Les étudiants doivent-ils être rémunérés pour étudier? edit
La majorité des étudiants dépendent financièrement de leur famille ou occupent une activité salariée. Plus d’un étudiant sur deux cumuleraient activité salariée hors cursus universitaire et études. Cette activité serait essentiellement « alimentaire », sans lien avec les études suivies et par conséquent fortement concurrente du travail studieux. Elle est, aux dires des syndicats étudiants, une des principales causes d’abandon des études et réduirait le taux de réussite universitaire. Par conséquent, l’une de leurs revendications récurrentes est « l’allocation d’autonomie pour tous ». L’idée de cette allocation égalitaire est de reconnaître socialement un statut pour l’étudiant durant ses études universitaires. Ce statut leur permettrait de ne plus dépendre financièrement ni de leur famille ni d’une activité salariée. Même si ce n’est pas la seule, une question se pose : l’obligation d’avoir une activité salariée entraîne-t-elle l’échec ?
Une série de travaux réalisés à partir d’enquêtes nationales (de l’OVE et du ministère) mesurent le rôle de l’emploi salarié étudiant sur la réussite universitaire et sur le décrochage des étudiants en première année de licence (environ un étudiant sur cinq ne passe pas les examens et un étudiant sur trois se réoriente à la fin de la L1). Quel est l’impact de l’emploi salarié sur la réussite à l’université ? De manière générale, il est vrai que la probabilité moyenne de valider son année est significativement plus faible pour un étudiant qui occupe un emploi salarié durant l’année universitaire. Cet effet est plus important pour les néo-bacheliers inscrits en L1 qui voient également leur probabilité moyenne de décrocher et d’abandonner en cours d’année augmenter. Mais ces résultats sont nuancés lorsque l’on prend en considération les caractéristiques des emplois occupés et les caractéristiques des étudiants.
Intéressons-nous tout d’abord aux caractéristiques des emplois. Deux éléments sont importants : la durée hebdomadaire du travail et le type d’emploi occupé.
Occuper un emploi dont la durée hebdomadaire est inférieure à huit heures n’a aucun impact sur la probabilité moyenne de valider l’année. Par conséquent, pour des durées hebdomadaires de travail relativement faibles l’activité salariée n’est pas en concurrence avec l’activité studieuse. La probabilité moyenne de réussite diminue fortement lorsque la durée hebdomadaire du travail est supérieure à 15 heures (soit près d’un mi-temps).
De manière équivalente, occuper un emploi dans le secteur public (essentiellement pour des postes de surveillance ou de monitorat) n’impacte pas la probabilité moyenne de valider l’année universitaire. Les emplois ayant un effet négatif important sur la probabilité de réussite de l’année sont ceux occupés dans le secteur privé (employés de service dans le commerce ou la restauration notamment).
Regardons maintenant les caractéristiques des étudiants : le type de baccalauréat obtenu, le choix de filière et l’origine sociale sont des facteurs importants. Plusieurs profils d’étudiants peuvent être considérés.
Les étudiants les « plus adaptés » aux études supérieures (bacheliers de la série scientifique, bacheliers avec mention, étudiants dont au moins un des parents a fait des études supérieures) pour lesquels occuper un emploi salarié (même de plus de 15 heures par semaine) n’a aucun impact sur les résultats universitaires (la validation de l’année universitaire, ou le décrochage). Pour eux, il n’y a pas de concurrence entre l’activité salariée et l’activité studieuse.
Les étudiants les « moins adaptés » aux études universitaires (titulaires d’un baccalauréat technique ou professionnel, étudiants inscrits à l’université par défaut) pour lesquels occuper un emploi salarié (quelles que soient les caractéristiques de l’emploi) diminue fortement la probabilité de réussir l’année et augmente fortement la probabilité de décrocher en première année de licence. Ces étudiants manquent peut-être de motivation pour les études suivies ou ont une préférence plus grande pour l’activité salariée que pour l’activité studieuse.
Pour les autres étudiants, occuper un emploi même peu chronophage durant l’année universitaire diminue la probabilité moyenne de valider l’année et augmente la probabilité moyenne de décrocher pour les étudiants de L1. Pour ces étudiants il y a concurrence entre l’activité salariée et l’activité studieuse. Des simulations montrent que si les étudiants qui travaillent ne travaillaient pas, leur probabilité moyenne de valider leur année serait supérieure à la probabilité moyenne observée pour les étudiants qui ne travaillent pas. Cela signifie que les étudiants qui décident de travailler sont ceux qui auraient des aptitudes ou des motivations plus grandes que les autres.
Si le seul objectif de l’Etat est d’augmenter le nombre de diplômés, les études que l’on vient de décrire nous permettent de dire que verser une allocation à tous les étudiants n’est pas nécessaire. En effet, pour les étudiants les « plus adaptés » l’allocation n’aurait aucun impact sur leur réussite. De plus, elle leur interdirait d’occuper une activité salariée durant les études et donc peut-être d’acquérir une expérience professionnelle valorisable lors de leur entrée sur le marché du travail. Pour les étudiants les « moins adaptés » le problème de réussite semble plus lié à leur profil peu adapté aux études universitaires qu’à un problème financier. Pour les autres étudiants, cette allocation pourrait être bénéfique en particulier pour ceux qui envisagent d’occuper un emploi salarié durant leurs études.
Dans une période de contraintes budgétaires fortes, il est important de bien réfléchir avant d’augmenter le niveau des dépenses de l’Etat surtout lorsque l’efficacité de l’euro dépensé pourrait être nulle voire négative. De fait, une rémunération forfaitaire à tous les étudiants pourraient engendrer, auprès de certains d’entre eux, une diminution de leur niveau d’effort studieux et donc un problème de risque moral.
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