UE : a-t-on vraiment tiré les leçons du passé ? edit
Le projet du Traité de Rome était simple : travailler ensemble pour que l'idée d'une coopération économique puis politique s'impose naturellement. Cette méthode de l'engrenage institutionnel a fait ses preuves. Pourtant, on peut se demander si les leçons des Pères fondateurs n'ont pas été oubliées.
Première leçon : c'est la fonction qui crée l'institution et non l’inverse. Ce n'est pas en se chamaillant sur le nombre des commissaires ou celui des députés européens que l'on peut espérer mobiliser les citoyens et susciter l'adhésion des opinions publiques des nouveaux Etats membres. Ce n’est pas d’un nouveau mécano institutionnel qu’a besoin l’Europe mais de la définition d'un projet politique commun sur des objectifs rénovés et recentrés. Et sans sous-entendu sémantique ni artifice rédactionnel : voulons-nous oui ou non d'une Union politique fédérale ? Il sera toujours temps, ensuite, d'adapter les institutions existantes ou d'en inventer de nouvelles pour servir les fonctions collectives induites du nouveau projet commun.
Rappelons que la fusion des exécutifs communautaires n’est intervenue en 1965 qu’après les premières années de fonctionnement des trois Communautés qui ont permis de voir se créer les solidarités communes et d’assumer ensemble de nouvelles tâches. De manière plus significative encore, c'est uniquement après un long mûrissement du projet très politique de l’euro que les instruments institutionnels et notamment la Banque centrale européenne ont été mis en place, en quelques mois, lors des négociations du Traité de Maastricht. L'enjeu n'était pourtant pas des moindres.
La Déclaration de Berlin ne manque pas de rendre hommage aux succès du marché unique et de l’euro tout en se projetant vers l’avenir pour « progresser ensemble dans le domaine de la politique énergétique et de la protection du climat ». Mais est-ce suffisant sans s’interroger sur la méthode pour y parvenir ?
Deuxième leçon : il faut réaffirmer et consolider la méthode communautaire. Nul ne peut méconnaître le rôle moteur de la Commission européenne dans le développement de la construction européenne durant le dernier demi-siècle. Théoriquement allégée des réflexes nationaux, la Commission use de son monopole de l'initiative des textes et de sa fonction de gardienne des traités pour promouvoir l'intérêt européen là où elle le juge utile, sous l’œil vigilent de la Cour de justice, qui assume sa part de créativité dans l'affirmation d'un ordre juridique communautaire. La montée en puissance du Parlement européen, représentant direct des peuples européens depuis 1979, a complété le triangle institutionnel formé avec le Conseil. L’épisode de la directive sur les services finalement adoptée en décembre 2006 a été révélateur de cette percée démocratique.
Mais le trio est manifestement fatigué. La déclaration de Berlin le reconnaît implicitement, appelant à « adapter la construction politique de l'Europe aux réalités nouvelles » et à « asseoir l'Union européenne sur des bases communes rénovées ». Le manque de souffle politique y est bien sûr pour quelque chose. Le retour en force de l'esprit nationaliste et de la méthode intergouvernementale fait le reste, accentué par l’effet du nombre.
On serait tenté d’affirmer que le développement de l'Union européenne depuis 1992 a affaibli la méthode communautaire : création de piliers de coopération étatique pour les affaires étrangères et les questions judiciaires et policières (dans lesquels Commission, Parlement et Cour de justice sont réduits au rôle de figurants) ; rôle accru du Conseil européen (réunissant les chefs d'Etat et de gouvernement et, à titre de caution communautaire, le Président de la Commission) érigé non seulement en arbitre suprême mais aussi en voie d’appel du Conseil des ministres lorsque celui-ci n’arrive pas à se mettre d’accord ; voie ouverte à l'intégration différenciée généralisée et non plus cantonnée (par le mécanisme des coopérations renforcées, même si elles restent difficiles à mettre en œuvre) etc.
Le système hérité du traité de Nice fait fonctionner la machine cahin-caha, mais on ne peut soutenir qu’il permet d’éclaircir l'horizon, faute d’avoir simplifié le mécanisme de vote au sein du Conseil ou d’avoir limité le nombre des députés européens afin d’éviter au Parlement le risque de voir son pouvoir de codécision, pourtant accru, paralysé par son fonctionnement. Quant à la Commission, deux écueils la guettent : par le haut, la nationalisation de sa composition accentuée par la règle « 1 Etat membre = 1 commissaire » (même si celle-ci devra être abandonnée après 2009) ; par le bas, la démotivation de son personnel, la réforme statutaire de 2004, d’inspiration britannique, ayant, grosso modo, favorisé la mobilité au sein des services et les départs en retraite sans se soucier de la mémoire de l'institution et ayant généralisé la contractualisation des agents au risque d'affaiblir l'indépendance de l'institution dans son ensemble faute de permanence assurée dans l'action.
A cet égard, une réflexion de fond mériterait d’être menée sur la création et l’implantation des agences européennes qui ont fleuri ces dernières années. Leur développement thématique (pour chaque domaine d’action significatif de l’UE) pourrait s’inscrire dans une politique alliant déconcentration et décentralisation : pour peu que l’on fasse coexister dans ces agences fonctionnaires communautaires et nationaux et qu’on les déploie sur l’ensemble du territoire européen, elles pourraient caractériser un rapprochement de terrain visible et concret pour le citoyen. Reste alors à en assurer le financement.
Troisième leçon : un budget européen autonome et revendiqué. Les Pères fondateurs ayant compris que tout projet politique était vain sans moyens financiers, l'idée de doter les Communautés européennes de ressources propres s'est progressivement imposée dans les années 1970. L'élection au suffrage universel direct du Parlement européen en 1979 a confirmé cette approche après avoir doté ce dernier de l'autorité budgétaire. Cette logique n'a pourtant pas été menée jusqu'au bout. Non seulement le Parlement n'a toujours pas son mot à dire sur les recettes budgétaires et reste étroitement encadré dans le vote des dépenses, mais le principe même des ressources propres est un leurre, miné par ailleurs par la multiplication des systèmes de réévaluation de certaines contributions nationales (Royaume-Uni et Allemagne en tête).
Le tabou de l'adéquation du financement de la Communauté européenne à ses ambitions doit être levé une fois pour toutes : renationaliser certaines dépenses communes notamment agricoles ou régionales n'est pas inconcevable si en contrepartie d'autres dépenses sont communautarisées (recherche et développement, formation) afin de dégager les marges budgétaires nationales correspondantes permettant au budget communautaire d’aller bien au-delà du 1 % du PIB des Etats membres qu’il représente aujourd’hui. A ce titre, la perspective d’un impôt européen ne pourra pas être ignorée. Il est surprenant que la Déclaration de Berlin ne fasse aucunement référence à cette question des moyens dont l’Union doit se doter pour faire face à ses responsabilités toujours plus nombreuses, comme elle le souligne elle-même en évoquant la lutte contre les nouveaux défis du terrorisme, de la criminalité organisée et de l'immigration illégale.
Ces trois leçons tirées d’un demi-siècle de construction européenne sont autant de défis pour l'Europe du XXIe siècle.
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