Les fonds européens et les régions du sud de l’Italie: un point de vue critique edit
À ce stade de la crise du Covid-19, il est question (entre autres) d’utiliser les fonds européens ordinaires pour les urgences, sans contraintes. C’est l’occasion d’attirer l’attention de l’opinion publique sur les ressources que l’Europe donne aux régions du sud de l’Italie, en particulier, du fait qu’elles ne sont pas en mesure de dépenser. Cette réalité est particulièrement triste si l’on considère qu’il n’y a pas de convergence économique et sociale entre les régions du sud et la moyenne de l’UE. Au contraire, certains aspects de cette fracture économique ont été exacerbés lors de la dernière crise. La question est donc de savoir pourquoi ces régions qui ont besoin de ressources supplémentaires ne sont pas en mesure de dépenser le montant disponible des fonds européens.
Problèmes externes et contraintes internes
À partir de la structuration des fonds européens, la programmation communautaire repose sur deux piliers : le cofinancement et le remboursement des excédents. La raison de ces deux critères est évidente. D’une part, le gouvernement local s’engage à participer aux dépenses d’investissement, en les encourageant à sélectionner celles qui sont les plus importantes pour le territoire. D’autre part, cela tend à responsabiliser le décideur décentralisé qui doit être soumis au risque de perdre les fonds qui devraient le pousser à dépenser efficacement et rapidement.
Mais que se passe-t-il si un tel modèle est appliqué sans discernement à des contextes institutionnels fragmentés et inefficaces ? Au niveau institutionnel (suite à certaines réformes), l’Italie a délégué la planification et l’utilisation des fonds européens aux régions et, par conséquent, la planification et la gestion administrative sont décentralisées.
D’un point de vue financier, les régions doivent se soumettre au pacte de stabilité interne, et ont des contraintes de dépenses qui sont progressivement plus strictes si la région en question a un solde financier négatif. Par exemple, la gestion du secteur de la santé en Calabre, cruciale à l’époque du Covid-19, est gérée par un commissaire du gouvernement précisément pour des raisons de détresse financière.
Les États centraux ne peuvent pas répondre aux besoins financiers des régions, car l’équilibre budgétaire a été introduit dans la Constitution et, en tout état de cause, le montant du déficit budgétaire est soumis à l’attention étroite et constante des organes communautaires en raison des contraintes du pacte de stabilité et de croissance. Cela est d’autant plus vrai si l’on observe la diminution constante des investissements en infrastructures réalisés par le gouvernement central au cours des 30 dernières années.
Les régions du Sud sont à leur tour en bas du classement européen pour l’efficacité bureaucratique et elles arrivent premières pour la perméabilité à la corruption.
À ce stade, les régions du sud de l’Italie – qui doivent investir pour réduire l’écart économique avec les autres regions – ont tendance à engager les fonds disponibles au maximum, l’engagement de dépenses, par rapport au programme 2014-2020, atteignant 72% des ressources disponibles. Mais ces ressources ont-elles réellement été dépensées ? La réponse est non, car face à la tentative de les employer, les autres actes nécessaires pour compléter leur dépense (qui s’est arrêtée à 18%) n’ont pas suivi.
Tout d’abord, les régions n’ont pas réussi à les cofinancer. Disposant de peu de ressources, elles ont parfois dû les utiliser pour les dépenses courantes plutôt que de les engager pour des investissements.
Deuxièmement, les temps de la bureaucratie régionale se sont révélés incompatibles avec ceux fixés par l’Union européenne, à tel point que la tentative de réforme de l’Union a prolongé d’un an le délai d’utilisation des fonds au-delà de la fin de l’intervention (de l’année t + 2 à l’année t + 3).
Le résultat est que la plupart des fonds destinés aux régions du Sud, dispersés dans diverses lignes budgétaires, finissent par ne pas être dépensés et reviennent à l’expéditeur pour être investis par ceux qui parviennent à avoir une plus grande efficacité de conception et d’application.
Toutes les régions en retard de développement n’ont pas les mêmes difficultés, et le cadre institutionnel ne semble pas être décisif.
La Pologne utilise et dépense une partie des fonds européens en pourcentage, et sa structure de dépenses est centralisée. Mais l’Espagne aussi, jusqu’à la crise politique institutionnelle résultant du référendum pour l’indépendance de la Catalogne, avait utilisé ces fonds de manière plus efficace, malgré une structure décentralisée similaire à celle de l’Italie.
Par conséquent, les difficultés d’utilisation des fonds européens dans les régions du sud de l’Italie sont dues à des problèmes d’inefficacité spécifique et d’incompatibilité entre les règles européennes et les spécificités de ces régions.
Quelles solutions ?
Il semble que c’est le mécanisme tout entire qui ne fonctionne pas. Les fonds qui sont demandés et non dépensés, ils sont renvoyés à l’UE. En outre, les régions restent en bas de tous les classements européens et, dans les programmes suivants, elles sont à nouveau les sujets qui doivent demander les fonds dans une production boulimique de projets qui n’ont pas d’effets concrets à long terme.
Et si l’incapacité à dépenser a des causes internes, le principe de sanction consistant à restituer les fonds n’a pas été dissuasif.
Il semble que les régions ne soient pas en mesure de gérer le processus par elles-mêmes. Et les représentants politiques ne prennent pas leurs responsabilités, par peur de perdre le consensus, ce qui les amène à demander à l’État davantage de ressources. Dans certains cas, ils se plaignent de l’absence de l’UE.
L’urgence du coronavirus et la nécessité de trouver rapidement des ressources se traduisent par un nombre considérable de fonds non dépensés. La proposition, dans ce cas, est de supprimer certaines contraintes présentes et de les dépenser rapidement. Le même principe pourrait guider une réforme permanente de l’utilisation des fonds “non dépensés”. Un organisme européen pourrait soutenir les régions et canaliser les ressources non utilisées vers ces mêmes régions en sélectionnant des projets qui peuvent également être contrôlés de l’extérieur. Certaines régions du Sud souffrent d’un retard chronique en matière d’infrastructures, et de nombreux travaux publics essentiels ne sont pas achevés. En outre, en ce qui concerne les infrastructures technologiques, l’écart entre le sud de l’Italie et l’UE moyenne est vaste et constant dans le temps.
Une gestion européenne des grands projets d’infrastructure devrait également limiter les risques d’infiltration criminelle. Elle serait tolérable par les responsables politiques locaux, car elle présenterait un niveau suffisant de complémentarité avec les interventions mises en œuvre avec ses propres fonds. La gestion directe ne nécessiterait pas de cofinancement. Et comme les fonds ont déjà été alloués, la question ne se poserait plus des contraintes de temps et des obligations de remboursement.
L’Union européenne pourrait ainsi redevenir concrètement visible, même dans des domaines où elle a souvent brillé par son absence, comme dans la gestion des migrations.
Références
Cerqua and Pellegrini (2018). Are we spending too much to grow? The case of Structural Funds. Journal of Regional Science
Cour des comptes européenne (2018), Relazione speciale, Bruxelles: n. 17.
European Commission (2020). Cohesion Data. https://cohesiondata.ec.europa.eu/funds/erdf
Rodríguez-Pose, A., & Garcilazo, E. (2015). Quality of government and the returns of investment: Examining the impact of cohesion expenditure in European regions. Regional Studies, 49(8), 1274-1290.
Senate of Republic (2018) Evaluation Document, The Impact of Cohesion Policies in Europe and Italy.
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