Le grand récit de François Hollande edit
Le Président de la République française connaît actuellement une impopularité proprement historique. Sous la Vème République, jamais un dirigeant n’a fait autant l’objet non seulement de critiques mais également de moqueries portant sur sa compétence ou sa capacité à remplir sa fonction. On dirait que les Français ne lui reprochent pas sa politique mais plutôt son inhabilité à en définir une. Et, en effet, les commentateurs font souvent grief à François Hollande de ne pas mettre son action en perspective en offrant un « grand récit » sur l’état de la France et les moyens de l’améliorer.
Cette thèse admet deux variantes. Dans le premier cas, il s’agit d’une version subtile du « déficit d’explication », argument préféré des ministres inquiets, qui laisse entendre que la politique suivie par le gouvernement est la bonne mais qu’elle est mal vendue à l’opinion. Dans le deuxième cas, la critique est plus profonde puisqu’elle porte sur la cohérence même de la politique suivie. A cet égard, l’éditorial du journal Le Monde faisant suite à la récente prestation télévisée du chef de l’Etat, « face aux Français », est représentatif puisqu’il dénonçait « le cabotage sans fin » choisi par le capitaine Hollande.
Ces commentaires me paraissent manquer leur cible. En réalité, François Hollande offre depuis quelque temps déjà un grand récit propre à donner sens à son action. D’ailleurs, dans sa récente émission, en homme politique moderne bien « briefé » par ses conseillers en communication, François Hollande a saisi la première occasion de le rappeler, dès le début de sa prestation. Son ambition est de « moderniser le pays tout en protégeant son modèle social ».
Une telle formulation paraît habile et même désirable. Elle offre une apparence d’équilibre, plaçant le président au milieu du spectre politique. D’un côté, il y a thème de la modernisation, l’idée que l’Etat doit accompagner la mutation socio-économique du pays en modifiant ses structures. Ses accents de République gaullienne réformatrice sont propres à séduire l’électorat de droite. De l’autre, il y a la protection, l’idée que les petits, les amochés de la mondialisation, les perdants de la réforme doivent continuer à bénéficier de la « solidarité nationale » prodiguée par notre imposant Etat-Providence. La référence au « modèle social », qui fait de la France le chef de file universel du capitalisme à visage humain, est de toute évidence un marqueur de gauche.
Réformer jusqu’au bout sans « casse sociale » : franchement, on ne peut pas reprocher au Président et aux ministres de ne pas marteler ce message. Comme il n’y a par ailleurs pas de preuves éclatantes que ces derniers ne croient pas sincèrement à ce discours, nul doute que, s’il était le bon, l’opinion publique leur en ferait crédit. Qu’est-ce qui cloche ?
La vérité, c’est que les Français, en cette occasion, s’avèrent plus clairvoyants que leurs dirigeants. Ils ne considèrent pas le projet associé à ce discours comme faisable.
Les gens de gauche ne pensent pas que François Hollande préserve le modèle social mais qu’il prépare la politique de la droite, à savoir le démantèlement des arrangements sociaux mis en place depuis la guerre pour faire du salariat et de l’inactivité des statuts.
Les gens de droite ne voient pas venir la modernisation. Ils voient, sur la compétitivité, sur les finances publiques, sur le droit du travail, sur la fiscalité, des intentions louables mais rarement assumées, toujours corrigées, débouchant souvent sur un psychodrame parlementaire, se résumant in fine à des ajustements marginaux.
Tous comprennent que le grand récit proposé par les gouvernants n’est pas crédible. Ils ont l’intuition correcte que moderniser le pays, c’est-à-dire l’extirper d'une sous-performance économique chronique qui a déjà commencé à entamer la cohésion nationale, consiste à ne pas laisser ses arrangements sociaux en l’état. De ce fait, promettre la préservation des « acquis sociaux » revient à renoncer à la modernisation. Inversement, réformer sérieusement n’est pas compatible avec le maintien des transferts et des règles actuels dans leurs grandes lignes.
Tout ce que les Français peuvent observer pointe dans la direction de ce constat. Personne, en effet, n’observe la modernisation. Et bien que de nombreuses institutions jusqu’ici intouchables aient fait l’objet, en paroles, de critiques publiques, personne ne croit que le gouvernement ait réellement œuvré à la modification des arrangements sociaux sur des points importants. Le chômage structurel n’a pas bougé. Le déficit structurel des administrations publiques s’est peu réduit. Le système scolaire fait toujours face aux mêmes problèmes de productivité, de décrochage et d’inégalité. La formation professionnelle continue d’être un scandale d’inefficacité et de détournement d’objet social. La pauvreté est bien installée, touchant maintenant, selon certaines études, 15% de la population. Etc. En fait de réforme, la seule mesure notable ayant un peu profondément changé l’esprit des arrangements sociaux mis en place dans les Trente Glorieuses concerne la politique familiale (plafonnement plus sévère du quotient familial et modulation des allocations familiales en fonction du revenu). Mais il est difficile d’associer cette réforme à l’amélioration des performances économiques.
Pour convaincre les électeurs, les partis de gouvernement doivent donc réfléchir à une orientation compatible avec le fait qu’il n’y pas de modernisation possible avec maintien intégral des arrangements sociaux existants. (Je laisse de côté le cas du FN qui préconise une politique de type péroniste, ouvertement ou sourdement xénophobe.)
Trois positions sont possibles : (i) ne pas toucher au « modèle social », comme le souhaitent, d’après les enquêtes, un grand nombre de fonctionnaires, d’inactifs et de petits salariés du secteur privé ; c’est condamner le pays à une décadence certaine mais molle et peut-être pas si désagréable que ça, compte tenu de l’accumulation passée des actifs productifs ; (ii) moderniser le pays pour retrouver croissance et plein-emploi, réduire la pauvreté et résoudre nos problèmes d’intégration économique des jeunes et des populations immigrées, ce qui consiste à modifier de nombreux arrangements sociaux, mais sans nécessairement porter grande attention aux valeurs d’égalité et de justice sociale ; (iii) moderniser le pays, peut-être moins drastiquement, tout en trouvant de nouveaux instruments pour maintenir des objectifs non anecdotiques d’égalité réelle des conditions de vie, d’assurance et de solidarité.
La gauche doit choisir entre (i) et (iii). La droite doit choisir entre (ii) et (iii). Un large consensus est possible sur (iii) ; il pourrait laisser place à des désaccords légitimes sur le niveau d’ambition et la nature des instruments retenus. A ce jour, François Hollande ne se situe nulle part puisqu’il affirme qu’une version de la modernisation compatible avec (i) est possible (mais introuvable). Le problème n’est donc pas que le pouvoir n’offre pas de grand récit. La faille est à chercher dans la cohérence logique de celui qu’il a choisi de faire aux Français. Le pilote a choisi un cap mais l’équipage, quelles que soient ses préférences vis-à-vis du capitaine, pense qu’il conduit le navire sur un banc de sables.
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