OMC : déblocage en vue ? edit
Près de sept ans après le lancement du cycle de négociations commerciales multilatérales dit « du développement » à Doha en novembre 2001, les ministres des pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) vont se retrouver à nouveau le 21 juillet pour tenter de s’entendre sur une formule de libéralisation qui devra convaincre les 152 pays membres de l’organisation.
Le dossier agricole a été largement médiatisé et a conduit plusieurs dirigeants européens, en Irlande et en France, à adopter des postures très hostiles à un compromis. Aux États-Unis les autorités fédérales soutiennent toujours officiellement l’idée d’un accord mais le dossier agricole constitue également un sujet sensible sur la scène politique intérieure et le sénat a adopté un « Farm Bill » largement incompatible avec ce qui est négocié dans le cadre de l’OMC. L’agriculture n’est soumise aux règles multilatérales du commerce que depuis le cycle de l’Uruguay, conclu à Marrakech en 1994. Ce cycle avait permis peu d’avancées sur le moment mais il avait jeté les bases des discussions ultérieures. Compte tenu de la distribution des protections commerciales aujourd’hui, le difficile exercice de trouver un équilibre entre les différentes positions ne pourrait être mené à bien sans l’agriculture.
Pourtant l’agriculture est loin d’être le seul sujet des négociations, qui abordent également la question des produits industriels, des services, et d’autres moins médiatiques. Par nature la question des services ne se prête pas facilement à la négociation multilatérale. Là où les formules de coupes tarifaires portent sur des données tangibles et quantifiées, il faut dans les services être en mesure de pondérer les efforts réalisés par chacun pour évaluer l’équilibre des concessions consenties par les différentes parties. Ainsi, même si les pays développés manifestent de fortes attentes dans ce domaine il est probable que le texte final inclura peu d’avancées dans ce domaine, les négociations engagées dans ce cycle permettant surtout de poser les termes des débats futurs.
L’objet des négociations présentes est plus de définir un compromis sur la base des efforts réalisés au cours des dernières années, qui apaise les craintes des pays membres sans décevoir trop les espoirs initiaux que chacun avait pu mettre dans le cycle. Le jeu est encore compliqué par l’obligation dans laquelle chacun se trouve de conserver des cartes pour les prochains cycles. Il est très difficile de déterminer les contours d’un espace des possibles dans lequel les gains seraient tous positifs et équitablement répartis. Le flou qui entoure cet espace est exploité par certains pour obtenir davantage de leurs partenaires, au risque parfois de mettre en danger l’équilibre délicat des concessions mutuelles.
Le 19 mai, Crawford Falconer et Don Stephenson ont synthétisé l’avancée de la négociation à travers deux textes concernant respectivement le commerce des produits agricoles et celui des produits non agricoles. Dans l’agriculture, le projet combine la suppression des subventions à l’exportation, une réduction des soutiens internes qui affectent les marchés mondiaux, et une réduction des droits de douane. Il prévoit une formule étagée et progressive. Certains produits pourront faire l’objet d’une flexibilité, au prix d’une garantie d’accès minimale. En moyenne le taux de réduction appliqué par les pays industrialisés devra être au minimum égal à 54 % tandis qu’il ne devra pas dépasser 36 % pour les pays en développement. À ce schéma de base s’ajoutent un ensemble de mesures spécifiques concernant certains groupes de pays ou certains dossiers particuliers. Dans l’industrie, ce sont des formules « suisses » qui ont été retenues, qui réduisent davantage les droits élevés et assurent que le droit final ne dépassera pas un certain plafond, plus faible pour les pays développés. Là aussi une flexibilité est accordée, cette fois aux seuls pays en développement, qui peuvent soumettre certains produits à une discipline moins stricte s’ils appliquent une formule plus exigeante à l’ensemble des produits.
Pour mesurer les implications de ces propositions, nous évaluons l’impact des formules au niveau de chaque produit. Si l’on veut mesurer dans quelle mesure la variation des protections va affecter les échanges il est nécessaire de prendre également en compte les niveaux de production et de commerce dans chaque région du monde. Le modèle sectoriel d’équilibre général MIRAGE permet de calculer une trajectoire de référence, que l’on compare à la trajectoire obtenue en intégrant les conséquences d’un accord sur la base des propositions actuelles. L’économie mondiale est divisée pour cet exercice en 17 régions et 23 secteurs couvrant l’ensemble de l’économie mondiale. Les formules de libéralisation suivent de près les propositions du 19 mai, en optant pour les milieux de fourchettes quand les négociateurs ne se sont pas encore entendus sur un chiffre unique. Pour les services, une libéralisation de 10 % des barrières aux échanges a été retenue, faute d’information précise sur le résultat final des négociations dans ce domaine. Les PMA sont exemptés de libéralisation.
Les propositions examinées en ce moment permettraient d’après la simulation d’accroitre le produit brut mondial de 0,14 %. Ce chiffre est naturellement modeste. C’est l’Amérique du Sud, puis la Corée et Taiwan qui bénéficient des plus grands bénéfices relatifs, trois fois supérieurs à la moyenne mondiale. L’ASEAN suit de près. L’Union européenne vient un peu après, mais reste au-dessus de la moyenne en termes relatifs, ce qui lui permet de recueillir 40 % des gains mondiaux en termes absolus. La moitié de ces gains proviennent d’un accord sur les services, qui reste hypothétique. Le bilan est beaucoup plus neutre pour les États-Unis, le Canada et le Mexique.
L’emploi agricole européen est légèrement affecté, avec une baisse de 1,6 % à l’horizon 2025 ; la production diminue à peine plus. Les plus fortes baisses, de l’ordre de 5 %, concernent la viande et les produits laitiers. L’impact du cycle sur les prix mondiaux a fait l’objet de préoccupations particulières ; la baisse généralisée des droits de douane doit elle contribuer encore à l’accroissement de ces prix ? La simulation conclut à une augmentation moyenne inférieure à 1 %. Surtout il convient de garder à l’esprit qu’en période de prix élevés les pays réduisent ou annulent leurs droits de douane pour stabiliser les prix intérieurs, comme l’Europe l’a fait en décembre 2007 pour presque toutes les céréales. En effet les engagements pris auprès de l’OMC ne concernent que les droits consolidés, les droits maxima que chaque pays s’engage à ne pas dépasser, mais chaque pays conserve le droit d’appliquer des droits plus faibles dès lors qu’il le fait sur une base non discriminatoire. Ainsi, des droits consolidés élevés ne réduisent les prix agricoles que quand ils sont bas, déstabilisant les agricultures les plus fragiles.
Il ressort de ces estimations qu’une conclusion du cycle sur la base des propositions actuelles aurait un impact économique modeste mais positif pour toutes les régions identifiées dans l’étude. Elles invalident les chiffres alarmistes avancés parfois, sur la base d’études qui sans doute simulent des scénarios très différents de ce qui est négocié aujourd’hui. La recherche du compromis a conduit certes à réduire l’ambition initiale mais a permis également de prendre en compte les spécificités de chaque pays pour rendre un accord acceptable et poursuivre dans la voie d’une approche multilatérale des politiques commerciales.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)