G7: à l’Ouest, du nouveau edit
Le monde redevient un peu plus normal. Que le sommet du G7 ait pu se tenir cette année n’avait déjà rien d’évident (il a dû être annulé en 2020 à cause de la pandémie), mais plus fondamentalement le fait qu’il ait produit une déclaration finale substantielle de 25 pages, contrastant avec la « pagette » qui avait été difficilement obtenue en 2019 après l’échec du sommet de 2018 à dégager des conclusions communes, est un signal important. Les quatre années d’unilatéralisme de Donald Trump ont été mises de côté et la déclaration de cette année se lit comme un manifeste libéral/progressiste. Au-delà de l’urgence du Covid et de la nécessité d’accélérer le processus mondial de vaccination, la lutte contre le changement climatique, le commerce international « libre et équitable », l’inclusion sociale, ethnique et de genre figurent au premier rang des préoccupations communes des dirigeants. Cela donne au club du G7 une direction et une unité qu’il avait perdues, malgré la résurgence des tensions liées au Brexit qui ont peut-être dominé les discussions parallèles mais n’ont pas empêché les dirigeants de converger vers une orientation politique commune. L’héritage de ce sommet dépendra de la réponse des parties prenantes externes ainsi que de la capacité financière de membres du G7 à mettre leurs actes en cohérence avec leur discours, mais ce discours lui-même est clair.
La déclaration ne constitue cependant pas un retour au « business as usual » après l’ère Trump. Elle ne pouvait ignorer à quel point les fondements de l’ordre libéral/progressiste ont été ébranlés ces dernières années. Ce que nous détectons tout au long du texte, c’est une forte conviction qu’une politique économique active - au-delà du soutien actuel rendu nécessaire par la pandémie - est la clef d’une restauration du tissu social des économies avancées. On y trouve une critique presque explicite de l’orientation restrictive adoptée en commun immédiatement après la crise de 2008 dans la dernière phrase de la citation suivante : « Nous continuerons à soutenir nos économies aussi longtemps que nécessaire [au-delà]) d’une réponse à la crise, pour promouvoir une croissance d’avenir, avec des projets qui créent des emplois, investissent dans les infrastructures, stimulent l’innovation, soutiennent les individus et « nivellent par la haut » afin qu’aucun lieu ou individu, quels que soient son âge, son origine ethnique ou son sexe, ne soit laissé pour compte. Cela n’a pas été le cas avec les crises mondiales passées, et nous sommes déterminés à ce que ce soit différent cette fois ». La (re)conversion au keynésianisme des pays développés en réponse à la pandémie est manifeste, et cela transcende les diverses orientations politiques des dirigeants.
Mais au-delà de la démonstration d’unité au sein du club, la déclaration de cette année s’adresse à d’autres parties prenantes dans l’économie globale, dans une tentative claire de relancer le multilatéralisme. Dans une certaine mesure, cela peut être lu comme une simple reconnaissance du poids décroissant du G7 dans l’économie mondiale (45 % du PIB mondial l’an dernier, contre 70 % lors de sa création), mais aussi comme une prise de conscience pragmatique que certains de nos défis les plus urgents – le changement climatique en premier lieu – ne peuvent être traités sans partenaires extérieurs. Le communiqué mentionne 19 fois le G20 - qui se réunira le mois prochain - et le club du G7 a uni ses forces au sein d’un groupe des "sociétés ouvertes" avec l’Australie, l’Inde, la Corée du Sud et l’Afrique du Sud.
« L’éléphant dans la pièce » est évidemment la Chine, un acteur-clé du G20. Le langage de la déclaration est « ferme » mais sans engagement vers des mesures effectives, et le texte oscille entre traiter Pékin comme un partenaire et un adversaire. Par exemple, sur le commerce international : « en ce qui concerne la Chine et la concurrence dans l’économie mondiale, nous continuerons à nous consulter sur les approches collectives pour contester les politiques et pratiques non marchandes qui compromettent le fonctionnement équitable et transparent de l’économie mondiale ». Sur les droits de l’homme, « nous allons promouvoir nos valeurs, notamment en appelant la Chine à respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales, en particulier en ce qui concerne le Xinjiang et les droits, libertés et degré élevé d’autonomie pour Hong Kong consacrés dans la déclaration conjointe sino-britannique ». Bien que la Chine ne soit pas explicitement nommée, elle est clairement visée dans la partie géopolitique du texte : « Nous restons gravement préoccupés par la situation dans les mers de Chine orientale et méridionale et nous nous opposons fermement à toute tentative unilatérale de changer le statu quo et d’accroitre les tensions ». Demander à l’Organisation mondiale de la santé de réaliser une étude sur les origines du COVID – la encore sans citer nommément la Chine – est dans la même veine. En revanche, le ton s’adoucit lorsqu’il s’agit du réchauffement climatique : « Nous coopérerons là où cela est dans notre intérêt mutuel sur les défis mondiaux partagés, en particulier la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité dans le contexte de la COP26 et d’autres discussions multilatérales ». La Chine a rejoint le club du « net zéro cible » en septembre 2020, mais à son rythme propre. Il y a un alignement sur l’objectif final, mais le Pékin s’est engagé à atteindre le zéro net en 2060 au lieu de 2050, et repousse l’abandon du charbon.
Les principes clés de la stratégie de Biden imprègnent clairement la position du G7 : une attitude « musclée » envers la Chine en matière de commerce et d’influence géopolitique du pays, mais un ton moins strident que sous l’administration précédente et reconnaissant le rôle crucial de la Chine dans les affaires mondiales. Le sommet a probablement constitue une nouvelle démonstration de la capacité de Biden à recréer une large alliance pour contenir la Chine, mais au-delà du fait que même les sommets du G7 réussis se contentent de « donner le ton » et d’esquisser des orientations politiques générales plutôt que de produire une action immédiate, le fait que le langage sur les conséquences pratiques de la position envers la Chine est particulièrement vague reflète probablement des nuances importantes entre les membres. Les intérêts des États-Unis et de l’UE ne sont pas totalement alignés en ce qui concerne les relations commerciales avec la Chine.
Pour résumer de manière un peu caricaturale une question complexe, même si l’UE est de plus en plus prudente sur les investissements chinois sur son propre territoire et peut-être moins naïve sur les transferts de technologie, les Européens ont su faire de « bonnes affaires » sur le marché chinois, alors que les États-Unis ont finalement peu à vendre à la Chine au-delà des produits primaires. Pékin a tenté d’ouvrir un coin entre les États-Unis et Bruxelles en proposant à l’UE un accord d’investissement qui irait bien au-delà de tout ce que Trump a pu extraire de la Chine après deux ans de guerre commerciale. En fin de compte, la manœuvre a échoué du fait de la réaction vive de Pékin lorsque l’UE s’est rangée du côté des États-Unis lors des événements de Hong Kong, ce qui a conduit le Parlement européen à suspendre la ratification de l’accord. Mais une différence d’approche entre Washington et Bruxelles demeure en filigrane. Dans une conférence de presse le 10 Juin préparant le terrain pour son approche du sommet du G7, le président français Macron avait exprimé ce qui pourrait être l’« angle européen », affirmant pour l’UE « l’ indépendance quand il s’agit de notre stratégie envers la Chine » .
Le sommet du G7 a été suivi d’une brève réunion de l’OTAN. Les questions sécuritaires et économiques sont bien sûr liées. L’incapacité de Trump à organiser une coalition contre la Chine venait en partie du fait qu’il réduisait dans le même temps le soutien américain à des alliés confrontés à une menace stratégique plus immédiate – la Russie, dans le cas européen – que celle de la Chine. Le langage du G7 contre la Russie était également assez musclé, et c’est la clé de l’équation de Biden. Pour inscrire l’alliance transatlantique dans sa stratégie de « rollback » de la Chine, il doit lever les doutes sur l’implication américaine en Europe qui ont été exacerbés sous l’administration Trump mais que le « pivot vers le Pacifique » d’Obama avait déjà semés.
Cet engagement « tous azimuts » accroîtra encore la pression sur les ressources américaines. Pour l’instant, le débat sur la capacité financière des gouvernements est gelé par le soutien extrême que la politique monétaire apporte depuis le début de la pandémie. Pourtant, l’un des défis du message sur « le retour de l’Occident » que ce sommet du G7 veut lancer est le niveau d’endettement auquel cette région devra faire face dans les années à venir, ce qui pourrait entraver sa capacité à façonner les relations internationales, à la fois dans le les domaines économiques et géopolitiques, tandis que la Chine a jusqu’à présent réussi à sortir de la crise pandémique sans entamer significativement sa puissance de feu budgétaire et monétaire. Dans le cadre de son soutien à la lutte contre le changement climatique, ce sommet du G7 a réaffirmé l’intention de fournir 100 milliards de dollars par an de ressources privées et publiques pour aider les pays en développement dans leur propre transition verte. Cet objectif de financement n’est pas nouveau mais sans concrétisation jusqu’à présent. Dans la même veine, de nombreux observateurs ont critiqué dimanche le manque d’ambition du G7 pour soutenir les programmes de vaccination dans les pays en développement au-delà de sa promesse d’un milliard de doses, mais plus généralement, cette question des « limites de capacité » risque de devenir lancinante. Cela peut prendre différentes formes selon les pays, par exemple une réticence persistante en Allemagne à dépenser plus pour la défense, ou la décision récente du Royaume-Uni de réduire son budget d’aide internationale.
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