranien. Sur un plan économique, le pays a relancé sa production d’hydrocarbures et organisé, avant l’été, ses quatrièmes enchères pétrolières après-guerre, censées lui permettre d’accroître ses capacités productives de manière substantielle. Pour rappel, l’Irak possède les quatrièmes réserves d’or noir les plus importantes au monde, soit 110 milliards de barils disponibles.
Mais derrière cette embellie, les différents indicateurs semblent pointer vers une régression de sa situation intérieure. Violences et attentats se succèdent ainsi quotidiennement. La population irakienne continue d’évoluer dans des conditions de vie totalement précaires, le plus souvent privée d’eau et d’électricité, et sans services publics de base. Le chômage est quant à lui toujours aussi massif. Depuis la vague de contestation populaire qui s’était déclarée en 2011 à la suite des deux révolutions tunisienne et égyptienne, le gouvernement irakien, gangréné en son sein par le clientélisme et la corruption, a largement échoué dans sa promesse de réformes et de changement. Plus grave, Nouri al-Maliki est accusé depuis des mois de penchants autoritaires par ses adversaires et de nombreux observateurs, penchants qui ne sauraient être niés au regard des derniers développements.
Fin 2011, alors que venaient juste de se retirer les dernières troupes américaines, le Premier ministre lançait ainsi un mandat d’arrêt brutal contre le vice-président Tarek al-Hachemi, homme ayant pour double caractéristique d’appartenir à la coalition politique d’Iyad Allaoui, rival attitré d’Al-Maliki depuis les élections de 2010, et d’être sunnite, affilié historiquement à la mouvance des Frères musulmans. Dès cette annonce, les rangs de l’opposition irakienne criaient au scandale, évoquant Al-Maliki comme un « dictateur pire que Saddam Hussein ». Si la comparaison peut paraître osée, le gouvernement irakien a incontestablement opéré, au cours des derniers mois, un retour aux pratiques qui étaient celles de l’ancien régime baasiste. L’ascension personnelle d’Al-Maliki au sommet de l’État résulte ainsi, pour l’essentiel, de sa mainmise sur l’appareil militaire. L’institution judiciaire a, elle aussi, été mise au pas par le pouvoir central, comme en témoigne le procès par contumace d’Al-Hachemi qui s’est ouvert en mai.
Représentant environ 90 % des recettes budgétaires du pays et les deux tiers de son PIB, indispensable au financement de la reconstruction après des décennies de guerres et de sanctions, la rente pétrolière est à l’évidence l’autre versant de ce retour à l’autoritarisme. Et ce d’autant qu’une loi nationale sur le pétrole et la répartition de ses revenus traîne dans les couloirs du Parlement depuis 2007, butant sur les désaccords persistants entre factions politiques. Alors que les Kurdes et les chiites – et plus récemment certains députés sunnites – appellent à une fédéralisation accrue du secteur des hydrocarbures et à la déconcentration des prérogatives exercées par Bagdad, les autorités centrales estiment, pour leur part, que la recentralisation du pétrole est une condition absolument nécessaire à la relance de l’économie irakienne et aux efforts de pacification.
Cette divergence de vues pourrait être décisive : de fait, à mesure que s’est renforcée la posture centraliste et dictatoriale de Bagdad sur la problématique pétrolière, les poussées autonomistes aux périphéries de l’Irak, frôlant dans certains cas le séparatisme, se font faites plus vives. Depuis 2006, les Kurdes, dont l’un des dirigeants, Jalal Talabani, occupe la présidence depuis plusieurs années, ont bien compris qu’indépendance économique rimerait, de facto, avec indépendance politique. Ils ont ainsi adopté leur propre législation régionale sur les investissements et le pétrole, signant des dizaines de contrats juteux avec plusieurs majors pétrolières. Cette politique n’a toutefois pas manqué de susciter un violent conflit avec Bagdad. Le vice-Premier ministre en charge de l’Énergie, Hussein al-Chahristani, considéré par beaucoup comme l’homme fort du pétrole en Irak, a ainsi très vite qualifié ces contrats d’« illégaux » et menacé de « sanctions » tout opérateur qui les signerait à l’avenir sans l’aval des autorités centrales. Tel a été le cas, récemment, du géant américain ExxonMobil, qui avait passé un accord avec la région kurde dans six zones, dont deux revendiquées par Bagdad, et s’est vu exclu des adjudications.
Les Kurdes ont, pour leur part, temporairement mis fin à leurs exportations de pétrole vers Bagdad, arguant d’un contentieux financier avec la capitale, puis refusé de livrer Tarek al-Hachemi, qui avait initialement trouvé refuge dans leurs zones. L’autre grand leader kurde, Massoud Barzani, a lui aussi multiplié les attaques contre le pouvoir central au cours des derniers mois, en tentant de réorganiser sous sa coupe les rangs de l’opposition. Au mois d’avril, il convoquait à Erbil les membres d’Iraqiyya et le très influent leader chiite Moqtada al-Sadr, fraîchement rentré d’Iran, en vue de réclamer la démission d’Al-Maliki et la chute du gouvernement par le biais d’un vote de défiance au Parlement. La réponse du principal intéressé ne s’est pas fait attendre : soucieux d’asseoir sa légitimité en s’attirant un soutien clair et fort de la population, Al-Maliki menaçait de déclencher des élections législatives anticipées – qui sont, en théorie, prévues pour 2014 – si aucune solution politique n’était rapidement trouvée. Dans l’attente, ce dernier poursuit inlassablement sa concentration des pouvoirs, servant à la fois comme Premier ministre, ministre de la Défense, ministre de l’Intérieur et chef des forces armées et de renseignements. Plus récemment, il appelait les États-Unis à accélérer leurs livraisons d’armement à Bagdad, invoquant comme prétexte une « sécurisation des frontières et de la souveraineté nationales » de l’Irak.
D’ores et déjà, les craintes sont nombreuses quant à l’usage qui sera réellement fait de ces armes. Outre parer aux menaces régionales, et à celle en particulier d’un débordement du conflit syrien dans le pays, ces armes risquent surtout d’alimenter une plus forte répression au plan intérieur, comme cela s’est illustré en 2011 lorsqu’Al-Maliki a envoyé l’armée réprimer une série de manifestations anti-gouvernementales. Autre marque de la restriction continue du champ des libertés et de la progression d’une nouvelle forme d’autoritarisme, plusieurs médias locaux et étrangers pourraient bientôt se voir censurés en raison de leurs contenus jugés « subversifs ». Enfin, un projet de loi est actuellement à l’étude qui prévoit l’emprisonnement à vie des internautes et « cyber-militants » osant s’en prendre à « l’unité, l’indépendance et la sécurité de l’Irak » et plus encore à « ses intérêts militaires »…
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